samedi 22 octobre 2022

FABLES #156, de Bill Willingham et Mark Buckingham


Avec ce 156ème épisode, nous atteignons la moitié de l'arc The Black Forest de Fables. Et Bill Willingham le sait bien : son histoire, composée de plusieurs lignes narratives, commence à s'agréger, des personnages se rencontrent et se retrouvent, mais certains pistes restent encore à creuser. Mark Buckingham nous enchante avec des planches magnifiques.
 

New York. GreenJack fait irruption dans le restaurant où se trouve Peter Pan en menaçant le clientèle. La police intervient et arrête la jeune femme tandis que Peter file avec l'aide Clochette.


La Forêt Noire. Alors que Kit Helconer menace de tuer le Vieux Sam à cause de sa couleur de peau, Connor Wolf intervient et tue le chevalier. Le Vieux Sam le prend sous son aîle.

Blossom Wolf et Herne tombent amoureux et rejoignent le père de ce dernier, le Dieu-Cerf. Ambrose commande à Mr. Kyrkogrim de transformer sa maison en université.

Tandis que Blossom avec Herne et Connor avec le Vieux Sam rejoignent Bigby et Blanche Neige, celle-ci s'inquiète de ne pas voir revenir Winter...

Jusqu'à présent, on pouvait légitimement se demander où comptait nous emmener Bill Willingham en ramenant Fables. N'avait-il pas tout dit ? Ne risquait-il pas d'écrire l'histoire de trop, et trop tard ? Ce sentiment, je l'éprouvais d'autant plus fort que je n'avais jamais lu Fables avec une périodicité mensuelle, j'avais toujours critiqué la série via ses recueils en TPB.

Or quand on lit une mini-série, il y a toujours, je crois, cette appréhension entre ce qu'on attend de l'histoire et son format. Douze épisodes, c'est un an de publication, on embarque dans un voyage qui a une durée certaine. On s'en remet à des créateurs qui doivent nous captiver pendant un bon moment. Si ça ne fonctionne pas au bout de quelques épisodes, le doute s'installe, puis le découragement.

J'ai beau apprécier ce format, je sais aussi que rien n'est jamais acquis. Même les auteurs qui le maîtrisent le mieux sont capables de se planter et ça devient alors pénible de continuer à lire. Bon, peut-être ne suis-je pas assez confiant, peut-être ne suis-je pas dans le bon mood, et que si j'étais moins prudent, j'apprécierai davantage. Mais chacun sa sensibilité.

Fables #156 est le sixième chapitre de l'arc The Black Forest, on arrive donc pile à la moitié de l'histoire. Il est donc temps pour Bill Willingham de commencer à faire converger certaines des lignes narratives qu'il a lancées. Et c'est ce qui se produit ici.

Après Ambrose, c'est au tour de Connor et Blossom Wolf de conclure leurs aventures dans la forêt noire, et ils reviennent auprès de leurs parents. Connor a fait l'apprentissage de la confiance justement : il a croisé un chevalier errant et la suivi pour se rendre compte qu'il marchait en compagnie d'un type violent et radical, qui tuait tous ceux qu'il jugeait mauvais ou dangereux. Mais quand ils rencontrent le Vieux Sam, la balade prend une tournure franchement désagréable.

En effet Kit Helconer se révèle être raciste, soupçonnant Sam d'être un démon parce qu'il a la peau noire. Alors qu'il est prêt à l'occire, Connor ne peut supporter cette probabilité, surtout qu'au passage le chevalier a insulté sa mère en insinuant qu'elle pouvait être "une des putains de Méphisto" ! Le Vieux Sam n'est pas démuni pour autant et utilise ses pouvoirs pour esquiver les assauts de Helconer, mais Connor se transforme et tue le chevalier. Ce geste le soulage en même temps qu'il le trouble : n'est-il pas devenu lui-même un assassin comme celui qu'il a exécuté ? N'est-il pas aussi mauvais ? 

