lundi 4 avril 2022

IMMORTAL X-MEN #1, de Kieron Gillen et Lucas Werneck


Après quelques tergiversations, j'ai décidé de donner sa chance à cette nouvelle série écrite par Kieron Gillen et dessinée par Lucas Werneck parce que j'aime bien l'idée qu'un titre se  concentre sur le conseil de Krakoa. Ce premier numéro nous met dans l'ambiance tout en conservant une distance ironique avec l'action, narrée par Mr. Sinistre.


Krakoa. Magneto annonce aux membres du conseil qu'il quitte son siège pour s'établir sur Arakko (Mars). Sa décision oblige à chercher un remplaçant. Mr. Sinistre observe cela avec malice.


Après d'autres postulants, Séléné présente sa candidature en argumentant que Apocalypse n'a pas de successeur et qu'elle est immortelle et experte en magie comme lui. 


Mais Hope s'invite à la partie, poussée par Exodus qui la considère toujours comme le Messie mutant. Un vote s'ensuit et Hope l'emporte par six voix contre cinq.


Charles Xavier doit à présent annoncer sa défaite à Séléné. La situation dégénère aussitôt...

Vous remarquerez que ce résumé de l'épisode est un peu différent de que je propose d'habitude. C'est un changement que j'ai décidé afin de préserver davantage l'issue de chaque chapitre, et j'espère que cela vous conviendra.

Cette concision est aussi la traduction de la qualité que j'ai finalement trouvé à cet épisode car Kieron Gillen a beau avoir livré un numéro de 36 pages, son propos est direct et efficace. Je n'étais pourtant pas acquis à la série puisque du même scénariste, je suis assez déçu de l'évolution de Eternals (après un premier arc très réussi) et que le dessinateur, Lucas Werneck, me semble encore perfectible.

Immortal X-Men, toutefois, répond à une des mes attentes, à savoir une série sur le conseil de Krakoa. Ce gouvernement mutant imaginé par Jonathan Hickman est, à mes yeux, un élément de la franchise X que Marvel aurait eu tort de négliger, et j'estime que c'est, encore plus depuis Inferno, une source d'intrigues avec un grand potentiel.

Bien entendu, j'aurai préféré que Hickman reste et écrive lui-même Immortal X-Men, qui ressemble énormément à une idée qu'il a légué au staff éditorial. Aussi je compte fort sur Gillen pour ne pas la gâcher. Ce début est en tout cas encourageant.

Le scénariste débute par un flashback très curieux situé en 1919 à Paris, avec Nathaniel EssexMr. Sinstre et Irene Adler/Destinée. Cette dernière évoque une guerre à venir à laquelle son interlocuteur compte bien assister du côté des vainqueurs. Mais la médium mutante semble parler d'un conflit encore plus lointain et terrible, concernant leur race. Elle glisse alors quelques mots (imperceptibles) à l'oreille d'Essex qui succombe à une attaque.Raven Darkholme/Mystique arrive et Irene Adler et elle se retirent.

Le sens de ce flashback est nébuleux, mais c'est un hameçon malin pour éveiller la curiosité du lecteur qui sait qu'il devra suivre la série pour savoir ce que Destinée a pu dire à Sinistre. Par ailleurs, le fan des X-Men depuis sa refonte par Hickman aura reconnu avec cette scène une parodie habile de l'introduction de Powers of X #1, avec Charles Xavier abordé par Moira MacTaggert avant qu'elle ne lui ouvre son esprit et qu'il n'apprenne le secret de ses pouvoirs.

Le récit fait un bond conséquent jusqu'à nos jours, sur Krakoa. Magneto annonce à ses pairs du conseil qu'il quitte son siège pour s'installer sur Arakko (Mars colonisé par les mutants et refuge désormais des arakki). A partir de là, Gillen déroule sa pelote avec une fluidité remarquable : la situation déclenche moult réactions et oblige à trouver un remplaçant. On assiste donc à un défilé de postulants et surtout à la révélation, attendue, que chacun dans le conseil suit désormais son propre agenda.

Depuis Inferno, et même depuis X of Swords et le départ de Apocalypse, cette crise couvait et éclate au grand jour maintenant. Il est alors bon de rappeler que le conseil de Krakoa est divisé en quatre trios : l'Automne avec Xavier, Magneto et Destinée (qui a pris le siège laissé vacant pat Apocalypse) ; l'Hiver avec Diablo, Tornade et Colossus (dont tout le monde ignore qu'il est manipulé mentalement par son frère Mikhail) ; le Printemps avec Emma Frost, Sebastian Shaw et Kitty Pryde ; et l'Eté avec Sinistre, Exodus et Mystique. 

