mardi 5 avril 2022

BATMAN : KILLING TIME #2, de Tom King et David Marquez


Comme dirait Edward Nygma, Batman : Killing Time est un mystère dans une énigme. Tom King prend un malin plaisir à raconter son intrigue de façon décousue pour nous inviter à reconstituer un puzzle. Il faut (un peu) s'accrocher, mais c'est tout de même jubilatoiren surtout que c'est aussi très beau grâce au dessin de David Marquez.
 

D'abord, le Joker confia à Catwoman qu'après avoir réussi à pièger Batman et à lui injecter un sérum de vérité, il a appris un de ses secrets. Elle le partage avec le Sphinx.


Tous deux sont arrêtés peu après lors d'un braquage d'une bijouterie. Envoyés à l'asile d'Arkham, Edward Nygma élabore un plan en exploitant le secret de Batman et convainc Catwoman de l'aider.


Leur méfait accompli, le Sphinx, qui avait convenu de transiger avec le Pingouin, lui ôte sa confiance et le roue de coups. Batman, mis au courant de l'état d'Oswald Cobblepot, obtient son dossier médical.


Batman décrypte en lisant le compte rendu post-opératoire du Pingouin un message laissé intentionnellement par le Sphinx et qui le conduit à la planque qu'il partage avec Catwoman...

Le résumé ci-dessus remet dans l'ordre chronologique l'essentiel du contenu de cet épisode. Ne croyez pas cependant que je vous dis tout ni que sous cette forme l'intrigue mijotée par Tom King soit plus sibylline.

Selon l'humeur, on peut accepter, ou non, de se laisser rouler dans la farine. C'est un des plaisirs du récit policier quand l'auteur s'amuse à égarer le lecteur pour dissimuler ses intentions ou le véritable dessein de l'histoire. C'est le principe de Batman : Killing Time.

Si King ménage ses effets sur les références antiques, avec le meurtre sauvage du roi Penthée de Thèbes par les Ménades (des adoratrices de Dyonisos), car il sait que cela déroutera le lecteur, il narre le reste de son scénario en l'éclatant. En allant et venant dans le temps, de quelques jours à quelques semaines avant le casse commis par le Sphinx et Catwoman, exposé dans le précédent numéro, nous apprenons, dans le désordre, comment ce méfait s'est produit.

Bien entendu, et c'est la partie la plus convenue, le Joker ne pouvait pas être absent de cette affaire. Il est alors bon de rappeler que Batman : Killing Time se situe dans les premières années d'exercice de Batman. L'asile d'Arkham par exemple vient d'être ouvert, les relations entre le dark knight et le commissaire James Gordon sont encore balbutiantes, Catwoman est une voleuse et le Sphinx un criminel, le Pingouin déjà un caïd, Killer Croc un homme de main.

Une fois tous ces éléments en mémoire, on saisit et on savoure mieux ce qui suit. On n'a donc pas affaire à un über-Batman façon Grant Morrison qui anticipe tout tel un maître d'échecs, mais plutôt un détective masqué et capé qui tâtonne, et qui inspire des réflexions diverses chez ses alliés et ses ennemis. Ainsi Gordon n'en est encore qu'à envisager d'accorder l'accès aux détenus d'Arkham à ce justicier tandis que Catwoman vit dans l'appréhension constante d'être rattrapé par lui et que le Sphinx le voit comme une énigme sadique dont il n'a percé le sens.

Cela justifie aussi l'attitude de Vera Miles, la petite amie de Croc, qui dilapide sans prudence l'argent qu'il lui a confiée, peu intimidée par Batman qui l'attend chez elle mais qui s'y est introduit par effraction (et qui pourrait avoir à en répondre à la justice). Dans ces moments-là, il y a un plaisir exquis à lire la manière, inédite, dont King s'empare du personnage qu'il a, jusqu'alors, animé dans une version plus expérimentée.

De la même manière, on sent bien chez Catwoman et le Sphinx une sorte de fébrilité (inquiète chez elle, excitée chez lui) à avoir réussi un coup fumant tout en devant refourguer leur butin avant que Batman ne les retrouve. On peut cependant penser que Edward Nygma va trahir Selina Kyle puisqu'il a laissé des indices derrière eux - que Batman va savoir traduire (et qui sont particulièrement retors).

Cette mini-série est donc diablement séduisante, par sa capacité narrative à nous ferrer, mais aussi par sa qualité graphique. David Marquez est en grande forme et insuffle à ce projet un dynamisme remarquable. Il imprime au script un sens de l'espace complémentaire avec celui sur le temps exploité par King.

S'il a recours à l'occasion aux "gaufriers" chers au scénariste, Marquez se distingue en composant des images au format généreux, qui colle à l'ambiance cinématographique. Tout est fait, dans ce dessin, pour divertir, des angles de vue aux valeurs de plans. Parce qu'il dispose d'un casting de personnages quatre étoiles, Marquez s'amuse visiblement beaucoup à en donner des représentations charismatiques.

Batman apparaît comme un héros encore en progression, qui fait usage de la violence pour obtenir des renseignements rapidement. Catwoman, elle aussi, est mue par une impatience croissante, n'hésitant pas à rudoyer le Sphinx, trépignant en attendant le mystérieux acheteur que Nygma a trouvé, mais exposant aussi sa vulnérabilité quand elle est montrée, brisée, dans sa cellule capitonnée à Arkham. 

A contrario, le Sphinx brille par sa suffisance, et Marquez insiste pour le dessiner comme un voyou plein de charme mais aussi brutal et féroce. Enfin, Vera Miles emprunte à la figure plus classique de la femme fatale pour qui les hommes perdent la tête mais qui court aussi à sa propre perte.

Le tout baigne dans des couleurs chaudes, signées Alejandro Sanchez, imprimant à l'ensemble une sensualité vénéneuse. Tout ça est quand même assez imparable.

Fort de toutes ces qualités, Batman : Killing Time confirme la bonne impression de son premier numéro et affiche un gros potentiel. Tous ceux qui croyaient que Tom King ne savait écrire le dark knight que d'une seule manière en seront pour leur frais. Les autres peuvent investir en confiance dans cette mini-série.

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