mardi 12 juillet 2022

JULIE (EN 12 CHAPITRES), de Joachim Trier


C'est certainement la première (et dernière ?) fois que je parle d'un film norvégien, comme quoi il faut un début à tout. Mais j'avais entendu/lu tellement de bien ce Julie (en 12 chapitres) que j'ai voulu vérifier si c'était mérité. Et le fait est que ce film de Joachim Trier est excellent, porté par une actrice radieuse. Norway : 12 points !
 

Etudiante en médecine à Oslo, Julie, la trentaine, entame une liaison avec Aksel, un dessinateur de bandes dessinées, de quinze ans son aîné. Peu après, elle abandonne la faculté avec le projet d'écrire, mais pour gagner sa vie, elle décroche d'abord un job de vendeuse dans une librairie. Lors d'un week-end chez les parents de Aksel, elle lui explique ne pas vouloir s'engager comme il e souhaite en fondant une famille, estimant qu'elle n'a pas la fibre maternelle.. Lors du vernissage d'une exposition des planches de Aksel, Julie quitte la soirée plus tôt et tape l'incruste dans une autre fête où elle rencontre Eivind. Etant tous les deux en couple, ils ne commettent pas d'infidélité, malgré leur attirance réciproque et les confidences intimes qu'ils échangent. Ils se quittent à l'aube.


Julie rédige un article sur la sexualité féminine qu'elle poste sur les réseaux sociaux et qui attire l'attention. Pour son trentième anniversaire, elle est reçue avec Aksel chez sa mère, son père justifiant son absence par un mal de dos. Mais quelques jours plus tard, chez lui, Julie apprend par inadvertance par sa demi-soeur qu'il n'était pas souffrant mais assistait à un match de foot. Dans la librairie où elle travaille, Julie croise Eivind et sa compagne Sunniva, il lui fait part discrètement de son envie de la revoir. Lors d'un dîner en compagnie du frère d'Aksel, Julie rêvasse et s'imagine rejoindre Eivind dans le bar où il officie. Le lendemain, elle annonce à Aksel qu'elle le quitte.


Profitant d'une crise existentielle de Sunniva, Eivind rompt avec elle et s'installe avec Julie. Lors d'une soirée avec des amis, Julie goûte à des champignons hallucinogènes. L'expérience est émancipatrice : elle coupe les ponts avec son père et avoue à Eivind qu'elle se sent pleinement elle-même à ses côtés. Mais cela semble le mettre mal à l'aise. A la librairie, Julie revoit le frère de Aksel qui lui révèle que ce dernier souffre d'un cancer incurable. De retour chez Eivind, elle découvre qu'il a récupéré un brouillon d'article qu'elle avait écrit au sujet des bandes dessinées de Aksel et une dispute éclate entre eux car elle estime qu'il n'a pas respecté son intimité.


Julie fait un test de grossesse après avoir eu des nausées et le résultat est positif, mais elle le cache à Eivind. Elle rend visite à Aksel à l'hôpital où il lui avoue sa peur de la mort mais aussi qu'elle a été l'amour de sa vie. Quand elle lui apprend qu'elle est enceinte, il tente de la rassurer en lui assurant qu'elle sera une bonne mère, même si elle ignore si elle va garder l'enfant. Julie retrouve Eivind et lui révèle qu'elle attend un bébé. Cela précipite leur rupture car il considère insensé d'élever un enfant dans ce monde. Le frère d'Aksel téléphone à Julie pour la prévenir qu'il vient d'être admis en soins palliatifs. Elle fait une fausse couche.


Quelque temps plus tard. Julie est devenue photographe sur un tournage et découvre que l'actrice principale du film est l'épouse d'Eivind avec lequel elle a un enfant. Julie rentre chez elle développer ses clichés.

Bon, soyons clair, je ne m'attends pas à ce que cette critique ait beaucoup de vues. Les dernières critiques de films que j'ai écrites sur ce blog ont enregistré de piteux scores, alors je ne m'attends pas à ce que ça change cette fois. Pensez : un film norvégien, qui n'a rien à voir avec les comics (même si un des personnages est auteur de BD), sans vedettes, ça ne sent pas le carton.

Mais si j'écris quand même cet article, c'est pour les quelques curieux qui le liront et à qui je donnerai peut-être, soyons fou, l'envie de voir Julie (en 12 chapitres). Et surtout parce que j'ai beaucoup aimé ce film. Et qu'il faut écrire sur ce qu'on aime au lieu de céder à la facilité de tirer à boulets rouges sur ce qu'on n'aime pas, et tant pis si ça fait bizarre de placer ça entre deux critiques de comics. Appelez ça une respiration, un pas de côté.

Je n'avais pas vu les précédents films de Joachim Trier, je ne connaissais pas son travail. Mais l'an dernier, lors du Fetstival de Cannes (dont j'aime regarder les cérémonies de clôture, toujours un grand moment de "gênance" avec les tzraductions simulténées des remerciements des lauréats étrangers, les discours interminables et décalées, tout le côté pompeux propres à ce barnum, et en même temps le défilé de vedettes glamour, le rituel immuable de cette grande messe du 7ème Art), Julie (en 12 chapitres) avait valu à son actrice principale la prix d'interprétation. 

