jeudi 30 mars 2023

THE AMBASSADORS #1, de Mark Millar et Frank Quitely


C'est déjà un énorme carton puisque, à peine sorti, le premier épisode de The Ambassadors est déjà sold out ! Mark Millar a encore fait parler la poudre avec son nouveau projet, une mini-série en six épisodes, avec à chaque fois un artiste de premier plan différent au dessin. A commencer par Frank Quitely, de retour après six ans d'absence (dont deux rien que pour compléter ce chapitre !).


Le gouvernement américain avait développé durant la guerre froide un programme pour créer un Superman, d'abord pour la propagande, puis plus sérieusement, pour intimider les russes. Aujourd'hui, une chercheuse sud-coréenne, Choon-En Chung, a décrypté le super-génome et acquis des super-pouvoirs, mais elle ne veut pas partager sa découverte avec une armée, préférant assembler sa propre équipe, avec des membres qui le méritent...


2023 sera une grosse année pour le Millarworld, avec dans le viseur le premier event/crossover indépendant du scénariste, Big Game (qui sera dessiné par Pepe Larraz et sera publié cet été). Avant cela, le quatrième volume de The Magic Order sera achevé, et depuis hier débute The Ambassadors.


En vendant ses créations passées et à venir à Netflix, Mark Millar explique qu'il a pu se mettre à l'abri financièrement tout en continuant à développer des concepts pour la plateforme de streaming. En analysant le marché de son employeur, il a compris qu'il y avait des territoires à conquérir, des lecteurs à séduire, des histoires différentes à concevoir. C'est la base de The Ambassadors.


Ainsi les Etats-Unis ne sont plus devenus qu'une partie comme les autres du monde, et Millar a saisi qu'il y avait un lectorat considérablement négligé par les comics, dans les pays d'Asie, d'Afrique, d'Amérique du Sud, d'Europe. En termes plus concrets, cela signifie que les héros de ses histoires n'ont plus besoin d'être seulement nord-américains. Et c'est tout un nouveau champ des possibles qui doit être exploité.

Exposé ainsi, on se dit qu'il ne s'agit plus vraiment d'art, de BD, mais de commerce. Mais on peut rétorquer que les comics n'ont jamais distingué le lecteur du consommateur, et que les mangas doivent leur succès croissant et écrasant à ce refus de différencier les deux catégories. Millar, qui avoue lire désormais plus de mangas que de comics, l'a intégré et en fait la matrice de The Ambassadors.

Ainsi on peut envisager que si, aujourd'hui, les super-héros devenaient une réalité, ils n'apparaîtraient pas forcément aux Etats-Unis, mais plutôt en Asie, plus exactement en Corée du Sud comme c'est le cas ici, grâce aux ressources colossales d'une femme d'affaires et chercheuse qui aurait décrypté un super-génome, comme l'héroïne Choon-En Chung.

Lorsque celle-ci révèle sa découverte au monde, cela intervient après un flashback qui ouvre l'épisode où on plonge dans des documents datant de la guerre froide quand les américains fabriquaient une propagande pour impressionner les russes en faisant croire à la naissance d'un Superman, puis ensuite quand un programme scientifique tenta de créer un authentique surhomme. Aujourd'hui, la rumeur court que ce rêve est en passe de devenir réalité et qu'une base secrète abriterait cet achèvement.

Mais le plus surprenant reste à venir quand Choon-En Sung explique qu'elle n'entend pas partager ses pouvoirs avec une armée ou un pays : son projet, c'est de recruter cinq individus dans le monde en les jugeant sur leur mérite à recevoir des super-pouvoirs et à aider leur prochain...

Maître dans l'art de la formule marketing, Millar a présenté The Ambassadors en disant que c'était Willy Wonka (le héros de Charlie et la chocolaterie, le roman de Roald Dahl) chez les super-héros. Et c'est littéralement ça, tel qu'écrit dans un dialogue. L'approche est savoureuse, roublarde et efficace en diable. L'épisode se lit sans temps mort, on est immédiatement accroché, c'est un concentré de tout ce qu'on aime (ou déteste) chez Millar. Mais reconnaissons-lui au moins une chose : le bonhomme sait vendre ses histoires. Et il sait aussi les écrire.

Millar, c'est aussi un formidable aimant à artistes. Qui n'a-t-il pas séduit, avec ses avantageux contrats (qui garantissent à chacun la moitié des bénéfices) et ses pitchs imparables ? La liste des six dessinateurs attachés à cette mini-série a de quoi impressionner : Karl Kerschl, Travis Charest, Olivier Coipel, Matteo Buffagni et Matteo Scalera. Et pour commencer en force : Frank Quitely !

Depuis six ans (et la fin du deuxième volume de Jupiter's Children), le génial Quitely se faisait très (tgrop) discret, ne gratifiant ses fans que de quelques variant covers par-ci, par-là. Pourquoi en faire plus quand on a, grâce à Millar, de quoi voir venir ? Le scénariste travaille sur ce projet depuis 2018 et il a suivi toutes étapes, en donnant le temps nécessaire à chacun de ses collaborateurs pour travailler leur épisode, réécrivant des scènes au besoin (chose qu'il ne fait d'habitude jamais).

Quitely a révélé avoir commencé à dessiner ce numéro durant le premier confinement en 2020, et, lui aussi, pour la première fois, a pu profiter du luxe de recommencer des planches entières quand il n'était pas satisfait à 100%, en assumant l'encrage et même la colorisation (avec son fils Vincent). 

N'en doutez pas : le résultat est à la hauteur. On retrouve tout ce qu'on adore et admire chez ce génial dessinateur, ses compositions de plans incroyablement chiadées, ce découpage au cordeau, les personnages expressifs jusque dans les moindres nuances, des designs d'une méticulosité maniaque. Mais même en s'y attendant, on reste bluffé, comme, par exemple, par l'art incroyable de Quitely à suggérer le mouvement, les impacts, sans aucun trait de vitesse. Par la finesse ahurissante du trait, qui se lit dans les décors, les véhicules, les figures. C'est franchement à tomber à la renverse.

Il est toujours délicat à la fois de crier au chef d'oeuvre seulement après un épisode et aussi parce que Millar ne prétend jamais réinventer la roue (mais plutôt délivrer le divertissement ultime). N'empêche, The Ambassadors démarre puissamment, et vu ce que promet la suite, avec les artistes qui vont défiler, difficile de ne pas s'emballer.

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