mardi 14 mars 2023

CHLOE DENSITE, de Lewis Trondheim et Stan & Vince


Chloé Densité est l'Intégrale des trois tomes de la série précédemment connue sous le titre de Density, publiée entre 2017 et 2021 par Delcourt. Rebaptisée, cette histoire est désormais disponible en un seul volume de 300 pages et pour un prix raisonnable. Lewis Trondheim s'est associé au duo Stan & Vince pour ce comic-book à la française. Le résultat est plaisant, mais aurait pu être beaucoup mieux.


Chloé accompagne en voyage aux Etats-Unis son frère, Gilles, passionné d'ufologie, et sa soeur, Karine, et l'amie de celle-ci, Amina. Avant de poser leurs valises à Las Vegas où se tient une conférence sur la vie extraterrestre, les trois filles veulent faire une farce à Gilles en lui faisant croire à une rencontre du 3ème type. Mais les choses vont déraper...


En effet, quand un authentique alien surgit de derrière un rocher et tase Chloé alors qu'il visait Gilles, il lui donne d'étonnants pouvoirs dont elle va devoir vite apprendre à se servir car une invasion est sur le point de se produire de la part des Douss.


Après un entraînement express, Chloé rencontre Marco, un survivaliste, qui leur offre son aide contre les aliens. C'est ainsi qu'ils braquent un casino dont l'argent leur servira à acheter des armes. Pourtant tout va à nouveau dérailler, entre la trahison de Marco, la volonté du trafiquant d'armes de se venger, l'arrivée du champion des Douss au Japon, et enfin une bataille épique dans l'espace au cours de laquelle Gilles pensera avoir perdu sa soeur...


Il ne suffit pas toujours d'assembler une équipe de choc pour s'assurer un succès : c'est à la fois la morale de cette bande dessinée et de l'histoire qu'elle raconte. Troublant effet miroir pour cette production signée du prolifique et inclassable Lewis Trondheim, publiée par Delcourt sous la forme d'une intégrale de 300 pages, sortie récemment.
 

Avant de s'appeler Chloé Densité, ce récit complet s'intitulait Density et était paru en trois tomes de 100 pages entre 2017 et 2021. La narration avait dû décourager les curieux qui avaient acquis le premier volume, concentré sur la rencontre de Chloé avec un alien et le début de son entraînement. Mais en vérité, appelons un chat un chat, et disons que Density fut un échec commercial.

D'où l'idée de Delcourt de ressortir en la rebaptisant cette histoire sous la forme d'un seul livre, au format comic-book, plus en phase avec sa construction narrative et son influence. Lewis Trondheim n'aime pas se reposer sur ses acquis, c'est un touche-à-tout, et sa production est si vaste qu'elle comporte au moins autant de pépites que de trucs dispensables. J'aime par exemple sa série Lapinot, sa participation au regretté Atelier Mastodonte, Texas Cowboys (avec Matthieu Bonhomme - à quand un tome 3 ?), mais je n'ai jamais adhéré à la saga Donjon par ailleurs.

Toutefois le voir s'essayer au comic-book super-héroïque m'intriguait et il ne fait donc pas les choses à moitié. Toutefois il serait mensonger d'affirmer qu'il convainc complètement. Si le résultat final ne manque pas d'atouts, il pèche par plusieurs endroits.

Il est ainsi certain que Chloé Densité gagne à être lu d'une traite. Le rythme est soutenu, assez pour ne pas être trop embarrassé par quelques facilités, mais pas suffisamment pour ne pas les remarquer. Ainsi, on se demande, une fois le livre refermé, à quoi ont servis les personnages de Karine et Amina pendant toute cette épopée sinon à être là pour donner la réplique ou à jouer les demoiselles en détresse dans le dernier chapitre. C'est dommage parce que si Trondheim s'était contenté d'un seul autre personnage féminin (en dehors de Chloé), par exemple en faisant d'Amina la fiancée de Gilles, cela aurait pu fonctionner. Mais même en se limitant au duo Chloé-Gilles, ça n'aurait pas nui à l'ensemble.

