jeudi 27 avril 2023

THE AMBASSADORS #3, de Mark Millar et Travis Charest


De l'art de souffler le chaud et le froid : c'est, en substance, ce qu'on ressent à la lecture de The Ambassadors, dont le troisième numéro paraît cette semaine. Pour le bon point, on assiste au grand retour de l'immense Travis Charest, le meilleur des dessinateurs de l'école Image dans les années 1990. Pour le mois bon, on constate que Mark Millar semble avoir photocopié ses épisodes sans avoir bâti une intrigue.


Yasmine Gauvin est la mère célibataire de son fils Jean-Luc depuis son divorce. Inquiète du comportement de son rejeton, elle postule pour intégrer les Ambassadeurs de Choon-He Chung. Une aventure où elle ne sera pas la seule retenue...


C'est un bien curieux projet que The Ambassadors. Sur le papier, Mark Millar promettait beaucoup, fort d'une liste d'artistes de première classe dont on savait qu'ils allaient transformer ce comic-book en nouveau succès. Mais après ce troisième numéro, force est de reconnaître que cette série se limite un peu à un beau livre d'images sans vraie intrigue.


Il est dur d'admettre être déçu quand on tient, comme cette semaine, un fascicule dessiné par Travis Charest. Cet artiste, qui reste le meilleur graphiste révélé par Image Comics à sa création, loin devant tous les autres, a connu une carrière météorique avant de se crasher en plein vol.


Reconnu par ses pairs, la critique et le public, Charest s'engage pour dessiner un album de Métabarons, écrit par Alejandro Jodorowsky, et part carrément s'installer à Paris pour y travailler, au plus proche de l'auteur et de l'éditeur. Enthousiaste à l'idée d'oeuvrer sur ce projet, il se met en tête de l'illustrer en couleurs directes alors qu'il est déjà réputé pour sa lenteur.

Charest, qui est franco-canadien, n'achèvera jamais ce graphic-novel, excédant l'éditeur par ses retards, et lui-même conviendra plus tard avoir sous-estimé la charge de travail dans laquelle il s'était engagé. Le retour à la surface, après ce que tout le monde considérera comme un échec, sera long et douloureux. Charest se réinvente en cover-artist (une discipline où nul ne songe à discuter ses compétences), notamment pour des titres Star Wars, et produit en parallèle un comic-strip, Space Girl. Il signera également quelques rares planches pour un épisode intermédiaire entre le run de Mark Millar et Bryan Hitch et celui de Jeph Loeb et Joe Madureira sur Ultimates. Récemment, il a livré des variant covers sur Batman/Catwoman de Tom King et Clay Mann.

C'est donc la première fois depuis une éternité qu'on peut lire un épisode entier dessiné et encré par Charest. Cela, seul Millar pouvait y arriver car, comme avec Frank Quitely, grâce à son partenariat avec Netflix, propriétaire du MillarWorld, il donne le temps qu'il leur faut à ses artistes pour produire ce qu'il leur écrit.

Et franchement, on oublie cela en contemplant les planches de Charest car elles sont réellement époustouflantes de beauté, surpassant déjà celles de Quitely - et on souhaite bien du plaisir à Coipel, Buffagni et Scalera qui passeront après. Charest n'a rien perdu de son génie de narrateur, son trait est d'une précision ahurissante, les détails d'une méticulosité maniaque. Dave Stewart s'est chargé de la colorisation et on sent qu'il a tout fait pour mettre en valeur le dessin de Charest, mais on rêve de voir les planches en noir et blanc.

Plaisir des yeux donc. Mais quel gâchis malgré tout que l'épisode, comme les deux précédents, soit si creux. Je ne comprends pas ce que veut raconter Millar car il ne raconte rien, ou en tout cas pas grand-chose. Chaque numéro semble être un décalque du précédent avec la présentation d'un(e) nouvel(lle) candidat(e) pour intégrer les Ambassadeurs, et guère plus.

Ici, on a donc une mère de famille célibataire qui s'inquiète du comportement de son fils. Elle postule auprès de Choon-He Chung en jouant sur la corde sensible, soulignant que toutes deux savent ce que c'est d'avoir raté leur vie de couple et de devoir assumer des responsabilités. La voilà dotée de pouvoirs, pas davantage originaux (elle peut acquérir des dons divers en fonction de la situation de crise qu'elle doit gérer, un peu l'équivalent de Néo dans Matrix). Mais surprise, elle en a obtenu pour son fils, Jean-Luc.

Mark Millar nous donne donc un dynamic duo clairement inspiré de Batman et Robin à Paris, qui vont, pendant une nuit, arrêter des voleurs de bijoux, sauver des innocents d'un incendie et stopper un train fou. Le scénariste évite les clichés (sauf sur la couverture, mais c'est plus un clin d'oeil qu'une pique), au point de rédiger des dialogues dans la langue de Molière qui sont corrects (bien loin des expressions impossibles qu'écrivent bien des scénaristes anglo-saxons). C'est tonique. Mais complètement anecdotique.

Et c'est pour cela que c'est du gâchis. Parce que Millar peut beaucoup mieux faire. Que le concept de sa série promettait bien mieux. Parce que, quand on Charest pour dessiner un script, on se sort les doigts ! Comment, avec de tels partenaires, Millar a pu aussi peu se fouler ? C'est lamentable. C'est rageant.

Dans quinze jours, ce sera donc au tour de Olivier Coipel de montrer ce qu'il a dans le ventre. Il serait temps que Millar donne davantage, en souhaitant que le dessinateur français soit dans un bon jour (car, avec Coipel, c'est toujours hit or miss). Mais, disons-le tout net : The Ambassadors est lancée dans une vraie course contre la montre pour prouver qu'elle n'est pas une énorme déception sur toute la ligne.

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