vendredi 15 avril 2022

FLASHPOINT BEYOND #0, de Geoff Johns et Eduardo Risso


Et c'est parti pour Flashpoint Beyond ! Cet event, un peu à la marge, marque le grand retour de Geoff Johns, qui s'est fait discret chez DC (au profit de ses creator-owned chez Image Comics). Le scénariste revisite, onze ans après, Flashpoint, qu'il avait déjà écrit, fidèle à ses lubies de structurer le DCU, mais désormais dans son coin. Pour ce numéro 0, en forme de prologue, il collabore pour la première fois avec Eduardo Risso. Un début accrocheur, mais qui nécessite d'avoir révisé.


En compagnie du Mime et de Marionnette, Batman s'introduit dans le repaire abandonné de Rip Hunter où il dérobe une boule à neige. Il s'apprête à bouleverser la continuité, malgré les mises en garde de ses paertenaires.


Thomas Wayne se réveille à son bureau. Harvey Dent le menace de l'envoyer derrière les barreaux s'il ne va pas parler à sa femme, enfermée à l'asile d'Arkham. Wayne ne comprend comment il peut être de retour dans son monde qui a été détruit.


Pour tenter de réparer cette anomalie, il va voir Barry Allen et lui raconte comment, en tant que Flash, il avait fait irruption dans cette réalité pour sauver sa mère. Il doit à nouveau intervenir. Mais Allen le prend pour un fou.
 

Déguisé en Batman, Wayne transporte Allen sur le toit du plus haut immeuble de Gotham avec le projet de répéter l'accident qui conféra ses pouvoirs à Flash. Mais l'opération est sabotée et coûte la vie à Allen.


Au même moment, Harvey Dent est victime d'un attentat. Batman sauve son fils et se lance à la poursuite de l'agresseur, un atlante, qui sait ce que tente de faire le justicier...

D'abord, revenons sur Flashpoint, édité en 2011, écrit par Geoff Johns et dessiné par Andy Kubert : cet event a donné naissance à l'ère DC New 52, sorte de reboot de la continuité avant les corrections effectués cinq plus tard lors de DC Rebirth. Mais que racontait Flashpoint déjà ?

On peut rapprocher cet event de Age of Apocalypse chez Marvel : un beau matin, Barry Allen (Flash) se réveille dans un monde bien différent de celui dans lequel il vivait et où la Force Véloce (la source de ses pouvoirs) n'existe plus. La Terre est le théâtre d'une guerre entre amazones et atlantes (donc entre Wonder Woman et Aquaman) qui a ravagé l'Europe. Allen va tout faire pour corriger les choses en retrouvant ses camarades de la Justice League, à commencer par Batman... Qui, dans cette réalité, est Thomas Wayne (Bruce a été assassiné à la place de ses parents dans Crime Alley et Martha Wayne est devenue le Joker). Personne ne se rappelle de Flash qui, lui-même, risque de perdre la mémoire. Mais d'autres héros se souviennent d'avant...

Dans cette saga, Johns faisait feu de tout bois, même si, entre le moment où il avait teasé son histoire (dans la série Flash) et la parution de Flashpoint, un an s'écoula au cours duquel le staff éditorial de DC réfléchit à refonder sa continuité, obligeant le scénariste à adapter son intrigue pour permettre ce tournant. Il n'empêche, même avec ces changements, Flashpoint fut un succès, d'abord parce que c'était une histoiré étonnamment abordable (malgré des références parfois pointues - comme la guerre entre amazones et atlantes, inspirée par un arc de Wonder Woman en 1974).

Pourquoi Geoff Johns revient-il aujourd'hui dans le monde de Flashpoint ? En vérité la bonne question à se poser serait plutôt : pourquoi n'y est-il pas revenu plus tôt ? En onze ans, l'étoile de l'ex-grand architecte du DCU a pâli. Il a tenté lors des New 52 de réconcilier l'ancien et le nouveau monde, sans vraiment y arriver, et même promu au sein de la hiérarchie éditoriale de DC, il a dû composer entre Dan Didio et Jim Lee, qui prenaient les décisions finales. Ajoutez à cela la polémique autour du film Justice League, enflée par les déclarations incendiaires de Ray Fisher accusant Johns de racisme. Lorsqu'on est passé à l'ère DC Rebirth, Johns a comme laissé tomber et fini par se tourner vers Image pour créer son propre univers de poche à partir de la série Geiger (dessinée par son complice Gary Frank), ne revenant à la maison que pour des récits par ailleurs controversées (3 Jokers, Doomsday Clock), où il apparaissait comme obsédé par l'héritage d'Alan Moore et la volonté d'intégrer ce qu'avait écrit ce dernier hors continuité à l'ensemble dont, lui, rêvait.

Peut-être que l'émergence du Black Label n'est pas étrangère à la décision de Johns de ranimer le monde de Flashpoint, quand bien même Flashpoint Beyond n'est pas édité au sein de ce label. Mais le scénariste a dû comprendre que ses confrères qui l'avaient investi pouvaient y raconter des histoires sans s'astreindre à la marche des séries mensuelles régulières. Dans ces conditions, réécrire du Flashpoint, c'était s'inscrire dans ce mouvement, à la marge tout en rappelant que ce fut le point de départ de la révolution entamée par DC.