Le départ de Magneto fragilise encore un peu plus Xavier, tandis que Emma Frost, en colère après les deux fondateurs de Krakoa, entend bien en profiter. Diablo et Tornade ignorent donc que leur ami Colossus n'est pas lui-même. Et Sinistre joue la comédie à Exodus (qui le déteste) et Mystique (qui soutient Destinée). Cet écheveau est un fantastique réseau relationnel où plus que jamais chacun joue pour avoir un peu plus de pouvoir, d'influence. Exodus va, le premier, tenter d'en tirer parti en poussant Hope à postuler car il croit sincèrement en elle, la considérant toujours comme le Messie mutant. C'est sans compter sur Séléné, qui a des arguments très recevables pour se faire élire (elle est immortelle, adepte des arts occultes, estime que Apocalypse n'a pas été remplacé).

Le résultat du vote est serré et prouve bien que tous les coups sont permis. Gillen se permet de traiter cette scène avec rouerie et sur le ton de la comédie puisque c'est ainsi qu'est désormais caractérisé Mr. Sinistre. Toutefois, derrière le bouffon qui aime s'écouter penser et croit avoir plusieurs coups d'avance, se cache un vrai manipulateur dangereux, et la toute dernière page nous révèle ce qu'il cache et qui ne manquera pas de sidérer les lecteurs.

Ma seule réserve, pour ne pas dire mon appréhension, réside dans le fait que la narration via Sinstre ressemble beaucoup à celle de la Machine dans Eternals. Gillen répéte sans scrupules ce procédé, qui certes permet de donner une certaine distanciation à l'histoire (d'aucuns diraient une sorte de méta-textualité, mais ne poussons pas trop), mais qui peut aussi s'avérer un peu lourdingue sur la longueur. Je préférerai en tout cas que la série ait une vraie gravité et ne sombre pas dans la farce car, comme je l'écrivais plus haut, les enjeux, politiques, humains, requièrent une exigence dans le traitement.

Mon autre méfiance concerne Lucas Werneck. C'est un dessinateur clairement en devenir. C'est-à-dire qu'il dessine bien mais qu'il n'est pas franchement pas un narrateur accompli - c'est d'ailleurs le cas d'autres artistes sur la franchise (comme si Marvel, d'un côté, couvait les X-Men auxquels Hickman a redonné de la vigueur, mais de l'autre côté rechignait à placer des artistes solides sur les titres).

Un exemple frappant de la tendreté de Werneck, c'est son incapacité à composer correctement ses plans et à découper ses scènes de façon efficace. Plus habile à designer des looks (par ailleurs élégants) aux personnages qu'à les doter d'expressions nuancées et à les disposer harmonieusement dans l'espace de chaque plan et que chacun de ces plans forment un ensemble compact, Werneck donne cette impression laborieuse d'un artiste qui dessine au fur et à mesure, sans cencevoir ses planches dans leur totalité. Du coup, on a l'impression que, dès qu'il ne cadre pas rigoureusement (par exemple autrement qu'avec des gaufriers, une forme certes rigide mais qui évite de s'éparpiller), ses fins de page tombent systématiquement à plat, alors que n'importe qui sait que c'est précisèment là que l'artiste doit donner envie de tourner la page.

Il paraît aussi évident que Werneck n'est pas doué pour l'encrage. Aujourd'hui beaucoup de dessinateurs se passent d'encreurs, pensant sans doute que c'est un gain de temps et de contrôle sur leur art. Pourtant quand on a encore des progrès à faire, s'appuyer sur un bon encreur permet rendre la lecture plus agréable et le dessin plus solide. Ici, les jeux de textures et les différences de consitance entre premiers et arrière-plans ne sont pas suffisamment distincts et le dessin tout entier manque de saveur, de relief, ce que souligne une colorisation assez fade (étonnant de la part de David Curiel).

Mais Werneck, je le parie, ne fera pas long feu sur la série (il est déjà remplacé sur le #4, par Michele Bandini, ce qui n'est pas beaucoup mieux mais bon). C'est dommage encore une fois que Marvel ne donne pas à Immortal X-Men un dessinateur plus confirmé (pas forcément une vedette - pas plus dans les comics que dans le foot, les vedettes ne font obligatoirement la différence).

En tout cas, entre la réaction de Séléné et ce qu'on découvre du côté de Sinistre, plus les tensions entre Xavier et Frost, le cas Colossus, il y a de quoi faire de Immortal X-Men une série vraiment intéressante. Croisons les doigts pour que Gillen n'en fasse pas n'importe quoi. D'ici au #4 (qui correspondra au prologue de l'event Judgment Day), on devrait être fixé.

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