jeudi 29 septembre 2022

THE HUMAN TARGET #7, de Tom King et Greg Smallwood


Le même jour où est sorti le premier recueil en vo (et en hardcover) rassemblant les six premiers épisodes de la mini-série, The Human Target #7 est disponible. Après six mois de pause, Tom KIng et Greg Smallwood font leur retour pour raconter les six derniers jours à vivre pour Christopher Chance. Et ce dernier est certain d'avoir trouvé le responsable de son empoisonnement...


Christopher Chance et Beatriz da Costa alias Fire passent la soirée dans un club de jazz, dansant au son de l'orchestre. Une bande de braqueurs surgit, vite maîtrisée par Fire.


Chance emmène Beatriz à la Grande Roue. Arrivée au sommet, celle-ci se coince. Chance se jette dans le vide pour forcer Beatriz à avouer qu'elle a voulu empoisonner Lex Luthor.


Chance est rattrapé par Beatriz. Il la pousse dans ses retranchements, soulignant qu'elle avait un mobile et l'accès au poison. Elle le gifle.


Le lendemain, Beatriz convie Chance et Ice chez elle. Elle reconnaît les arguments de Chance. Mais nie toujours être l'empoisonneuse car elle avait livré l'arme du crime à un autre...

Si, hier, j'avais reproché à The Nice House on the Lake sa parution trop heurtée, en revanche je salue DC et les auteurs de The Human Target d'avoir préféré interrompre la publication de la mini-série pendant six (longs) mois afin de laisser à l'artiste le temps de complèter les six derniers chapitres.

Première réflexion : on renoue avec cette intrigue très facilement, sans avoir oublié l'essentiel.

Deuxième réflexion : ce septième épisode reprend sur les mêmes bases très élevées où le sixième numéro nous avait laissés.

Il faut ajouter qu'on croit toucher au but ici car Christopher Chance va "cuisiner" Beatriz da Costa/Fre, sa principale suspecte. Tout le récit est donc axé sur un dialogue, avec très peu d'action mais beaucoup de tension. Hormis au début avec un braquage vite expédié, il ne faut donc pas s'attendre à un chapitre spectaculaire. Plus que jamais, la mini-série se distingue par son ambiance chargée, sa caractérisation au cordeau et son mix de macabre et de ludique.

Tom King comme son héros en sursis ne tournent pas autour du pot : d'entrée, Chance dit à Beatriz qu'il la croit coupable d'avoir voulu empoisonner Lex Luthor et donc, par conséquent, de l'avoir tué, lui à la place du milliardaire maléfique. De là va découler tout le reste.

Fire est la coupable idéale : elle est la meilleure amie de Ice, elle a voulu la venger, mais elle était aussi la maîtresse de J'onn J'onzz/le Limier Martien, qui avait obtenu de l'argent de Ted Kord/Blue Beetle, et elle était proche de Michael Carter/Booster Gold pour lui acheter le poison. Chance, en deux occasions, la pousse dans ses retranchements pour la forcer à avouer.

La première fois, ils sont tous les deux au sommet d'une Grande Roue et Chance se jette dans le vide. Fire le rattrape au vol. Ce geste suicidaire est résumé par Chance comme sa manière de gagner en mourant, ce qui est le job de la Cible Humaine. Mais Fire s'emporte en jugeant qu'il s'agit d'une manière de lui arracher des aveux par la force.

Chance réplique qu'en le sauvant, même si elle l'a empoisonné, c'est une manière d'avouer en se rachetant. Le raisonnement est retors, tordu, mais il est magistralement illustré par l'action. C'est alors la deuxième occasion que saisit le héros pour renvoyer Fire dans les cordes : elle avait un mobile, elle avait le poison, elle est la coupable évidente.

Excédée, Fire gifle à plusieurs reprises Chance jusqu'à ce qu'il la stoppe. Elle le défie alors du regard avec un air aguicheur car elle ne porte plus sur elle que la veste de son interlocuteur (ses habits ayant brûlé lorsqu'elle a pris feu pour voler à son secours en haut de la Grande Roue). Comme l'archétype de la femme fatale qu'elle représente, Fire suggère qu'à ce moment-là il a envie de l'embrasser.

Cette suggestion renvoie au dialogue qu'ils ont eu un peu avant en haut de la Grande Roue quand Beatriz est revenue sur son passé. Très tôt, les hommes l'ont considérée pour son charme, sa beauté, elle était la fille qu'ils avaient envie d'embrasser. Cela a continué quand elle est devenue mannequin, période de sa vie où elle gagnait de quoi vivre en jouant cette fois ouvertement de ses charmes. Puis cela s'est poursuivi quand elle devenue espionne (pour l'organisation Checkmate), un métier dans lequel il faut savoir encore une fois séduire pour tromper ceux qu'on veut piéger. Et c'est toujours le cas maintenant qu'elle est une super-héroïne car son genre fait croire à ses ennemis qu'elle est plus fragile qu'un homme alors qu'elle est souvent plus puissante.

Comme Chance en fait, Fire est une comédienne, une tricheuse. Toute son existence en dépend, et elle en a conscience, ce qui en fait une actrice de talent, une héroïne romanesque et efficace. Si Chance cherche à la faire tomber dans ses filets, elle sait aussi éviter les chausse-trappes car elle a appris à le faire. Ce n'est pas qu'une jolie fille ni même une belle femme, c'est une manipulatrice et une joueuse aguerrie. La partie ne peut donc qu'être disputée et remportée par des coups bas, en flirtant avec les limites.

