X-MEN : RED #2, de Al Ewing et Stefano Caselli

Avec X-Men : Red, Al Ewing tient la série qu'on attendait de lui : un projet ambitieux et maîtrisé, qui impressionne. Le premier épisode était déjà épatant, mais ce deuxième non seulement confirme mais dépasse les espérances. Soutenu par les dessins de l'excellent Stefano Caselli, on a droit à un page-turner imparable, dense et fascinant de complexité.

A cause de son comportement erratique, Vulcain est indésirable sur Krakoa et chez son frère, Cyclope. Abigail Brand le recrute dans son équipe, les X-Men : Red. Mais cette arrivée déplaît à Manifold.

Ce dernier préfère quitter l'effectif. Brand envoie l'équipe en mission sur Arakko dans une province menacée par les Ancêtres. Sur place, les habitants ne sont pas ravis de ces renforts.

Heureusement, la nouvele Confrèrie des Mutants arrivent et règle promptement le problème. Vulcain, vexé, s'en prend à Tornade qui le neutralise vite et bien.

De retour à la Station SWORD 2, Vulcain reçoit des soins et accepte d'éliminer un membre du Grand Cercle d'Arakko afin d'affaiblir politiquement Tornade...

Hier, je vous parlais d'Immortal X-Men de Kieron Gillen et Lucas Werneck en expliquant ce qui, selon moi, clochait avec cette série - son écriture trop ironique, sa caractérisation grossière, et sa faiblesse graphique. Lorsqu'on compare avec X-Men : Red, on obtient le résultat opposé : tout ici est à sa place, mis en scène infailliblement, avec une intensité servie par un dessin remarquable.

Que Al Ewing soit un meilleur scénariste que Gillen, cela ne fait guère de pli. Cela se traduit par la clarté de son propos et le sérieux qu'il met à l'exprimer. Je ne veux pas dire qu'il faut refuser la légèreté, mais lorsqu'on ambitionne de réaliser une histoire grave, dramatique, la traiter avec distance la dessert plus qu'elle ne la valorise.

Le mois dernier, le premier épisode présentait de manière classique mais très efficace les forces en présence sur et autour d'Arakko. On distinguait trois groupes : Brand et Cable (représentant le SWORD, dont X-Men : Red est la continuation), Sunspot et Thunderbird (des outsiders exilés sur Arakko où ils tentaient de s'établir), et Tornade et Magneto (respectivement régente d'Arakko et retiré de Krakoa, suite aux révélations faites dans Inferno). A la fin de l'épisode, les trois groupes n'en faisaient plus que deux avec Brand d'un côté (et les membres du SWORD : Cable donc, Manifold, Frenzy, Mentallo, Random), et Tornade de l'autre (qui formait une nouvelle Confrèrie des Mutants aux côtés de Sunspot et Magneto).

La raison d'être de ces deux clans : Arakko. Al Ewing a fort bien expliqué en interview que si les lecteurs avaient apprécié sa reprise en main du personnage de Brand dans SWORD, en néo-Nick Fury, capable de toutes les manipulations pour servir son propre agenda (jusqu'à trahir les mutants mais aussi sûrement Orchis), c'est parce qu'elle avait du style et aucun scrupules. Elle magouille et expédie froidement, mais sans avoir été encore démasquée, ce qui suscite sinon l'admiration en tout cas la curiosité.

Pourtant, tout le monde saait que c'est une garce. Elle est au moins aussi mauvaise que Xavier et plusieurs membres du Conseil de Krakoa (qui compte des crapules reconnues). Mais notre intérêt est piqué car comme tous les agents doubles voire triples, on attend de voir quand elle sera découverte et si elle s'en sortira. Un peu comme lorsqu'on regarde un patineur et en attendant sa chute.

Brand, donc, convoîte Mars/Arakko car elle a compris qu'il s'agissait de la plus grosse prise des mutants, une plaque tournante dans leur entreprise expansionniste, mais dont la gouvernance actuelle lui déplaît, car trop diplomatique. Tornade veille sur un peuple guerrier et puissant, une force de frappe à même de bouleverser l'échiquier politique cosmique (égale sino supérieure aux Kree, aux Skrulls, aux Shi'ar), mais dont elle contient les velléités belliqueuses (certains veulent retourner dans le royaume infernal d'Amenth, dans l'Outremonde, où sont repartis Apocalypse, Genesis et les quatre cavaliers ; d'autres veulent libérer Sanguinaria la forêt capturée durant le tournoi de X of Swords).

Tornade comme Sunspot ont compris que Brand avait des projets divergents et ont pactisé avec Magneto, pourtant en retraite sur Arakko, pour reformer une Confrérie de Mutants à même de contrarier et empêcher les plans de Brand. Logiquement, ce deuxième épisode va opposer pour la première fois ces deux parties. Et Al EWing souligne leurs différences de méthodes.

