vendredi 20 mai 2022

IMMORTAL X-MEN #2, de Kieron Gillen et Lucas Werneck


Pour ce deuxième numéro de Immortal X-Men, Kieron Gillen change un peu de ton : c'est un épisode riche en action à grand spectacle, mais narré par un personnage différent du mois dernier. Il semble que ce sera le dispositif de cette série. Lucas Werneck dessine tout ça avec application  mais avec des maladresses récurrentes.



Après avoir invoqué un monstre de l'Outremonde, Séléne quitte Krakoa par un de ses portails. Face à la menace, Magneto et Tornade interviennent, en vain. Exodus et Hope les relaient.


Observant la situation depuis son laboratoire, dépité, Mr. Sinstre s'injecte un sérum basé sur les pouvoirs de plusieurs mutants et maîtrise le monstre. Le Pr. X comprend que ce n'est que provisoire.


Pour éloigner la bête, il faut couper son lien avec Séléne. Magik téléporte Hope à Londres où elle est reçue par le couvent Akkaba, prêt à l'intègrer dans leurs rangs.


Abattue par Hope, Séléne est ressucitée et livrée à Exodus qui l'empêche désormais d'invoquer des monstres. Le conseil de Krakoa se retire mais, peu après, Destinée fait un malaise...

C'est un sentiment curieux de lire un épisode qui, objectivement n'est pas mal, du moins meilleur que le précédent, et pourtant de ne pas éprouver plus de plaisir à l'avoir découvert. On n'arrive pas à mettre (tout de suite) le doigt sur ce qui cloche, sur ce qui n'a pas fonctionné pour susciter plus d'enthousiasme, et pourtant on sait qu'on n'a pas été conquis.

En tentant d'analyser cette impression, j'en ai conclu que je n'accrochai tout simplement pas au style d'écriture de Kieron Gillen. C'est un scénariste qui ne m'a jamais complétement convaincu. La seule série qu'il ait écrite et que j'ai appréciée dans sa globalité fut son run sur Young Avengers (dessiné par Jamie McKelvie), où je trouvai qu'il avait réussi à bien saisir les personnages et à les embarquer dans une histoire accrocheuse.

Mais ses passages sur Uncanny X-Men ne m'ont vraiment pas laissé un grand souvenir. Son run sur Journey into Mystery (avec Kid Loki) était meilleur mais souffrait d'être dessiné par des artistes trop inégaux pour rendre justice à l'ensemble. Dans sa production indépendante, si The Wicked + The Divine fourmillait de bonnes idées, j'ai fini par décrocher. Die m'est tombé des mains. Et Once & Future m'a surtout séduit grâce à Dan Mora.

Lorsque son retour chez Marvel, au sein de la franchise X, a été confirmé, j'étais pourtant optimiste, pensant qu'il pouvait tirer son épingle du jeu dans le nouveau statu quo établi par Hickman. Mais après seulement deux épisodes de Immortal X-Men, je reste comme en déhors de la série alors même que j'appelais de mes voeux Marvel à ne pas délaisser les intrigues de palais du conseil de Krakoa.

Il semble que Gillen ait opté pour un dispositif malin pourtant en changeant de narrateur à chaque épisode : le premier épisode avait Mr. Sinistre comme conteur, cette fois il s'agit de Hope, frâichement élue pour intègrer le conseil de Krakoa. C'est un personnage déjà riche : née après le "M-Day" (c'est-à-dire après le fameux "No more mutants" prononcé par la Sorcière Rouge à la fin de House of M), elle devient l'espoir (hope) de la "mutanité". Mais aussi l'enfant à abattre pour tous les ennemis de cette communauté. Cable va la prendre en charge et l'élever dans le futur - un futur apocalyptique qui va l'aguerrir. Aujourd'hui, sur Krakoa, elle fait partie des Cinq, qui ressucitent les mutants.

