Dark Knights of Steel est sans doute le projet le plus ambitieux de Tom Taylor, le talentueux scénariste qui préside actuellement à la destinée de Nightwing. Amoureux des récits complets "Elseworlds", il entreprend ici une saga en douze chapitres où il transpose à l'âge médiéval le DCU. Et c'est une idée brillante ! Pour mettre cela en images, il a convaincu la cover-artist Yasmine Putri de dessiner pour la première fois les pages intérieures, d'une beauté renversante.
Jor-El et Lara Lor-Van, enceinte, quittent Krypton juste avant son implosion à bord d'une petite capsule. Celle-ci s'écrase sur Terre, près d'un château fort. Alors que le travail de Lara a commencé, Jor-El repousse des chevaliers venus à leur rencontre puis met au monde son fils, Kal-El.
Au même moment, dans la demeure de Lord Jefferson, Constantine, en transe, annonce un sombre futur que consigne un prêtre. Vingt ans plus tard, Lord Bruce part en mission avec son écuyer Alfred, refusant d'emmener Kal-El pour appréhender une sorcière.
Avec ses Robins - Duke, Richard et Stephanie - Bruce surprend la sorcière dans son lit. Mais elle se défend en poussant un cri surpuissant qui manque de tuer Bruce. Kal-El surgit alors pour la neutraliser. De retour au château des El, Jor-El prend Bruce à part pour lui révéler un secret sur sa naissance.
Dans la forêt voisine de Hobb, l'Homme Vert, redouté par Lord Bruce pour son pouvoir, ensorcelle une flèche de l'archer Oliver. Il la tire et elle vient se ficher dans la tête de Jor-El, tué sur le coup devant Lord Bruce impuissant...
Tom Taylor sait que le format des "Elseworlds", qu'il a contribué à restaurer avec le succès de DCeased 1 et 2 (et ses spin-off) mais aussi de l'adaptation du jeu Injustice, permet à un auteur de laisser libre cours à sa fantaisie sans se soucier de la continuité. Ses fans ont sûrement dû apprécier ses efforts pour cette raison, lisant une histoire déconnectée du reste, où les héros n'étaient plus figés dans une caractérisation et leurs aventures soumises aux diktats éditoriaux.
DC l'a bien intégré et ce fut sans doute la raison qui présida à la création du Black Label, un espace protégé où des scénaristes vedettes et des dessinateurs de première classe pouvaient échapper au train-train. Mais avec Dark Knights of Steel, il me semble qu'un nouveau palier est franchi.
Avant de ses brouiller définitivement avec DC, Alan Moore avait soumis à l'éditeur le synopsis d'une histoire ambitieuse, déroutante et noire, Twilight of the Superheroes, dans laquelle John Constantine, alerté par son moi futur, s'efforçait d'éviter une guerre entre plusieurs familles de super-héros qui s'étaient agrégées en maisons (d'acier, du tonnerre, et d'autres plus clandestines). Il y avait une intention claire de renouer avec une mythologie chevaleresque dans cette proposition géniale mais qui ne vit, hélas ! jamais le jour.
Sans doute que Taylor, aujourd'hui, s'est inspiré de l'idée de Moore, sans pour autant vouloir aller aussi loin, mais en conservant l'inspiration médiévale puisqu'il transpose le DCU à l'âge des chevaliers et des châteaux forts en réécrivant l'histoire des origines de Superman pour point de départ. Et si, donc, Kal-El avait atterri sur Terre, mais au Moyen-Âge, avec ses deux parents...
Néanmoins, ce que raconte Taylor n'est pas sans ambition. Et la première, peut-être aussi la plus importante, est ce travail sur la mythologie des super-héros. Warren Ellis, dans un épisode de ses Thunderbolts, faisait dire au Dr. Leonard Samson que les super-héros s'habillaient avec des costumes colorés pour être identifiés comme tels, tout comme les pompiers, les policiers, les médecins avaient leurs tenues, leurs couleurs, leurs insignes : c'était, pour les civils, un moyen de les reconnaître et de ne pas les prendre pour des fous dans de drôles de vêtements.
Pour ma part, quand j'ai eu à croiser le fer en débattant avec des imbéciles qui estimaient que les super-héros étaient des éléments d'une sous-culture grotesque, j'ai toujours eu la même réponse : les super-héros ne sont que la dernière représentation, la dernière incarnation en date et à la mode de figures anciennes, depuis les dieux des récits antiques, les héros de la mythologie, les chevaliers du Moyen-Âge, les bretteurs des épopées de capes et d'épée, les cowboys, les soldats.