Lorsqu'on sait que Renate Reinsve, une parfaite inconnue, entr'aperçue dans de précédents opus de Trier, songeait à changer de carrière car elle ne décrochait aucun rôle conssitant, cela a l'air d'un conte de fée. Mais en l'occurrence, le jury a salué une prestation remarquable, loin des performances grostesques dont raffolent les Oscar. Simplement une jeune femme qui incarne si parfaitement un personnage, lui donne un charme infini, qu'on ne peut décemment passer à côté.

Joachim Trier l'a d'ailleurs écrit pour elle, devinant le potentiel de Renate Reinsve et l'investissement qu'elle était prêt à accomplir pour le film. Il a eu le nez creux car non seulement elle est parfaite mais surtout on n'imagine personne d'autre qu'elle en Julie. Peut-être que, comme c'est parfois le cas, injustement, ce personnage lui collera à la peau, les cinéastes imaginant ensuite qu'elle ne peut rien jouer d'autre, ou pas aussi bien. C'est arrivé à d'autres. 

Le film est donc une chronique en douze parties plus un prologue et un épilogue. On suit dans des périodes décisives Julie, une trentenaire qui doute de sa vocation, de ses amours. Elle est pourtant brillante, belle à tomber, mais elle ne sait pas comment négocier ce tournant dans son existence : elle se trouve trop jeune pour fonder une famille, pas assez maternelle pour avoir un enfant, trop curieuse pour n'être la femme que d'un seul homme. Et, en même temps, l'envie est là sur tous ces sujets : elle n'est plus non plus une post-ado insouciante, peut-être qu'avoir un enfant l'équlibrerait, évidemment qu'elle aime Aksel malgré leur différence d'âge aussi sûrement qu'elle s'installera avec Eivind dans un élan trop romantique pour être suffisant.

Ce qui n'aide pas Julie, c'est l'image qu'elle a de la famille. La sienne d'abord : dans une scène, lorsqu'elle fête son anniversaire en compagnie de sa mère et d'Aksel, elle remonte le temps en observant les photos de ses aïeulles, en constatant qu'à son âge elles étaient toutes déjà mariées, mères de plusieurs enfants, dans des situations souvent moins enviables que la sienne. Sa propre mère a divorcé de son père mais est plus heureuse depuis. Son père, c'est encore une autre affaire : il a toujours été absent et ça ne s'est pas arrangé, il a refait sa vie, a eu une autre fille, et surtout c'est un menteur, qui n'a même pas honte de l'éviter. Quand elle rencontre les parents d'Aksel, le tableau est trop idyllique pour être vrai : au bout d'une journée, elle les entend s'engueuler pour des broutilles, après avoir dû supporter des réflexions insistantes sur le moment où elle épouserait leur fils, leur donnerait un petit-fils.

Quand elle finit par quitter Aksel pour Eivind, on devine qu'elle part pour de mauvaises raisons. Il est charmant, de son âge, il ne veut pas d'enfants, mais a rompu avec sa compagne pour des motifs peu nobles (elle s'investit dans des recherches généalogiques qui la conduisent à changer radicalement sa manière de vivre). Pourtant, Joachim Trier filme ce moment où tous deux s'unissent de manière magique dans une course folle de Julie dans Oslo dont tous les habitants qu'elle croise sont pétrifiés. Le temps suspend littéralement son vol dans cette séquence magnifique, d'un romantisme échevelé et euphorisant. Mais trop beau pour être vrai et durable. Julie comprendra a posteriori qu'elle a troqué la raison pour la passion, avec pour seul réel profit une expérience émancipatrice sous psychotropes (mise en scène sans sombrer dans la comédie facile sur le trip hallucinogène).

Le dernier tiers du film bascule dans un drame poignant mais pourtant étrangement aérien. La maladie incurable d'Aksel, un cancer, aboutit à ses retrouvailles avec Julie pour des dialogues remarquables, écrits avec une sensibilité miraculeuse. Jamais le cinéaste et ses interprétes ne perdent ce mélange d'allant et d'élégance qui fait toute la qualité du film. Jamais la gravité ne plombe l'histoire qui, elle-même, n'est jamais trop légère pour rendre les moments d'émotion superficiels.

Trier peeut s'appuyer sur un script impeccable, co-écrit avec Eskil Vogt, mais aussi sur trois comédiens formidables. Renate Reinsve, donc, qui ne joue mais est Julie, lumineuse avec ce sourire qui ferait fondre n'importe qui, mais aussi ce regard nimbé de mélancolie et de tendresse, de joie et d'inquiétude. Anders Danielsen Lie qui joue Aksel avec une force exceptionnelle, dont le dernier tiers, absolument bouleversant. Et Herbert Nordrum, épatant en type si sympa et si lâche à la fois.

Julie (en 12 chapitres) s'impose, peut-être pas comme un film essentiel, mais plutôt comme un de ces longs métrages qu'on reverra avec plaisir, dont les mérites resteront intacts. Une pépite, vibrante, chaleureuse et touchante, attachante et craquante. Ce genre de film qui vous accompagne un bon moment, tel un marqueur d'une période, d'un état.

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