vendredi 3 mars 2023

BATMAN VS. ROBIN #5, de Mark Waid et Mahmud Asrar


En même temps que l'épilogue de l'event Lazarus Planet, voici la fin de la mini-série par laquelle tout a débuté : Batman vs. Robin. Mark Waid conclut son intrigue avec une indéniable efficacité et surtout la volonté très louable de ne pas oublier ceux qui ont séché l'event. Mahmud Asrar est bien le seul à dessiner ce dernier chapître (même si Scott Godlewski est cité sur la couverture mais absent des pages intérieures).


Comme d'habitude, je vais tâcher de ne rien spoiler sur ce dénouement. Mais pour commencer, il faut préciser que ceux qui n'ont pa suivi les one-shots composant Lazarus Planet ne sont pas oubliés par Mark Waid : en effet, les premières pages de Batman vs. Robin #5 résument ce qui s'est passé depuis le quatrième numéro, et ce, de manière claire et rapide.


Donc, en gros, après la fuite en catastrophe de l'île de Lazare, Batman est entre la vie et la mort tandis que le diable Nezha et son père King Fire Bull règlent leurs comptes dans une bataille apocalyptique. Le casque du Doctor Fate tombé en morceaux dans le puits de Lazare a provoqué une tempête magique qui gagne le monde entier et perturbe les pouvoirs de beaucoup de monde. Les magiciens sont emprisonnés dans la Tour de Fate. Les derniers héros debouts tentent de maîtriser Nezha et d'autres de neutraliser King Fire Bull.


Finalement, Black Alice va se sacrifier pour rendre leurs pouvoirs aux magiciens, seuls capables de contenir King Fire Bull. Mais Nezha, affaibli, s'empare alors du corps de Batman et piège Robin (Damian Wayne) pour prendre le contrôle de la Terre...


Mark Waid nous entraîne alors dans une course-poursuite folle : le rythme est très soutenu et les péripéties se succèdent sans temps mort. Il faut à la fois en découdre avec Nezha et tenter de sauver Batman. Mais ce dernier peut-il encore survivre, sachant qu'avant qjue Nezha investisse son corps, il était à l'article de la mort ?


Pour Robin, le dilemme est particulièrement cruel puisqu'il a été le premier à être possédé par Nezha et à avoir attiré son père sur l'île de Lazare pour le tuer, alors que, désormais, il tente de le sauver sans grand espoir. Et pour cela il doit encore une fois le maîtriser. Malgré sa formation au sein de la Ligue des Assassins, des renforts de poids, Damian peut-il supplanter son père au moment où son corps sert d'hôte au diable Nezha ?

Depuis que Grant Morrison a introduit dans la continuité Damian Wayne, celui-ci a toujours été dépeint comme un sale gosse, déchiré entre l'héritage familial maternel (Talia Al Ghul) et celui de son père (Batman). Autrement dit, il est le fils d'une terroriste et d'un justicier. Et Damian a toujours été borderline : un gamin violent et attachant à la fois, capable du pire comme du meilleur.

Au début de Batman vs. Robin, sous l'emprise de Nezha, il veut tuer le père, à la fois symboliquement, suivant la théorie freudienne, et réellement, sous l'influence du diable. A la fin, la situation est inversée : délivré de cette influence maléfique, ayant pris la direction des opérations durant l'event Lazarus Planet, il veut sauver son père, désormais sous la coupe du diable.

On pourrait presque résumer l'entreprise de Mark Waid comme une tentative de trancher définitivement le cas Damian Wayne. Est-il le fils du démon ? Ou celui d'un héros ? C'est un problème épineux car on poeut penser que l'intérêt du personnage se situe précisèmenet dans cette ambiguïté morale, un peu comme Emma Frost chez les X-Men (attachée sincèrement à ses "enfants" et en même temps redoutable manipulatrice).

Mais la différence avec Damian par rapport à Emma Frost, c'est qu'il reste un ado, un personnage en devenir. Même si le temps s'écoule lentement dans les comics (au risque parfois de se figer), continuer à écrire Damian Wayne comme un ado susceptible de tuer tout en étant le fils d'un super-héros pour qui c'est une limite à ne pas franchir, n'est-ce pas davantage figer le personnage que le temps de ses aventures ?