Concurrente de Séléne et adulée par Exodus qui la considère toujours comme le Messie mutant, Hope se trouve rapidement devant une crise d'ampleur puisque sa rivale magicienne a, vexée, invoqué un monstre pour se venger. Hope organise la riposte... On s'attend donc à ce qu'elle joue un rôle déterminant dans l'épisode, mais Gillen déjoue nos attentes en résolvant le problème de manière décalée, laissant encore une fois Mr. Sinistre faire le show.

C'est cela qui, en fait, s'avère lassant : cette manie de favoriser Sinistre. Que Gillen ait toujours adoré le personnage de Nathaniel Essex, ce n'est pas nouveau (c'était déjà le méchant emblématique de son run sur Uncanny X-Men), mais si encore il l'exploitait de manière originale, ça passerait. Or, on a affaire à une caractérisation lourdingue et des scènes au diapason, juste là pour amuser la galerie. En outre, après Inferno, j'aurai aimé que la crise qui traverse le conseil de Krakoa soit plus au centre de la série, que la série explore les agendas de chacun, souligne désormais la rivalité ouverte entre Xavier et Emma (ici réduite à un bon mot), mais au rythme où ça va, on n'est pas près d'être exaucé.

Ce ne sont pourtant pas les dossiers qui manquent entre donc Xavier, Emma, mais aussi Mystique, Destinée, le fait que Colossus soit un agent dormant de la Russie (manipulé par son frère Mikhail), le fait que Tornade continue de sièger sur Krakoa alors qu'elle gouverne Arakko. Ou le départ de Magneto (qui apparaît dans l'épisode alors qu'il se retirait avec fracas le mois dernier... A ce compte, on peut sérieusement se demander si Gillen se relit !).

Pour ne rien arranger, une série comme Immortal X-Men nécessiterait un dessinateur solide, car elle compte pas mal de personnages en premier lieu. Or Lucas Werneck a beau faire de son mieux, ce n'est pas suffisant. On a trop souvent des individus qui semblent prendre la pose pour la photo dans des images maladroitement composées, avec des valeurs de plans hasardeuses, des angles de vue mal maîtrisés.

Werneck n'a pas un dessin déplaisant, on sent qu'il apprécie ces personnages et veut les rendre séduisants, charismatiques. Mais c'est une chose de dessiner correctement et une autre, bien plus délicate, d'être un narrateur.

Car, dans la bande dessinée comme dans la politique, il ne suffit pas d'être bon, il faut aussi savoir administrer. Vous pouvez mettre un spécialiste de l'économie ou de la culture dans le maroquin ad hoc, si ceux-ci ne savent pas aussi gérer leur budget, il ne seront pas de bons ministres, juste des experts, des théroriciens mais pas des praticiens. Hé bien, dessiner un comic-book, c'est pareil : il ne suffit pas de bien dessiner, il faut savoir utiliser ce talent pour raconter, être un storyteller, savoir traduire en images un script.

Werneck est, disons-le, tout net, assez lamentable en narration. Il pose des personnages, des décors, mais ses cases se suivent sans s'enchaîner harmonieusement, efficacement, ses plans sont traités sans qu'on sente un sens de la mise en scène derrière. C'est joli, mais ça ne fonctionne pas. En fait, il dessine des images mais ne sait pas dessiner une page, qui relève d'une disposition globale, d'un semble complexe, d'un numéro d'équilibre. Pour s'en assurer, il faut toujours être cruel et mettre en vis-à-vis une planche d'un narrateur moyen et celle d'un maître en la matière : le premier impose au lecteur quelque chose de laborieux, de bancal, quand le second vous assure une lecture facile, agréable.

Ce n'est pas bon signe pour la suite quand on s'ennuie au bout de deux épisodes, que ça ne prend pas. Soit le scénariste sort quelque chose de son chapeau qui pique votre curiosité et vous motive à poursuivre, soit le dessinateur fait d'énormes et rapides progrès ou est remplacé par quelqu'un, pas forcément génial, mais plus solide. Deux conditions qui ne semblent pas prévues au programme...

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