Enfin, Flahspoint a essaimé sans Johns comme en témoigne le crossover Batman/Flash : The Button par exemple. Et surtout, ironiquement, Flashpoint a existé avant Johns puisqu'en 1999 il y a eut un récit "Elseworlds" du même titre (avec une intrigue certes différente). Qouiqu'il en soit Johns av ait voulu grâce à Flashpoint donner à Flash l'équvalent de ce qu'il avait réussi à produire pour Green Lantern : un point culminant, rappelant l'importance historique du speedster.

Beyond démarre de la même manière que Flashpoint : Thomas Wayne se réveille dans un monde qu'il croyait détruit. Seul lui se souvient de la fin de cette réalité et il part en quête d'une solution pour réparer cette anomalie. Il commet tout de suite des choix hasardeux, précipités, tout en renouant avec un contexte familier (la guerre amazones-atlantes, les héros officiels, sa femme devenue folle comme celle de Harvey Dent, le deuil impossible de son fils). Encadré par un prologue et un épilogue avec "notre" Batman qui pille le repaire de Rip Hunter et est mis en garde par un des Maîtres du Temps, le récit accroche facilement et rapidement. Tout en proposant des idées "Johnsiennes" uniques.

Car, au fond, le scénariste n'a pas encore tout à fait renoncé à structurer le DCU. S'il ne peut le faire directement (après Scott Snyder et maintenant Joshua Williamson, en passant par Grant Morrison), il cartographie son éternel projet comme s'il souhaitait que ses successeurs s'en inspirent. Parce que Johns a un remarquable esprit de synthèse et une culture encyclopédique ainsi qu'un amour profond pour cet univers.

Dans les premières pages de Flashpoint Beyond, on voit Batman (Bruce Wayne) examiner un tableau qui fait évidemment penser à celui découvert par Booster Gold dans 52, avec des inscriptions propres à faire phosphorer n'importe quel fan et à alimenter les fantasmes d'un DCU résumé. Et ça commence par les initiales DC que Johns traduit par Divine Continuum. De là découlent l'Omnivers, d'un côté (soit l'espace géographique du DCU) et l'Hypertemps (la dimension temporelle du DCU). L'Omnivers débouche sur le Multivers, le Dark Multivers et la Sphère des Dieux. Tandis que l'Hypertemps se divise entre le Vanishing Point et les Lîmbes. Même si tout ça vous semble nébuleux, ou même vous échappe ou vous semblent inutile, dîtes-vous simplement qu'il s'agit d'une sorte de meubles à tiroirs contenant les outils organisant le DCU et donc expliquant les Terres parallèles, donc le monde de Flashpoint. En une image, Johns concentre ce que Joshua Williamson, Scott Snyder et Grant Morrison ont voulu établir dans Infinite Frontier, Metal/Death Metal et Final Crisis : une sorte de document de synthèse, de rapport quasi-officiel qui mettraient des mots sur des concepts permettant d'apprécier le joyeux bordel du DCU depuis les années 50 et l'avènement du Silver Age.

Tout ça m'a fait penser aux data pages dans House of X/Powers of X de Hickman et je me suis dit que si Johns avait eu l'ambition plus modeste, il aurait dû faire pareil chez DC avec quelque chose d'aussi dense, et c'est sans doute ce qu'il a(vait ?) en tête avec son projet de reprise de Justice Society (avec Bryan Hitch), sorte de troisième acte après JSA et Justice Society of America.

Pour en revenir à nos moutons, il faut aussi parler d'Eduardo Risso, un artiste avec lequel Johns comptait travailler depuis longtemps et qui, lui aussi, revient à l'univers de Flashpoint. En effet, en 2011, il avait signé les dessins de Flashpoint : Batman Knight of Vengeance, écrit par son fidèle compère Brian Azzarello, un des meilleurs tie-in de l'event.

Risso renoue donc avec Thomas Wayne comme s'il l'avait littéralement quitté hier (alors que depuis le personnage a fait du chemin, dans le Batman de Tom King et Justice League Incarnate de Joshua Williamson). Ses planches sont formidables, d'un expressionnisme sensuel et élégamment inquiétant. Certes, il est parfois léger sur les décors qu'il aime engloutir dans des à-plats noirs profonds, comme seul lui sait en produire, avec cette influence Frank Miller.

Mais Risso est un narrateur graphique exceptionnel, capable d'organiser des pages avec une sensibilité unique, enrichi par ses productions indépéndantes (avec Azzarello toujours), et au contact d'artistes européens (comme Christian Rossi, qui l'a souvent aidé pour ses couleurs). C'est un faiseur d'images mémorables, un créateur d'ambiances fabuleux, dont la complicité avec la coloriste Trish Mulvihill est exceptionnelle. Celle-ci travaille encore à l'ancienne, avec de l'aquarelle, et cela apporte une luminosité et des textures sublimes. On ne voit vraiment pas ça souvent.

La suite promet d'être tout aussi jolie puisque Xermanico dessinera les six prochains numéros, avec Romulo Fajardo aux couleurs. Sans qu'on sache très bien quelle importance auront leurs contributions, Jeremy Adams et Tim Sheridan assisteront Johns à l'écriture de ce qui promet d'être un event passionnant. En tout cas, ce n° 0 donne envie - bien plus, pour ma part, que le prochain Dark Crisis... A vous de faire votre choix.

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