Mark Waid a voulu ostensiblement arrêter d'entretenir ce flou moral et en quelque sorte redéfinir Damian en le réhabilitant, en en faisant le digne fils de Batman, et pas une sorte de néo-Batman matiné de Punisher, celui de Batman #666 de Grant Morrison dans lequel il avait succédé à son père en faisant règner la terreur sur Gotham.

Tout ce dernier épisode aspire à cela et on reconnaît bien là la démarche positiviste du scénariste qui préfère les héros attirés par la lumière qu'aspirés par les ténèbres. Il ne s'agit toutefois aps d'édulcorer Damian, mais de le caractériser en l'actualisant, en ne le figeant pas dans ce rôle de sale gosse violent. Là encore, c'est typique de Waid qui n'aime rien tant que prouver que les personnages de comics ne sont intéressants que si on les montre en train d'évoluer au cours d'un run, être différent à la fin de ce qu'ils étaient au début. Damian est apparu dans les pages de la série Batman en 2006, il y a donc 17 ans, il est tant qu'il change - qu'il grandisse, serait-on tenté de dire.

La conclusion est optimiste et même émouvante. Elle fera ricaner les cyniques qui estimeront la solution trouvée par Waid naïve. Mais elle plaira à ceux qui sont fatigués des héros torturés, en qui les civils n'ont plus confiance. Les cyniques se réclament souvent de Watchmen en croyant que Alan Moore a voulu faire entrer les super-héros dans un âge adulte qui serait forcément lugubre et tragique : ceux-là n'ont jamais compris que Watchmen, pour Moore, n'était pas l'oméga des comics, mais seulement une version possible, parce que l'auteur, par ailleurs, a prouvé q'il aimait tout autant l'autre versant, plus lumineux, avec Tom Strong et Top 10. Waid, aussi, a écrit un chef d'oeuvre noir avec Kingdom Come, mais le réduire à cela, ce serait oublier ses runs sur Fantastic Four et Daredevil.

Mahmud Asrar a eu du mal à se faire au format de cette mini-série avec ses épisodes de cinquante pages. C'est étonnant de la part d'un artiste rarement pris en défaut pour tenir les délais et qui a eu besoin de l'aide de Scott Godlewski pour la moitié de Batman vs. Robin. Mais il s'est ressaisi pour cette conclusion.

A mes yeux, néanmoins, Asrar n'aura pas donné le meilleur de lui-même sur ce projet. Je ne mets pas en doute ses compétences ou sa motivation, mais il ne m'a jamais paru en mesure de produire quelque chose qui, graphiquement, aura pu faire penser qu'il avait de quoi marquer son empreinte sur ces personnages et cette histoire.

Le résultat, c'est qu'on a un produit fini très efficace, car Asrar est désomais un artiste aguerri, très professionnel, techniquement solide, mais sans vision spéciale vis-à-vis de Batman et peut-être même de l'univers DC. J'attendais plus, peut-être trop, car j'aime beaucoup ce dessinateur, mais je suis resté sur ma faim.

Pour ce dernier chapitre, on tient un beau résumé de ce que Asrar dait bien faire : les scènes d'action, nombreuses, sont excellentes, avec des compositions parfaites, un découpage impeccable, une bonne tenue du casting. Mais jamais, absolument jamais on ne lit ses planches en se disant : il apporte quelque chose de neuf, de percutant, d'unique.

Il sera intéressant de voir ce qu'il va faire ensuite, sachant qu'il a communiqué sur ses réseaux sociaux que 2023 lui ouvrait de nouvelles opportunités très intéressantes, mais en se souvenant aussi qu'avant de signer pour Batman vs. Robin, il avouait que sa meilleure expérience avait été ses deux runs sur Conan avec Jason Aaron. Asrar serait-il, toutes proportions gardées, comme John Buscema, un dessinateur qui préfère finalement autre chose que les super-héros mais consent à en illustrer pour ne pas se fermer des portes ?

Batman vs. Robin restera malgré tout comme une lecture satisfaisante, même s'il ne faut pas trop lui en demander. A voir comment Urban Comics proposera cette histoire car l'éditeur aime (hélas !) souvent publier tout sans distinction (comme actuellement avec Dark Crisis, proposé en deux tomes où la saga centrale est accompagnée de tous ses tie-in, généralement très dispensables).

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