jeudi 26 janvier 2023

THE HUMAN TARGET #11, de Tom King et Greg Smallwood


Deux semaines à peine après la sortie du 10ème épisode, voici déjà le pénultième chapitre de The Human Target disponible. Tom King est sur le point de conclure sa mini-série et livre un numéro qui fait écho au chapitre 2. C'est l'heure de vérité pour Christopher Chance et Ice. Et Greg Smallwood contribue splendidement à l'ambiance étrangement paisible de l'avant-dernier jour sur Terre de la Cible Humaine.


A la veille de sa mort programmée, Christopher Chance emmène Ice là où s'est scellée leur romance, sur la plage où, enfant, son père lui apprenait à faire de ricochets. L'occasion pour elle de lui raconter la vérité sur les circonstances qui ont conduit à son empoisonnement accidentel...


D'abord un mot, rapide, sur le calendrier des sorties de la mini-série de Tom King : à l'origine, il semble bien que Dc avait prévu de livrer The Human Target #10 la dernière semaine de Décembre 2022, mais l'éditeur a dû penser que la date ne rendrait pas justice au comic-book alors que les lecteurs avaient la tête aux fêtes. Résultat : l'épisode était disponible le 10 Janvier 2023.


Comme ce même mois était prévu The Human Target #11, DC n'a pas jugé bon de décaler à nouveau et c'est ainsi qu'en ce mois de Janvier on a droit à deux numéros. La mini-série prendra donc fin le mois prochain comme prévu. Mais il va falloir s'habituer à ne plus lire cette histoire qui a déjà tout d'un classique.


Il ne reste plus qu'un jour à vivre à Christopher Chance. Tom King a toujours affirmé qu'il mourrait bel et bien dans le chapitre 12, comme on le voyait dans le tout premier épisode. On vérifiera si le scénariste a dit vrai dans un mois - car, évidemment, il nous a rendus Chance attachant et on n'a pas envie qu'il disparaisse.

Je ne vais pas vous le cacher, c'est très difficile de parler de cet épisode sans spoiler, surtout avec ce qu'on a appris dans le précédent numéro. Vous excuserez donc si, parfois, les lignes qui vont suivre ont l'air de tourner autour du pot, mais j'essaie de tenir mes bonnes résolutions pour 2023 en ne divulgâchant plus le contenu de mes lectures lors de la rédaction de leur critique.

Disons alors que ce #11 renvoie comme en écho, comme par un effet miroir au #2 de la mini-série. Souvenez-vous : c'était la première fois que Chance rencontrait Ice, il passait une journée à la plage et tombaient amoureux sans se l'avouer encore. Chance savait déjà qu'il était condamné et le Doctor Midnight lui avait donné une liste de suspects, des membres de la Justice League International, qui avaient pu se procurer le poison qui le tuait. Et parmi eux, Ice.

Ice qui s'était présentée au bureau de Chance en lui offrant son aide. De quoi immédiatement éveiller les soupçons du héros - et du lecteur. Puis l'histoire s'est déployée et le lecteur a eu de moins en moins envie de croire à la culpabilité de Ice, trop belle, trop gentille pour commettre un meurtre (même contre Lex Luthor qui avait provoqué sa mort des années plus tôt en attirant sur Terre le méchant Overmaster).

Aux côtés de Ice, Chance a interrogé Booster Gold, Blue Beetle, le Limier Martien, Guy Gardner, Fire, Red Rocket, (presque) Batman et G'nort. Il a découvert les rouages complexes d'un complot visant Luthor et l'obtention d'un poison a priori intraçable. I a eu cru avoir tué un homme dans l'affaire et être recherché à cause de cela. Mais le mystère a fini par être résolu.

Jour 11 donc. Et que reste-t-il à faire ? Chance sera mort demain, Ice le sait comme lui. Qu'a envie de faire un homme la veille de sa mort ? Passer la journée avec celle qu'il aime, là où ils se sont aimés pour la première fois. Là aussi où, enfant, son père lui apprenait à faire de ricochets en persévérant. Et écouter une ultime confession. La vérité de Ice. Ses mots à elle sur sa mort à lui. Sur cet effroyable, pathétique concours de circonstances.