Trondheim fait aussi un pari visuel en traitant de manière réaliste Chloé et Gilles, voire Marco, tandis que l'alien qui intervient au tout début est sciemment grotesque, dans son apparence, mais aussi dans ses motivations (il veut sauver la Terre pour pouvoir continuer à suivre des séries télé). Si on accepte pas d'emblée cette plaisanterie, inutile d'aller plus loin. Moi, ça m'a fait rigoler, mais je comprends que certains aient pu passer à côté.

En revanche, j'avoue que l'importance donnée à Gregor Saxe, le marchand d'armes, au point de lui consacrer un arc dans le derniers tiers de l'histoire, m'a paru superflu. L'astuce trouvée pour que Gilles le défie afin de sauver Karine et Amina est une ficelle grossière, mais surtout on perd de vue l'essentiel, qui est quand même le voyage de l'héroïne, Chloé.

Plus positif : le crescendo qui va de l'acquisition des pouvoirs à l'entraînement jusqu'au combat contre Jigg Nör, le champion de Douss, puis à l'affontement épique dans l'espace contre l'armada est parfaitement maîtrisé. Le format de l'album, le découpage avec une prédominance de "gaufriers" mais aussi quelques pleines et doubles pages, font passer les 300 pages comme une lettre à la poste. Il y a de l'humour, souvent amlicieux, des applications physiques relatives aux pouvoirs de Chloé, judicieuses, et donc des enjeux toujours revus à la hausse qui captivent.

Du côté du dessin, le bilan est mitigé. C'est compliqué de tirer sur le travail de deux artistes du calibre de Stan & Vince, d'autant qu'ils ont oeuvré aux Etats-Unis et que donc une histoire pareille est dans leurs cordes. En outre j'avais adoré ce que Vince avait fait sur Esmera, le one-shot écrit pour lui par Zep. Mais il faut bien avouer que je suis resté parfois perplexe.

Pour faire simple, disons que j'ai eu le sentiment malaisant de lire des planches parfois à l'arrache, comme si elles avaient été dessinées sans crayonnés, en tout cas très (trop) rapidement. Peut-être Stan & Vince ont-ils voulu coller au projet en l'illustrant comme s'ils devaient rendre leur copie dans des délais semblables aux artistes de comics. Mais le compte n'y est pas.

A plusieurs reprises, le trait manque de fermeté, les visages changent trop, comme si les deux dessinateurs s'étaient passés le relais, les proportions sont incertaines. On a cette impression quasi-permanente d'une BD pas suffisamment achevée, pas complètement soignée, en tout cas par rapport à ce à quoi nous ont habitués les auteurs de Vortex. Très influencés par le passé par Dave Stevens (The Rocketeer), Wally Wood (Cannon) ou Mark Schultz (Chroniques de l'ère xénozoïque), l'encrage n'est pas à la hauteur. Alors volonté d'aller vers un dessin moins peaufiné ou manque d'application ? Je l'ignore mais c'est dommage.

D'autant plus que quand les deux complices font l'effort, ils sortent des pages quand même dingues, comme le combat entre Chloé et Jigg Nör, ou la bataille dans l'espace, ou tout ce qui se passe sur l'exo-planète. Dans ces moments-là, on touche du doigt ce à quoi Chloé Densité aurait dû ressembler tout du long.

Néanmoins, je ne veux avoir l'air de bouder mon plaisir. J'ai longtemps voulu lire cette histoire sans le faire, freiné par le prix et les délais entre chaque tome. Cette intégrale, qui coûte vraiment peu cher, est une occasion en or (même si Delcourt aurait pu reproduire les couvertures des trois tomes originaux, et certainement agrémenter le tout de quelques bonus).

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