samedi 15 janvier 2022

KING OF SPIES #2, de Mark Millar et Matteo Scalera


Après ses débuts tonitruants, King of Spies se devait de ne pas mollir. Et on peut compter sur Mark Millar pour ne pas lever le pied. Roland King, son héros, poursuit sa mission avec toujours la même dextérité et c'est joussif. Matteo Scalera pète le feu et signe des scènes complètement folles. Alors, oui, ça ne vole pas haut, mais on s'en fiche !


Engagé dans une série d'exécutions contre tous ceux qu'ils considéèrent comme des nuisibles mais contre lesquels sa hiérarchie l'a empêché de lutter, Roland King accumule les meurtres, sans se soucier de couvrir ses traces. Il s'apprête même à frapper une cible importante.


Bien entendu, son ami Figgy reconnaît sa signature sur les crimes qui s'accumulent. Il n'a pas d'autre choix que de réagir après avoir tenté en vain de contacter Roland, qui ne répond plus. Atticus King, le fils de Roland, est sollicité et il accepte avec joie la mission d'arrêter son père.


Cependant, donc, Roland a réussi à se glisser au sein de l'équipage de Air Force One, l'avion du président des Etats-Unis. Il l'abat froidement d'une balle dans la tête devant ses conseillers puis saute de l'avion qu'il fait sauter.


Un garde du corps arrive à le rattraper dans leur chute et tente de l'éliminer. En voyant un hélicoptère, Roland se dirige vers lui et les pales de l'appareil déchiquètent le bodyguard. Roland déploie son parachute. A Heathrow, Atticus joint deux anciennes victimes de son père pour l'aider à le stopper...

Mark Millar a renoncé depuis un moment à écrire de grands comics. Parfois, il s'investit davantage dans un projet (The Magic Order, Jupiter's Legacy), mais la plupart du temps il rédige des scripts à la chaîne, sans cacher qu'ils sont destinés à être adaptés en séries ou en films pour Netflix, qui a racheté son label Millarworld.

Cela lui vaut le reproche, récurrent, de ne plus réaliser que des bandes dessinées comme des storyboards luxueux. Pourtant, sa démarche à le mérite de l'honnêteté et de la clarté : on sait ce qu'on achète et on sait que ça ne va pas en rester là. Millar pense une histoire en réfléchissant aux différents supports qui la feront vivre et, contrairement à Alan Moore qui défend la BD comme un média qui se suffit à lui-même et ne gagne rien de plus à être transposé pour le petit ou le grand écran, Millar, lui, estime que le comic-book n'est qu'un support parmi d'autres.

Ainsi, King of Spies est conçu comme un récit pour une publication papier, puis une mini-série pour Netflix. Il est vain de râler après ça, c'est comme ça, et encore une fois, Millar ne prend personne en traître. En outre, si vous n'êtes pas attiré par la future série en live action, vous pouvez vous contenter des comics, qui se suffisent à eux-mêmes et sont très divertissants.

King of Spies est une mini-série d'autant plus radicale en somme que son pitch est minimaliste. C'est un pur exercice de style sur le thème de la vengeance, de la dernière mission. Son héros, Roland King, est un homme âgé et mourant, condamné par la médecine, et cet ancien espion s'est engagé dans une entreprise désespéré, absurde : débarrasser le monde d'ordures qu'il n'a pas pu éliminer à cause de sa hiérarchie. Il pense que sans eux tout ira mieux.

Bien entendu, c'est grotesque. Dégommer des salauds ne règle rien, surtout pas définitivement. On ne met pas fin au Mal en tuant quelques vilains. Qui plus est, King cible des individus de diverses importances, du chanteur pop toxicomane au président des Etats-Unis. Son combat a quelque chose de dérisoire... Vous voyez à qui il ressemble ? A Don Quichotte qui se battait contre des moulins à vent qu'il prend pour des géants.

Mais Millar n'est évidemment pas Cervantés. Il est plus cynique et expéditif. Roland King n'est pas un preux chevalier avec une noble quête : c'est un vieil homme agonisant et rageur, un mauvais père et un mauvais mari (un flashback montre comment il préférait passer la nuit de Noël avec deux prostituées au lieu d'être aux côtés de sa femme et de leur fils). Il est donc antipathique et stupide et on suit ses aventures avec les yeux écarquillés, ahuri devant sa bêtise. En vérité, on jurerait qu'il cherche à se suicider ou se faire tuer plutôt qu'à faire le ménage.

Et donc, d'une manière mécanique, Millar va lui envoyer son propre fils pour le stopper. Atticus ne vaut pas mieux que son père, c'est également un espion sans foi ni loi, et il se fait une joie à l'idée de buter ce père qu'il déteste pour l'avoir négligé. Il recrute d'ailleurs pour l'aider deux des anciennes victimes de Roland, qui n'ont donc pas besoin de motivation pour répondre positivement à Atticus.

Matteo Scalera s'amuse visiblement beaucoup à dessiner ce jeu de massacre. Son job est simple mais ça ne veut pas dire qu'il est facile : il faut rendre l'action divertissante, sans se répeter, ni avoir peur d'en faire de caisses. Mais ça tombe bien : Scalera est un narrateur génial.

En effet, son dessin, qui flirte avec le cartoon, possède un dynamisme incroyable. Même quand il représente les personnages "au repos", il varie les angles de vue, la valeur des plans, et soigne ses compositions de telle sorte que le lecteur est comblé par le soin apporté à l'image.

Mais quand le scénario s'emballe et joue la carte du grand spectacle, Scalera est encore meilleur. Il ne faut pas chercher le réalisme car l'histoire est invraisemblable. En revanche, il convient de faire attention à ce que tout reste lisible, y compris quand il s'agit de déchiqueter un garde du corps présidentiel avec un hélico ou de faire sauter le plancher d'une planque où sont positionnés deux tueurs.

On pourrait faire le reproche à Scalera de consacret trop de pages à tout ça, mais ne soyons pas bégueules : c'est tellement bien fait et le programme de King of Spies est tellement élémentaire qu'on ne lit pas ça pour la psychologie. En fin de compte, cette exubérance visuelle permet de rendre digeste un récit qui, par son outrance, serait insupportable s'il était traité visuellement de manière réaliste.

Il y a quelque chose d'insensément méchant et drôle dans cette mini-série, too much. C'est une farce et si on choisit d'en rire, alors c'est jubilatoire. Sinon ? Passez votre chemin.

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