jeudi 23 décembre 2021

SUPERGIRL : WOMAN OF TOMORROW #6, de Tom King et Bilquis Evely


Tom King a déclaré qu'il était "très fier" de ce sixième épisode de Supergirl : Woman of Tomorrow. S'il a dit ça en pensant au travail abattu par Bilquis Evely, il a raison : c'est effectivement splendide. Mais son script n'est pas mal non plus car il faut apprécier ce qu'il raconte au-delà d'une simple course-poursuite qui occupe la moitié de l'épisode.


Ruthye et Supergirl se déplacent sur la planète Urrralann où a été vu Krem des collines jaunes. Durant le trajet, parce qu'elle n'est pas sûre de pouvoir vaincre le criminel du père de la jeune fille, Supergirl lui raconte ses origines.


Krem lance son second globe de Mordru contre Supergirl qui fuit et enfourche son cheval, Comète, galopant dans l'espace pour semer l'arme. Autrefois, Supergirl a assisté à la destruction de Krypton et erré avec la ville d'Argo autour de laquelle son père avait fait ériger un dâme protecteur.


Cela ne suffit pas et les habitants moururent, victimes des radiations cosmiques. Après avoir perdu sa femme, Zor-El conçut une navette pour évacuer sa fille. Supergirl atteint un zone où la magie du globe de Mordru s'éteint et elle le détruit.


Au moment de quitter Argo City et son père, Kara promet d'"être bonne", selon le souhait de sa mère. Elle survivra. Supergirl rejoint Ruthye et elles s'approchent de Krem. Il tire une flèche sur elle, que Supergirl intercepte...

Tom King aime bien les défis un peu stupides le temps d'un épisode. Plus généralement, son écriture est souvent animée par des challenges narratifs et formels, ce qui lui vaut soit l'appréciation de ses fans, soit les quolibets de ses détracteurs (qui l'accusent de s'écouter parler, de se regarder écrire, comme ivre de ses mots). 

Ce sixième épisode de Supergirl : Woman of Tomorrow est typique de l'écriture de King. La première impression qui s'en dégage une fois terminé, c'est celle d'avoir lu une longue course-poursuite avec Supergirl montant le cheval Comète pour semer le globe de Mordru. C'est visuellement splendide, grâce aux planches merveilleuses de Bilquis Evely et aux couleurs enchanteresses de Matheus Lopes, qui se surpassent à nouveau pour représenter l'espace constellé d'innombrables étoiles, passant devant un soleil si flamboyant que vous aurez l'impression de sentir ses flammes, pour finir dans une sorte de nébuleuse annulant les pouvoirs de l'artefact dans une ambiance lunaire et fascinante.

Tom King a salué la performance (car c'en est une) de sa dessinatrice en ironisant sur le fait que les artistes de comics américains n'aiment pas dessiner les chevaux, mais qu'elle y arrive parfaitement, puis ajoutant qu'il existait plus difficile : dessiner des chevaux avec un personnage portant une cape. Et là encore, Bilquis Evely accomplit cela avec un talent extraordinaire.

L'artiste, qui travaille à l'ancienne (c'est-à-dire avec un crayon, en s'encrant à la plume et au pinceau), donne une texture fantastique à ses images. La vitesse du galop, les paysages sidéraux, les sensations éprouvées par Supergirl durant sa course folle sont traduites avec une précision luxuriante. Evely créé des pages qui ressemblent souvent à des tableaux quasi-surréalistes, et les couleurs de Lopes soulignent ce sentiment avec une palette exubérante, qui flirte avec le criard sans jamais y sombrer. Il y a là quelque chose de grisant parce que c'est un spectacle unique, une expérience visuelle, esthétique peu commune.

Mais tout cela a son revers : celle d'une certaine superficialité narrative, du tout pour l'image et pas grand-chose pour le récit. C'est pourtant là que naît le malentendu.

Car, s'il y a effectivement un côté exercice de style, une carte blanche donnée à l'artiste, le scénario de King possède une double couche qui entraîne l'épisode dans une autre dimension. En effet, en parallèle de cette cavalcade, l'auteur revient en voix-off sur les origines de Supergirl.

Pourquoi ? Là aussi, si on lit vite, on est tenté de penser que c'est pour gagner du temps, faire du remplissage. Mais c'est une erreur. Ruthye, qui est la narratrice de la série, explique que Supergirl entreprend de lui raconter son passé à la veille d'une nouvelle confrontation avec Krem des collines jaunes, dont la kryptonienne n'est plus sûre de venir à bout. Après tout, le malfrat est redoutable, il a réussi à l'envoyer sur une planète avec un soleil rouge, où Kara Zor-El a failli mourir dans un environnement très hostile.

Mais surtout, King dresse un parallèle entre Supergirl et Ruthye tout au long de sa série et il le justifie pleinement dans cet épisode. Elles sont toutes deux des survivantes, mues par un désir d'être dignes de ceux qu'elles ont laissés derrière elles. Ruthye veut venger son père, assassiné. Supergirl, honorer la mémoire de sa mère qui, sur son lit de mort, lui avait promettre d'"être bonne".

Contrairement à son cousin Kal-El/Superman, Supergirl n'a pas quitté Krypton avant sa destruction. Son père avait fait édifier autour de la ville d'Argo un dôme protecteur qui a permis à la cité de dériver dans l'espace après que Krypton ait implosé. Mais cela n'a pas suffi à préserver les habitants de radiations mortelles, à commencer par sa femme. Il a ensuite improvisé des renforts à ce dôme, qui a fait gagner quelques mois aux survivants. Puis il a construit une navette pour sauver sa fille. Au moment du départ, il lui a rappelé les mots de sa femme, "sois bonne".

Etre bonne : voilà une formule qu'on peut interpréter de bien des manières. Il peut s'agir de faire preuve de bonté. Ou d'être excellente. Supergirl est une fille qui veut être les deux. Et l'enseigner à Ruthye en espérant qu'elle oubliera de vouloir réparer la mort de son père en tuant Krem des collines jaunes. A moins que Supergirl oublie cette fois d'être bonne car Krem a empoisonné Krypto et qu'elle lui en veut pour cela au moins autant que Ruthye. La conclusion de la série (dans deux mois) révélera si Supergirl est bonne comme le souhaitait sa mère, au point de pardonner et/ou d'empêcher une vengeance mortelle...

Alors, oui, ce sixièe épisode est bavard, apparemment artificiel. Mais il est aussi intense, poignant. C'est du Tom King pur jus. Et du grand Bilquis Evely. 

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