mercredi 11 janvier 2023

THE HUMAN TARGET #10, de Tom King et Greg Smallwood


Dans deux mois, ça sera fini de The Human Target et cet horizon a de quoi plonger dans une certaine mélancolie. Ce n'est pas souvent qu'on lit une mini-série de cette qualité. Et qu'aussi proche du dénouement, les auteurs réussissent encore à nous surprendre, à nous éblouir. C'est la prouesse réalisée par Tom King et Greg Smallwood, à nouveau dans ce numéro, loufoque et renversant.


Bien entendu, je ne spoilerai rien d'essentiel, puisque le résumé sera concis : Christopher Chance doit enquêter seul et, pour écarter Ice, il la sédate. Puis il s'adresse au Green Lantern G'nort, qui lui donne accès aux archives des Gardiens d'Oa. Là, il consulte le dossier de Guy Gardner...


Après avoir attendu en vain que Batman lui tombe dessus pour la mort de Guy Gardner dans l'épisode précéden, Chance s'est demandé s'il était possible, finalement, que le Green Lantern ne soit pas mort alors que lui et Ice l'ont tué. Et si c'est le cas, comment est-ce possible ?


Car si Batman ne s'est pas montré, si le meilleur détective du monde n'est pas venu arrêter Chance, alors il n'y a que deux possibilités : soit il a commis le crime parfait (hypothèse improbable), soit Gardner n'est pas mort et se cache. Seul moyen de savoir si c'est vrai et où : Oa, patrie des Gardiens, maîtres de Green Lanterns.


Chance s'adresse au plus bête d'entre eux : G'nort. Cet humanoïde à tête de de chien est aussi gentil que stupide et ne doit d'être Green Lantern qu'à la bravoure de son père, louée par Hal Jordan. Membre occasionnel de La Justice League International, il ne se méfie pas de Chance qui lui rend visite avec une pizza pour partager quelques bières avec lui.

Tom King surprend le lecteur en intégrant ce personnage loufoque à un récit jusqu'ici sérieux et grave (même si l'épisode avec Booster Gold confrontait Chance à un autre super-héros maladroit). Mais King a rarement l'habitude de choisir ses acteurs sans raison.

La question de savoir qui a empoisonné Chance en voulant normalement tuer Lex Luthor a été résolue selon toute vraisemblance : par un habile commerce, Fire a manipulé le Limier Martien afin qu'il extorque une somme d'argent à Blue Beetle et se fournisse le poison qu'elle a ensuite donné à Guy Gardner qui l'a versé dans le café de Luthor. Mais la jalousie de Gardner vis-à-vis de Chance quand il est devenu l'amant de Ice a dégénéré et conduit Chance et Ice à tuer Gardner.

Comme écrit plus haut, Chance a cru que Batman viendrait l'arrêter. Mais ce ne fut pas le cas. Chance en a déduit que Gardner pouvait avoir fait croire à sa mort et se cachait depuis cinq jours. Mais où et comment le débusquer pour l'interroger sur ce sujet ?

G'nort sert donc de guide à Chance et King évite le piège qui aurait consisté à montrer Chance manipulant à son tour G'nort. G'nort est trop gentil et il à la fois un collègue (au sein du Corps des Green Lantern) et un ami de Gardner : il estime donc légitime d'aider Chance à trouver des réponses car il se pose les mêmes questions que lui sur l'absence de Gardner.

Par ailleurs, King, aussi étonnant que ça puisse paraître, montre que G'nort et Chance se ressemblent : ce sont tous les deux des outsiders et des solitaires, qui n'obéissent pas aux règles. G'nort parce qu'il n'y comprend rien et ne fait aucun effort pour cela ; Chance parce qu'il sait que les ordres auxquels il répond sont tarifés (ce sont ceux que lui donnent ses clients).

Mais, bien entendu, rien ni personne n'est innocent. G'nort aime au fond désobéir, c'est une sorte de jeu, et il n'apprécie pas les Gardiens dont il sait qu'ils ont commis des actes répréhensibles, que ce sont des bureaucrates condescendants, qui l'ont souvent puni de manière humiliante. Il n'est pas dupe du mépris qu'il leur inspire. Quant à Chance, il profite bien sûr de la bienveillance de G'nort en le faisant boire plus que de raison et en lui dissimulant le plus important (il a tué Gardner et veut en être sûr). Il se peut d'ailleurs que G'nort sache que Chance abuse de sa confiance mais qu'il accepte de l'aider juste pour, disons-le tout net, pour faire chier les Gardiens. Et pour boire à l'oeil.

L'épisode s'ouvre et se clôt avec une scène en compagnie de Ice. Il est donc clair que Chance la soupçonne toujours d'avoir eu rôle dans toute l'affaire de l'empoisonnement et ensuite dans la disparition de Gardner. Pourtant, une fois sur Oa, alors qu'il a la possibilité de consulter son dossier (puisque les Gardiens ont un dossier sur absolument tout le monde), il s'y refuse, par respect, mais aussi de façon désabusée, estimant qu'on finit toujours par savoir, même ce qu'on ne veut pas en premier lieu.

