samedi 18 février 2023

GRIM : VOLUME 1, de Stephanie Phillips et Flaviano


Aujourd'hui, je vais vous parler du premier volume de Grim un des succès récents produit par Boom ! Studios, qui a montré ses qualités d'éditeur avec des hits comme Once & Future (Kieron Gillen/Dan Mora) ou Something is killing the Children (James Tynion IV/Werther Dell'edera). Cette fois, c'est Stephanie Phillips, jeune scénariste qui monte, qui a décroché la timbale avec le dessinateur Flaviano Armentaro pour cette ongoing sur une faucheuse amnésique...


Jessica Harrow est faucheuse : elle collecte les âmes des morts pour les conduire dans l'au-delà. Mais elle est la seule parmi ses collègues à ne pas se souvenir des circonstances de son propre décès. Elle va alors enquêter avec la complicité de ses deux amis, Marcel et Eddie, contre l'avis de sa supérieure Adira.


D'autant que ses interactions avec les vivants, autre particularité unique, ont été remarquées par le Grim Reaper qui se met en tête de l'éliminer pour rétablir l'ordre naturel des choses...


Depuis peu, Stephanie Phillips est devenue la coqueluche des "Big Two" : chez DC, elle a signé un run remarqué sur Harley Quinn et une mini-série Wonder Woman, et elle va aussi prochainement livrer une mini-série Rogue & Gambit chez Marvel. Mais c'est chez l'indépendant Boom ! Studios qu'elle a décroché le jackpot l'an dernier.


Grim a en effet été un succès surprise mais distribué par une maison qui a le nez creux, puisque c'est chez Boom ! Studios que Kieron Gillen (avec Dan Mora) a réalisé Once & Future et James Tynion IV (avec Werther Dell'edera) Something is killing the children (plus ses spin-off). De quoi faire dire à certains journalistes que Boom ! est le nouveau Image Comics.
 

Mais revenons à Grim dont le premier recueil vient de paraître et collecte les cinq premiers épisodes. Stephanie Phillips y raconte l'aventure peu banale de Jessica Harrow dont le job consiste à collecter les âmes des morts pour les conduire dans l'au-delà où ils seront jugés pour aller au paradis ou en enfer. Armée de sa faux, elle s'acquitte de sa tâche d'un air résigné qui dissimule mal son tracas.

Car Jessica ne se souvient pas des circonstances dans lesquelles elle-même a trouvées la mort. Un cas unique car tous ses collègues se rappellent exactement de leur dernier jour. Quand elle interroge à ce sujet sa supérieure Adira, celle-ci lui élude la question pour pointer les irrégularités manifestes commises par Jessica. D'autant que son dernier "client" a failli lui voler sa faux pour entrer en contact avec la femme qu'il aimait, provoquant un incident peu banal : bien que normalement invisible aux yeux des vivants, Jessica a été remarquée par plusieurs témoins de la scène.

Par ailleurs, le Grim Reaper, sorte d'ange de la mort, commet un massacre durant la fête des morts à Mexico et remarque l'anomalie qu'incarne Jessica : il lui faut l'éliminer afin de préserver l'équilibre entre l'au-delà et le monde des vivants. A moins que lui et Adira ne soient soucieux de la jeune femme pour une autre raison, plus profonde, plus personnelle, qui les menacerait directement...

Stephanie Phillips nous accroche rapidement avec ce pitch malin et mené sur un rythme soutenu. Le job de Jessica et son amnésie sont des éléments narratifs dramatiques très efficaces. La caractérisation du personnage ne manque pas de vivacité : elle remplit ses missions avec un brin de nonchalance, de résignation, tout en étant préoccupée par le fait de ne pas se souvenir de sa propre mort.

Jessica a deux amis, également faucheurs, Marcel, dont on devine qu'il a péri il y a plusieurs siècles (probablement au XVIIIè) et Eddie, un ancien musicien (certainement victime de ses excès). Ils sont des faire-valoir commodes mais très divertissants et l'amitié entre eux et Jessica n'est jamais lestée par une quelconque romance. Lorsqu'ils lui permettent d'accéder aux archives de l'au-delà pour consulter son dossier, puis quand elle est suspendue à cause de cela et qu'ils sont entraînés dans une course folle pour échapper au Grim Reaper jusqu'à Las Vegas, de l'humour se glisse dans ce périple mouvementée t fantastique.

Certes la révélation finale est un peu convenue, on la voit arriver avant qu'elle ne soit déclarée, mais elle place l'héroïne au centre d'une guerre d'influences plus ambitieuse et promet une suite épique. N'ayant jamais lu ce qu'a écrit Stephanie Phillips chez DC auparavant, j'ai été séduit par son style et j'ai hâte de découvrir comment elle va animer Malicia et Gambit dans sa mini-série (qui démarre le 1er Mars prochain) et dont le pitch se veut explosif.

Pour l'accompagner sur Grim, Phillips peut compter sur un dessinateur aussi intéressant qu'elle en la personne de Flaviano Armentaro, qui a également fait son trou chez DC auparavant (sur du Harley Quinn, mais pas au même moment) et chez Marvel (sur New Mutants, hélas ! lors des épisodes médiocres écrits par Ed Brisson).

On ne peut estimer le travail, excellent, de Flaviano sans mentionner en même temps la contribution du coloriste Rico Renzi. Ces deux-là accomplissent une collaboration magnifique et dont les qualités sont indissociables. Un nombre important de scènes se passe de nuit, dans des ambiances entre chien et loup, avec des jeux d'ombres et de lumière envoûtants. Flaviano y pose un dessin aux lignes courbes et précises, avec un souci du détail élevé pour les décors (comme cette fantastique double-page montrant Las Vegas, ci-dessus).

Renzi  enjolive ces images avec une palette nuancée et franche à la fois. Le rouge domine par la tenue de Jessica Harrow, mais aussi le jaune de la lame de la faux qu'elle dérobe dans sa fuite, ou les éclairages au néon de la ville du vice. Dans la partie qui se déroule dans l'au-delà, en revanche, les tonalités sont plus vives pour habiller ce cadre qui se veut comme une salle de transit avant que les morts n'aillent au paradis ou en enfer. Enfin, les scènes avec le Grim Reaper semblent enfiévrées, et l'allure impressionnante de la créature louvoie avec l'épouvante.

Ecrite avec dextérité, illustrée avec force, colorisée avec génie, Grim est une sacrée bonne série, dont le rythme vous entraîne de manière irrésistible. La lire en recueil permet d'en savourer ces qualités et donne surtout envie de dévorer la suite dès que le prochain tome sera disponible (dans quelques mois, puisqu'après un break, le titre a repris et le 8ème épisode vient de sortir). Pour l'instant, à ma connaissance, aucun éditeur français n'en a récupéré les droits mais ça ne saurait tarder.

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