D'ailleurs, comme on le comprend dans les dernières pages, la soirée entre Chance eet Fire n'a été qu'une comédie écrite et mise en scène par Fire. Un test. Et, le lendemain, quand Chance se réveille auprès de Ice, celle-ci répond au coup de téléphone de Fire qui les invite chez elle et fait passer le message à Chance qu'il a réussi le test.

Au passage, ce qui s'est passé dans le n°6 n'est pas oublié : ua détour d'un bref échange entre Chance et Ice, Tom King revient sur ce qui est arrivé à Guy Gardner (et que je ne veux toujours pas spoiler, même si je serai forcé à moment d'en parler, dans les prochains épisodes). Ce qui conduit à deux observations :

la première, c'est que, autant que démasquer l'empoisonneur/se, il faut désormais compter avec ce qui est arrivé à Guy Gardner et qui va inévitablement rattraper Chance et Ice - ne serait-ce que parce que, forcément, Batman sera au coeur de l'épisode 9 ;

et la deuxième, c'est que la question se pose désormais de savoir ce que fera Chance une fois qu'il saura qui a voulu empoisonner Luthor et l'a condamné, lui. Que veut Chance au fond ? Livrer le coupable à la justice en sachant qu'il ne vivra pas assez longtemps pour assister à son procès (et son éventuelle châtiment) ? Ou bien tuer l'homme/la femme qui l'a tué par mégarde pour se venger ? Ou bien simplement résoudre une affaire, sa dernière ?

L'épisode se conclut sur un twist renversant. Qui relie en quelque sorte les deux observations ci-dessus. C'est diabolique, mais ça prouve que Tom King ne mentait pas quand il affirmait que la seconde partie de la mini-série serait encore plus imprévisible et retorse que la première.

Le scénariste a aussi promis qu'elle serait encore plus belle. Et là non plus il ne mentait pas car cet épisode est aussi magnifique que les six précédents. Greg Smallwood a récemment, sur Twitter, insisté, dans un sujet brillamment développé et illustré, sur la notion à la base de ce chapitre : le contraste.

Citant plusieurs références (le dessin animé Les 101 Dalmatiens de Clyde Geronimi, Wolfgang Reitherman et Hamilton Ruske, l'illustrateur Austin Briggs), Smallwood expliquait par le menu son choix de couleurs pour la série et cet épisode en particulier.

The Human Target a un look rétro et même pop, avec des couleurs vives, des contrastes forts, mais surtout une approche non naturaliste. La manière dont la lumière est travaillée n'est pas classique, elle découpe l'image de manière radicale, avec des filtres, des gammes chromatiques très prononcés. Par exemple, dans la scène du jazz club au début, tout baigne dans du mauve. Puis lorsque Chance et Fire sortent de cet endroit, dans les rues en ville, le bleu domine, ce qui créé une ambiance plus froide. Au sommet de la Grande Roue, le jaune de cette grande installation tranche avec le ciel nocturne et tout devient plus chaud, culminant avec la chute de Chance et l'embrasement de Fire lorsqu'elle s'envole pour le sauver.

Le lendemain matin, dans la chambre que partagent Chance et Ice, c'est à nouveau un bleu pâle, et le blanc, qui s'installent, reflétant la tension entre les deux amants, la froideur des pouvoirs de Ice mais aussi les propos de Chance. Enfin, le rendez-vous chez Fire sur une terrasse sous le soleil fait place à dss tons chauds, sensuels.

On pourrait facilement dire que la mise en scène repose sur la couleur, la manière dont elle est appliquée à chaque scène, comment elle se porte sur les personnages, les décors, les objets. C'est une manière très élégante qu'a Smallwood pour établir l'action, l'ambiance, mais aussi pour guider le lecteur, influer sur ses émotions, le manipuler. L'artiste est au diapason des protagonsites : il s'amuse avec nous en usant d'une palette à la fois précise et sobre.

On pourrauit encore dire que Smallwood dessine chaque geste, chaque expression avec un soin incroyable, sans sombrer dans le photo-réalisme. C'est la grande différence entre lui et Alex Ross, qui sort ces jours-ci un graphic novel (Fantastic Four : Full Circle). Mais quand Ross cherche à s'émanciper du style qui a fait sa légende pour oser des teintes pop, au carrefour de Kirby et Steranko, et n'aboutit qu'à une esthétique chargée, criarde, Smallwood signe un véritable festival, raffiné, délicat, intelligent.

Tom King a de la chance d'avoir un tel artiste pour magnifier son script. En un sens, Smallwood est l'opposé de Mitch Gerads tout en utilisant un matérial similaire (l'infographie). Là où Gerads dissimule de plus en plus mal certaines faiblesses académiques en les noyant sous des effets fatigants (filtres, numérisation outrancière, etc), s'éloignant malheureusement de la rigueur de Mister Miracle, Smallwood nous fait croire à un dessin pur bien qu'il soit réalisé avec des outils informatiques mais parce qu'il s'appuie sur des références moins techniques que stylistiques et sur un talent qui sait s'affranchir des facilités qu'offre l'ordinateur.

The Human Target n'a pas cessé d'impressionner. Rendez-vous le mois prochain pour la confrontation entre la Cible Humaine et Red Rocket.

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