Si on ricane des super-héros, alors in faut ricaner des personnages de Homère jusqu'à ceux de Hemingway, sans distinction, car tous sont grandioses et ridicules pareillement, avec leurs dégaines improbables, leurs attitudes insensées, leurs caractérisations idéalisées, et parfois leurs pouvoirs invraisemblables. Mais qui rit à l'évocation de Hercule et ses douze travaux, d'Ulysse et de son odyssée, de Roland de Ronceveaux, de d'Artagnan, de Blueberry, de Sergent Rock ? Personne. Alors pourquoi moquer Superman, Spider-Man ?
C'est en ce sens que le projet de Tom Taylor avec Dark Knights of Steel est véritablement admirable : le scénariste, en adaptant des personnages emblématiques du DCU (comme on pourrait d'ailleurs aussi bien le faire avec ceux de Marvel) dans une époque chevaleresque, rappelle simplement d'où ils viennent - en l'occurrence de la chanson de geste, de la légende arthurienne. Au sens littéral, cela donne un Lord Bruce, donc un Batman qui est vraiment un Dark Knight. Black Canary devient une sorcière au cri terrifiant. Black Lightning l'auditeur de Constantine en oracle. Green Lantern et Green Arrow en conspirateurs cachés dans une forêt digne de Brocéliande. Et l'idée d'une maison d'acier chez Alan Moore se retrouve ici en une maison des El, avec les parents de Kal-El, qui règnent sur un domaine (et Jor-El père d'un bâtard dont je ne vous dévoilerai pas l'identité ici, mais qui redéfinit avec ironie le lien qui unit deux héros...). Même Harley Quinn est là, en bouffonne du roi évidemment...
Yasmine Putri a accepté de dessiner pour la première fois (en tout cas à ma connaissance) des planches intérieures. Elle a dû sacrément croire à ce projet pour s'embarquer dans douze épisodes, qui plus avec un considérable travail de characters redesigns en amont car si on reconnaît facilement qui est qui, il fallait adapter les costumes collants traditionnels en tenues conformes à la période du récit. Et si cela se fait sans trop de modifications pour certains rôles (Green Arrow), pour d'autres cela est plus délicat (Black Lightning).
Avec la preview de ce premier n°, certains grincheux ont estimé que Putri était légère sur les décors. C'est que l'artiste passe, dans notre pays et dans le courant franco-belge, derrière des dessinateurs époustouflants qui ont définit l'imagerie moyennâgeuse de façon très puissante - je pense en particulier à Hermann avec Les Tours de Bois-Maury, mais aussi, dans un autre registre, à Peyo avec Johan et Pirlouit. Il est alors certain que les décors de Putri ne sont pas aussi détaillés que ceux de ces deux-là, mais elle s'en tire très honorablement, en ne se dispensant pas non plus de représenter des édifices soignés, avec des intérieurs remarquables (la salle du trône des El).
Il y a par ailleurs une vraie élégance dans le trait de Putri et un sens du découpage très affirmé pour une dessinatrice qu'on connaissait exclusivement pour ses couvertures. Elle sait enchaîner des plans avec fluidité, doser ses effets, rendre ses personnages expressifs. C'est tout sauf un effort de débutante qui s'entraîne sous nos yeux, on reconnaît là une artiste qui s'est exercée et dont la pratique paie vis-à-vis d'un script qui requiert une vraie exigence graphique. La mise en couleurs, également assurée par Putri, est magistrale également, digne de Matt Wilson ou Laura Martin pour la priorité donnée à la luminosité et au respect du trait.
J'ai beaucoup aimé, plus même que ce à quoi je m'attendais, j'avais hésité à me lancer dans ce titre, un de plus dans une pile de lecture bien fournie. Mais le brio de Tom Taylor et la révélation de Yasmine Putri plus l'intelligence du concept ont eu raison de mes hésitations.
Bonjour et merci pour votre site et vos critiques.
RépondreSupprimerEn voyant Tom Taylor faire un nouvel elseworld j'avais peur qu'il fasse du réchauffé. Apparemment non et j'espère que ce sera le cas jusqu'au bout.