Scénariste marqué à Droite (il est opposé à l'I.V.G. et ses prises de position contre la Palestine lui ont valu des critiques acerbes), Willingham est pourtant quelqu'un qui n'écrit pas des histoires simples, en noir et blanc. Favorable à la peine de mort, on peut interpréter le châtiment infligé par Connor à Kit Helconer comme la traduction de l'opinion de Willingham. Pourtant, c'est en vérité plus nuancé car il souligne bien à quel point l'action de Connor embarrasse et tracasse le garçon. Et il l'a fait en sauvant un vieux vagabond noir.

L'issue de l'aventure de Blossom est nettement plus romantique. La jeune fille est amoureuse de Herne qui veut la présenter à son père, le Dieu-Cerf. Quand les deux jeunes gens rejoindront le campement de Bigby et Blanche Neige, Blossom présente Herne mais le dialogue indique qu'elle l'a déjà fait plusieurs fois, et d'ailleurs Herne semble un peu gêné par cette répétition.

Une autre scène, très courte, montre Ambrose retourner chez Mr. Kyrkogrim pour lui ordonner de faire de sa maison une librairie, ou plutôt une université. Ambrose lui enverra chaque année des élèves. Le garçon a complètement renversé la situation vis-à-vis de Kyrk qui l'avait piégé, attiré, séquestré, effrayé.

Si, donc, la majorité de l'épisode se déroule dans la forêt, l'autre partie la plus importe se passe à New York où Gwen/GreenJack se fait prestement arrêter par la police après avoir menacé les clients d'un restaurant où elle comptait loger celui qui menace la forêt. Or dans ce restaurant se trouve Peter Pan. Celui-ci écartera violemment les flics qui veulent l'interroger avec l'intervention de le fée Clochette, comme vous ne risquez pas de la voir dans un film Disney...

Gwen ne comprend pas pourquoi on l'embarque, car elle n'a jamais connu la police des humains. Willingham saisit à merveille le décalage abyssal entre les Fables et les humains, dont les codes moraux, les règles sociales divergent totalement. Mais le scénariste insiste un peu plus sur la figure maléfique, inquiétant de Peter Pan (dont il voulait faire l'Adversaire du premier Cycle de la série). sachant que si Gwen est sans doute hors-jeu pendant un moment (même si son parcours ne s'arrête certainement pas là, je mise sur un affrontement entre Peter Pan et la famille Wolf et leurs alliés dans la seconde moitié de la mini-série.

Visuellement, cet épisode est une merveille. Les fans de Mark Buckingham sont particulièrement gâtés en ce moment puisque Marvel a enfin lancé la parution de Miracleman : The Silver Age, écrit par Neil Gaiman, attendu depuis un bail.

Buckingham est influencé par Kirby, moins dans le trait (quoique, par le passé, dans Fables, il lui a adressé de véritables hommages), que dans le découpage. Chaque page compte très peu de cases, le plus souvent quatre en "gaufrier". Cela rend la lecture très rapide et fluide, mais oblige aussi l'artiste à soigner chaque plan car chaque image compte. Le lecteur peut s'y attarder pour apprécier les détails des décors et la composition.

C'est à contre-courant de la production moderne où les dessinateurs multiplient les vignettes et explosent les cadres. Ici, tout est scrupuleusement défini, rien ne déborde, c'est "old school", mais sans être démodé. Car le trait de Buckingham possède ce naturel, très accessible, intemporel. Fables, grâce à lui, est une BD sans âge, et donc toujours plaisante, toujours aussi unique. De temps à autre, "Bucky" s'offre une case ou carrément une pleine page qui prouvent, si besoin était, qu'il est aussi capable de nous en mettre plein la vue. Mais jamais gratuitement, toujours au service du récit.

Avec Winter toujours introuvable, Peter Pan qui manigance, GreenJack derrière les barreaux, Cendrillon au service du gouvernement américain, le second acte de The Black Forest promet beaucoup. Maintenant, on peut voir venir avec plus de légèreté.

La variant cover de Mark Buckingham.

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