samedi 13 mai 2023

DANGER STREET #6, de Tom King et Jorge Fornes


Avant de faire une pause le mois prochain, Danger Street parvient à la moitié de son récit. Derrière cette couverture extraordinaire de Jorge Fornes, Tom King produit un épisode de transition, une sorte de répit avant la tempête. Le second acte de cette intrigue promet énormément et la série continuera certainement à surprendre, toujours là où on ne l'attend pas.


Lady Cop est hospitalisée avec Warlord à qui elle essaie de tirer les vers du nez. Starman est séquestré par les Dingbats. L'échec de Orion pousse le Haut-Père de Genesis et Darkseid d'Apokolips à tenter une manoeuvre risquée pour retarder la fin du monde. Et un des membres de la Green Team est en cavale...


Il n'y aura pas d'épisode de Danger Street le mois prochain, mais la série revient en Juillet : Jorge Fornes l'a annoncé sur Twitter, expliquant qu'il a un petit problème ophtalmologique à soigner et qui l'oblige à suspendre son activité. Mais l'artiste et son scénariste nous laissent avec un sixième épisode toujours aussi passionnant et singulier, parfait à mi-parcours de l'histoire.


On a le sentiment d'être arrivé à un point critique pour les protagonistes et en même temps que Tom King donne au lecteur et aux héros l'occasion de faire le point sur leurs situations. On passe donc en revue tout ça avec l'impression que beaucoup a certes été dit et montré mais qu'il en reste beaucoup à découvrir et à voir.


Surtout, à la toute fin, et c'est le seul spoiler que je m'autorise, parce qu'il me paraît attendu, prévisible, et sans incidence, on voit pour la première fois les Outsiders, ces fameux monstres de foire dont il a été régulièrement question dans les scènes avec Jack Ryder/the Creeper et la Green Team, et qui étaient jusqu'à présent comme une sorte de MacGuffin.

En fait tout l'épisode mène à eux : le Manhunter débusque Abdul Smith, un des membres de la Green Team, mais qui ignore que son ami, Commodore Murphy, l'a trahi en ordonnant à Codename Assassin d'être son garde du corps exclusif. Abdul réussit à échapper au Manhunter et va passer tout l'épisode à le fuir, à tenter de le semer mais surtout à trouver un moyen de l'éliminer.

Bien entendu, contrairement à Abdul, nous savons, pour avoir lu le précédent épisode de Danger Street qu'il va essuyer échec sur échec. Commodore Murphy a fait fermer ses comptes en banque, a interdit qu'il pénètre dans le building de la Green Team, puisse contacter Codename Assassin. Abdul est livré à lui-même et on partage sa détresse au fur et à mesure qu'il comprend qu'il a été abandonné par Murphy.

Tom King a gardé secrète la raison pour laquelle la Green Team, via Jack Ryder, mène une campagne agressive contre les Outsiders et on n'en saura pas davantage au terme de cet épisode. Tout juste comprendra-t-on que la Green Team a escroqué les Outsiders, certainement quand ils ont commencé à faire fortune (sur leur dos), les condamnant à une vie de reclus. Peut-être les Outsiders ont-ils servis de cobayes pour des expériences financées par la Green Team, qui ont raté et en font les monstres qu'ils sont. Devenus des témoins gênants du passé de la Green Team, les Outsiders sont devenus leur cible pour que jamais personne ne sache la vérité. Mais ce n'est qu'une hypothèse que j'avance.

Sur la double page ci-dessus, on comprend en tout cas leur triste condition, vivant dans un endroit sordide, ayant l'apparence grotesque de phénomènes de foire. On ne peut en tout cas pas les confondre avec les autres Outsiders, l'équipe black ops de Batman. Mais en même temps, on comprend aussi que les vrais monstres, s'il était encore nécessaire de le préciser, ce ne sont pas eux mais bien la Green Team.

La cavale de Abdul Smith est donc ponctuée par des scènes résumant la situation des autres protagonistes de la série. A commencer par Lady Cop et Warlord qui ont survécu à la violente collision de leurs voitures à la fin de l'épisode précédent. Liza Warner récupère plus vite que Travis Morgan à l'hôpital et l'interroge alors qu'il est menotté à son lit pour savoir où est passé Starman/Mikaal Tomas.

Ce dernier est séquestré par les Dingbats. Mais Tom King, encore une fois, désarçonne : pas de séance de torture, encore moins d'exécution pour l'assassin de Good Looks. Les gamins se disputent, frustrés, car leur prisonnier est inconscient et qu'ils voulaient se restaurer en mangeant des burgers alors qu'ils n'ont que des grappes de raisins. Une tension palpable traverse ces pages en même temps que l'ambiance vire à l'absurde.

Enfin, Orion fait son rapport au Haut-Père de New Genesis et Darkseid d'Apokolips, après avoir échoué à neutraliser Warlord et Starman et récupérer le corps d'Atlas. Il accepte d'être puni pour cela, mais l'heure est grave pour les Néo-Dieux qui diffèrent cela. Darkseid et le Haut-Père unissent leurs forces pour une manoeuvre risquée et spectaculaire qui peut retarder la fin de tout suivant la mort d'Atlas. On ne comprend pas bien, pour être franc, en quoi consiste exactement ce qu'ils font mais c'est moins important que le résultat car selon toute vraisemblance, cela fonctionne. Au moins pour un temps.

Jorge Fornes ne s'illustre pas qu'avec sa couverture (certainement bien placée pour être une de celles qui marquera l'année). Comme le dit si bien King lui-même, l'artiste espagnol a ce génie, osons le dire, de rendre cette histoire improbable presqu'accessible. Jamais Fornes ne sort du cadre strict que le script et lui-même se fixent.

On pourrait trouver cela contre-productif, compte tenu des enjeux cosmiques du récit, mais en fait, c'est une approche intelligente. Pourquoi ? Parce qu'ainsi le lecteur n'est jamais distrait par le simple spectacle produit par les éléments les plus faciles de la série. Il est au contraire constamment sur le qui-vive, dans l'expectative, dans l'interrogation. Comment tout cela, toutes ces lignes narratives, tous ces personnages, si dissemblables, vont-elles se réunir, aboutir à une intrigue cohérente ?

Réponse graphique : en les traitant toutes au même niveau. Qu'il s'agisse de dieux surpuissants ou de gamins démunis ou richissimes, d'assassins impitoyables, d'extraterrestre séquestré, de guerrier alité, de flic paumé, Fornes les dessine tous de manière à ce que le lecteur ne perde pas de vue l'essentiel : ils sont tous dans les ennuis jusqu'au cou et se démènent pour en sortir.

Cette égalité dans le traitement installe une tension, une incertitude permanentes. On peut sympathiser avec des personnages qui jusque-là n'avaient rien d'attachant (Abdul Smith, Darkseid) ou s'inquiéter du comportement d'individus pour qui on avait de l'affection (les Dingbats, Lady Cop). L'histoire conserve cet aspect kaléidoscopique et très humain, foutraque et vulnérable, imprévisible et touchant. Et ça, c'est au talent de Fornes que la série le doit autant qu'à l'écriture de King.

Vous ne trouverez pas une série aussi étonnante que Danger Street actuellement. C'est expérimental et addictif. Vivement la suite !

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