Aidée par un complice extérieur, Brand attire sur Arakko les Ancêtres (Progenitors en vo) pour menacer une communauté d'artistes arakki. Vulcain conduit l'opération de sauvetage et face à la défiance des arakki, s'emporte, ne comprenant pas leur ingratitude. Lorsque Tornade et compagnie arrivent à leur tour sur place, c'est un autre discours puisque le Roi Pêcheur, qui sert de guide à la Confrérie, apaise les arakki et leur demande d'aider Magneto. D'un côté, donc, la force brute. De l'autre, l'entraide.

Auparavant, on a vu Manifold quitter l'équipe de Brand car il la soupçonne de ne pas être franche (on se souvient comme lui qu'elle avait organisé le sabotage de la station 1 du SWORD en mettant en danger le bush australien dont est originaire le personnage). Juste après son départ, Brand compte ses soutiens restants en avouant qu'elle a bien volontairement tué Henry Gyrich : personne ne s'en plaint (même si Frenzy semble gênée), mais Cable, Mentallo, Random et Vulcain ne sont pas du genre à se formaliser de la disparition d'un humain aussi peu recommandable que Gyrich (quand bien même cela contrevient à une des lois sacrées de Krakoa).

Ce qui rend tout ça terriblement excitant, c'est le rapport de force et sa mise à l'épreuve, comme lorsque Vulcain défie Tornade. Deux mutants niveau oméga, mais d'un côté l'un inexpérimenté, dominé par ses passions, de l'autre une leader aguerrie et maîtresse d'elle-même. Brand savait déjà qu'elle ne pourrait affronter frontalement Ororo, elle en a une nouvelle confirmation et imagine une attaque plus subtile, mais aussi plus risquée (quand on découvre qui elle veut éliminer pour infiltrer le Grand Cercle d'Arakko).

Un tel script, si riche, si intense, requiert un artiste capable de lui rendre justice. Là encore, par rapport à Immortal X-Men, la différence est terriblement en défaveur de ce dernier titre. Stefano Caselli a un métier bien supérieur à Lucas Werneck et toutes ses pages en témoignent.

D'abord, contrairement à Werneck, c'est un narrateur accompli, il ne fait pas qu'illustrer un texte brillant, il le porte à incandescence. Dès la scène d'intro, c'est électrique : toute la rage, la frustration et le malaise incarnés par Vulcain sont effrayants. Puis ensuite, Caselli se régale visiblement à animer Brand, cette femme calculatrice, qui est une manager redoutable, sans affect (le départ de Manifold ne la contrarie même pas), et qui dirige ses effectifs en leur cachant l'essentiel.

Lorsque l'action reprend ses droits, on a droit à une séquence brillante. Caselli compose avec la menace des Ancêtres de telle manière que, tout de suite, il le représente comme vraiment puissants, imposants. Ce ne sont pas des adversaires de pacotille, juste là pour le spectacle, ils mettent en difficulté les X-Men de Brand. On ne rigole pas.

Puis l'entrée en scène de Tornade, Magneto, Sunspot et le Roi Pêcheur ajoute à la dramaturgie. Habilement, Caselli les cadre soit en contre-plongée, soit en plans serrés, de telle sorte que le lecteur les voit comme des dieux protecteurs et surpuissants. Leur complicité les rend plus efficaces, rapides. Il humilie les Ancêtres mais surtout l'équipe de Brand. Lorsque Vulcain s'en prend à Tornade, Caselli n'a du coup plus besoin d'appuyer sa démonstration de force : il dessine Ororo en majesté, sans peur face à Gabriel Summers, le raisonnant comme une mère le ferait avec un enfant immature. 

C'est cela, la narration graphique, quand un dessinateur n'a pas besoin d'en rajouter, que chaque plan succède au précédent avec fluidité et fournit à la scène l'impact voulu. En plus, c'est beau, mais c'est presque secondaire car le principal est là : le dessin raconte l'histoire en complément du texte, il sert la situation, la rend plus intense, plus vibrante. La composition des plans atteste que les éléments dans le cadre sont à la bonne place, que le regard navigue de l'un à l'autre facilement et que la chute claque et donne envie de tourner la page. Caselli a ce trait noueux, musculeux, qui donne de la chair aux personnages et de la vigueur aux plans, ce n'est pas lisse, ça ravit les yeux sans chercher à les flatter.

X-Men : Red est vraiment très fort. Al Ewing a pu déconcerter sur SWORD et sa narration où le hors champ en disait autant sinon plus que ce qu'on voyait. Mais là, avec Stefano Caselli, il abat ses cartes et écrase tout. C'est extrêmement satisfaisant et prometteur.