Tom King fuit le mélodrame comme d'autres la peste. On pourrait dire, en somme, qu'il a tiré les leçons de Strange Adventures et de ses échanges trop bavards, trop explicatifs, achevant de noyer la déconstruction de Adam Strange transformé en criminel de guerre. Il prend donc la direction opposée. Ce sera un épisode solaire, calme, apaisé, étonnant. Sans cri, sans (beaucoup) de larmes. Mais avec beaucoup de culpabilité (évidemment), de regrets, de remords, de résignation - ou de dignité.

Greg Smallwood signe encore une fois des pages splendides. Ses couleurs, lumineuses, chaleureuses, rendent le moment encore plus tragique et suspendu. Une grande partie de l'épisode se déroule sur une plateforme de glace générée par Ice au beau milieu de la mer, assez loin de la côte, avec seulement Chance et Ice. Les seuls autres personnages apparaissent dans des flashbacks, mais Smallwood ne les représente jamais en entier, ils sont toujours à la limite du hors-champ, du hors-jeu. Ice parle, Chance l'écoute, il est donc logique que les images ne montrent qu'eux en entier.

La subtilité graphique de Smallwood va se remarquer dans la manière dont il nous fait sentir l'écoulement du temps, les heures qui passent. Si Chance et Ice arrivent à la plage et se jettent à l'eau disons en début d'après-midi, ils n'en ressortent qu'à la tombée du jour, au moment où le soleil se couche comme dans un tableau impressionniste aux tons magnifiques. Les flashbacks sont illustrés avec des couleurs volontiers franches, voire criardes, comme des échos là encore à des moments passés et déterminants, critiques, qu'on revit sous une lumière crue, pénible.

De nombreux gros plans saisissent les expressions les plus fines entre les deux amants que lie et sépare un accident terrible puisqu'il va causer la mort de l'un d'eux. Et l'avant-dernière page nous laisse pantois, dans un suspense glaçant, avec cette fois une adresse au premières pages du premier épisode - quand Chance écrivait sur une feuille "I love you too", à l'adresse de Ice. On mesure mieux la portée symbolique et dramatique de ces mots quand Ice, ici, dit "I love you" à Chance dans une situation intense.

Juste avant cet instant, il y aura eu le seul éclat de l'épisode, un coup de sang de Ice, qui renvoie au fait qu'on la trouve toujours si gentille, si douce. Ce qu'elle ne peut plus supporter à cause de ce qu'elle a provoqué. Et ce qu'elle ne peut plus supporter de la part de l'homme qu'elle a assassiné par accident. Tout, dans le script au cordeau de King, est fait de renvois, de références à ce qui s'est passé et ne peut plus être défait. Chance, par exemple, répéte son mantra, avec résignation, comme quoi il est la cible humaine, il se fait tuer à la place des autres et cherche ensuite qui l'a tué - même quand c'est lui qui finalement s'est fait tuer. Mais cette fois, ce mantra sonne creux, c'est une formule, un slogan, une phrase répétée mécaniquement, sans âme et au pire moment car il a été tué et va vraiment mourir, en sachant par qui, comment, pourquoi, mais sans pouvoir l'éviter.

Mis à part cela, l'épisode baigne dans une sorte de quiétude étonnante. King réfléchit au dernier jour d'un condamné, comme Victor Hugo, et à travers Chance, examine ce cas complexe, pathétique, absurde. "Mourir, la belle affaire", chantait Brel, mais vieillir. Au fond, Chance n'accepte-t-il pas son triste sort parce qu'il ne se voyait pas vieillir, parce qu'il était habitué à mourir, même pour de faux. Peut-on raisonnablement vieillir en travaillant comme cible humaine ?

On peut penser ce qu'on veut de Tom King, chercher un lien entre ses histoires, un sens à son oeuvre, des défauts à son style. Mais on ne peut lui nier un talent rare pour troubler le lecteur en plongeant ses personnages dans des situations insensées, insolubles (en tout cas pas solubles facilementt). Il y a de la matière dans ses comics. Et ici, en plus, une beauté bouleversante, poignante, dans les derniers rayons du soleil, sur une plage (comme celle où Batman convenait avec Catwoman qu'ils ss'y étaient rencontrés pour la première fois)...

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