Je ne vous révélerai pas le twist dans le dernier quart de l'épisode, mais il est à double lame, concernant Gardner et Ice. La dernière page est terrible, pas parce qu'elle est spectaculaire, mais parce qu'elle renverse complètement la relation entre deux personnages dont on conçoit mal qu'elle s'en remette pour les deux prochains et derniers épisodes. L'imminence de la fin de la mini-série rend encore plus terrible et cruelle ce qu'on apprend dans ce dixième chapitre et nous fait repenser, d'une manière différente aux toutes premières pages de l'histoire, quand Chance, seul dans sa chambre d'hôtel, buvait un dernier verre, notait un mot pour Ice et se couchait sur son lit pour y attendre la mort, résigné.

Greg Smallwood a plusieurs défis à relever à chaque nouvel épisode. Le premier est sans doute de tenir la promesse faite par King que les épisodes 7 à 12 seraient aussi, sinon plus beaux que les six premiers, après l'interruption de la mini-série. De ce côté-là, pourtant, on a peu à craindre car The Human Target n'a jamais déçu et une fois encore, chaque page qu'on lit est un émerveillement.

Pourtant, c'était casse-gueule car G'nort n'est pas un personnage qui peut charmer naturellement et spontanément le lecteur. Il est grotesque et franchement pathétique. Son apparence détonne tellement avec les autres héros côtoyés par Chance qu'on a même peur que ce soit trop, que le charme soit brisé. Je me trompe peut-être mais j'ai l'impression que Smallwood a voulu en le dessinant adresser un clin d'oeil à un collègue, partenaire de King car G'nort à un faux air de... Mitch Gerads (voir ci-dessous).


Bien entendu, il ne s'agit que d'un hommage physique car je n'oserai pas dire que Gerads est le double intellectuel de G'nort (c'est au contraire un artiste très drôle, aimable et cultivé), mais je n'ai pas arrêté de penser à son visage en voyant celui de G'nort tout au long de ma lecture.

Ensuite, une partie conséquente de l'épisode se déroule dans le décor de Oa. Alors que The Human Target évoluait dans des environnements familiers, ordinaires, nous voilà transportés sur un monde lointain, baigné de lumières irréelles, avec des designs épurés, et même un Gardien, soit un nabot à la peau bleue dans une tunique rouge. Mais c'est précisèment en soulignant le décalage entre un homme en costume comme Chance et G'nort puis le Gardien, dans cet endroit tout droit sorti d'un roman de s.f. que Smallwood nous accroche. Chance n'est plus seulement le héros de l'histoire, c'est aussi notre ancre, celui auquel on s'accroche, et dont on partage les sentiments, les émotions dans le cadre de Oa.

Le moment le plus fort peut-être de ce passage est celui où Chance consulte son propre dossier sur Oa tandis que G'nor, ivre mort, s'endort sur son épaule. Smallwood aligne deux pages en "gaufriers" de neuf cases saisissant dans chacune un moment-clé de la vie intime et professionnelle du personnage, avant, à la troisième page de produire une planche avec des cases latérales occupant toute la largeur de la bande et avec un effet de traveling avant. Chance se rend compte de ses échecs, de l'inéluctabilité de sa mort prochaine, et de sa peur de disparaître. Un instant suspendu pour celui qui était venu chercher la preuve que l'homme qu'il a tué n'était pas mort et qui finit par concevoir sa propre fin et la trouille que cela lui fiche.

La simplicité désarmante avec laquelle Smallwood réussit toujours ce genre de scènes prouve deux choses : d'abord qu'il est est un immense artiste pour épater le lecteur davantage par une mise en scène élémentaire et directe ; et ensuite qu'il nous cueille au moment où on a baissé la garde, pensant que le meilleur était passé (comme cette splash-page où Chance arrive sur Oa).

Plus loin, il y aura une scène de baston incroyablement intense et brute, découpée avec la même intelligence, soulignant juste ce qu'il faut dans le script pour la rendre mémorable et dérangeante. Mais chut ! Sinon ce serait un spoiler.

J'ai récemment interpelé Tom King sur Twitter pour lui demander si Black Canary, Captain Atom et Mister Miracle, figurant sur la double page du premier épisode avec les suspects de la Justice League International, allaient quand même apparâitre dans les deux prochains et ultimes épisodes. Il ne m'a répondu, sans doute pour préserver la surprise. C'est frustrant, mais compréhensible.

Plus que deux épisodes donc. Qui promettent énormément, surtout après ce dixième, exceptionnel. La mélancolie attendra. Mais il faudra savourer chaque image, chaque mort, chaque rebondissement.

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