Le rideau se baisse sur Strange Adventures avec ce douzième épisode. Tom King offre une conclusion de haut niveau à son histoire, qui a pourtant connu des hauts et des bas. A ses côtés, Mitch Gerads et Evan Shaner ont eu à coeur de fermer le ban avec classe. Finalement, le bilan s'avère très positif.
Alanna Strange avec Mr. Terrific libère sa fille Aleea des Pykkt qui la retenaient en otage comme gage de la complicité d'Adam Strange pour conquérir la Terre. A cette occasion, la fillette fait la connaissance de Michael Holt mais se demande où est son père.
Autrefois, sur Rann, après avoir été décoré par Sardath pour avoir défait les Pykkt, Adam Strange explique à Alanna son souhait de rentrer sur Terre, pour prévenir une possible attaque de leurs ennemis. Mais Alanna a tout à reconstruire sur sa planète.
En route pour la Terre, Alanna confie à Mr. Terrific qu'elle compte rentrer sur Rann pour contrecarrer une probable vengeance des Pykkt. Elle souhaite que Aleea reste sur Terre et que Michael Holt s'en occupe.
Sur Rann, Alanna achève la rédaction du premier jet de l'autobiographie d'Adam. Elle l'y décrit comme un héros tout en omettant quelqus faits. Bientôt ils partiront pour la Terre pour proposer le manuscrit à un éditeur...
J'ai dérogé à ma règle de ne pas rédiger de résumé pour le dernier épisode d'une mini-série afin de ne pas divulgâcher son contenu. En fait, la vraie surprise n'intervient pas tant dans cet ultime chapitre que dans le précédent et vous pourrez l'apprécier quand vous le découvrirez en achetant le trade paperback (qui sera disponible dès Novembre) ou quand Urban proposera une traduction de ce récit complet.
Ce qui compte ici, c'est la tenue de la conclusion. Contrairement à Rorschach, par exemple, où, jusqu'à la fin, il se passait des choses essentielles dans le parcours du Détective, Strange Adventures ne repose pas (que) sur la résolution d'une intrigue mais sur la manière pour Tom King de finir en beauté.
En effet, on peut voir dans ce douzième numéro que Alanna a encore une histoire à écrire - et, pour un peu, même si c'est improbable, King pourrait en tirer une nouvelle mini-série, une suite directe. L'auteur suggère habilement que les ranniens sont dans une boucle avec les Pykkt et que celle-ci est repartie pour un tour. Mais c'est aussi une manière de formuler un passage de relais plus pacifique, de perpétuer une affaire de famille(s).
Sans rien dire de ce qui s'est passé à la toute fin du onzième épisode, ce qui frappe ici, c'est qu'en vérité Strange Adventures est (peut-être) moins une histoire sur la guerre, les crimes de guerre, les mensonges d'un "héros" de guerre, qu'une histoire sur la famille. Et le plus fort, c'est que l'élément le plus important de cette famille a été longuement hors champ dans cette mini-série puisqu'il s'agit d'Aleea Strange.
La fillette a longtemps été présumée morte, tuée par les Pykkt lors d'une embuscade au terme de laquelle son père a été capturé puis torturé puis libéré, brisé. Cette mort a hanté le récit de telle façon qu'elle a pu justifier le comportement délirant et criminel d'Adam Strange, le soutien sans faille (quasiment jusqu'au bout) de Alanna, mais aussi les doutes de Mr. Terrific. Le fantôme d'Aleea Strange a été en quelque sorte le coeur du récit, son vrai premier rôle.
Puis Adam a révélé ce à quoi il avait consenti (dans l'épisode précédent) pour épargner Rann : il a livré sa fille aux Pykkt pour qu'il abandonne leur conquête de la planète et leur a livré en échange la Terre, qui, malgré ses super-héros, a été dépassée par cette armada extra-terrestre. Un marché ignoble et désespéré de la part d'un homme, d'un père qui n'a vu que cette solution pour gagner une guerre perdue depuis longtemps.
Alanna récupère Aleea dans un bain de sang et avec l'aide de Mr. Terrific. Puis elle explique à ce dernier qu'elle va rentrer sur Rann pour prévenir d'une possible revanche des Pykkt. Mais sa fille restera à l'abri sur Terre, avec un tuteur digne de ce nom : Michael Holt lui-même. La scène et le dialogue sont formidables, parmi les meilleurs qu'ait produits Tom King, qui met en parallèle la situation, le parcours de Alanna et Holt. Ce dernier a perdu femme et enfant mais a su transcender ces pertes en devenant un homme exemplaire, il est le plus à même non seulement de s'occuper d'Aleea mais aussi de comprendre Alanna, qui a suivi un homme dans sa dérive et n'a plus d'autre choix que de retourner veiller sur son peuple, sans remettre sa fille en danger.
Puis King embraye avec un autre grand moment, un twist brillant, de ceux qui vous font reconsidérer les onze épisodes précédents. Nous apprenons donc que c'est Alanna qui a écrit l'autobiographie d'Adam, en s'arrangeant avec les événements pour promouvoir l'image héroïque, idéalisé de son époux. On comprend alors qu'en voulant retourner sur Rann pour déjouer une éventuel contre-attaque Pykkt, c'est au moins autant pour sa planète que pour elle-même, pour se racheter des mensonges qu'elle a contribués à établir. Elle aussi réintègre la boucle, presque comme un geste sucidaire (car il se peut qu'elle meurt contre les Pykkt s'ils reviennent sur Rann), et donc elle ne confie pas tant provisoirement sa fille à Mr. Terrific qu'elle lui demande de l'adopter en cas de malheur.
La réaction de Mr. Terrific est superbement décrite : il refuse d'abord, puis se rend aux arguments d'Alanna car il sait que refuser reviendrait à abandonner Aleea. Surtout, comme précédemment, il reconnait les talents de manipulatrice de Alanna. Elle le vainc. Et ce n'est pas rien de vaincre un héros aussi intelligent que Michael Holt. Mais ce n'est pas seulement une maneuvre : en acceptant la garde d'Aleea, Holt redevient un père, et il y a une évidente gratitude de sa part.
Je n'ai jamais caché que Strange Adventures présentait, à mon goût, des longueurs. Pour la première fois, j'ai trouvé que le format d'une mini-série en 12 épisodes était un peu trop. Que Tom King maîtrise ce format, c'est indéniable (il l'a encore prouvé avec Rorschach, et je fonde de grands espoirs concernant The Human Target). Mais ce n'est pas une garantie automatique, et il me semble que, là, on aurait gagné à quelque chose de plus court, de plus resserré, à la manière de Supergirl : Woman of Tomorrow actuellement (en huit épisodes). Il y a un ventre mou dans Strange Adventures, d'autant plus pervers qu'il ne se situe pas précisèment, simplement par moments l'histoire patine, le rythme ramollit, l'intrigue se relâche.
Et cela s'est senti de manière frappante aussi à cause de la partie graphique. Strange Adventures aura proposé une expérience étonnante à ce niveau avec deux artistes aux styles distincts, chargés chacun d'illustrer une partie de l'histoire. Il est ainsi clair (du moins pour moi) qu'à un moment les pages dévolues à Evan Shaner n'étaient plus essentielles, elles ne participaient plus à la progression de l'intrigue, mais plutôt à montrer des preuves supplémentaires des mensonges d'Adam Strange. Le procédé devenait trop insistant pour n'être pas gênant, lourd. Et ce malgré l'investissement et le talent de Shaner, qui a prouvé que, malgré des mésaventures passées où il avait eu du mal à tenir les délais, qu'il compensait par une technique plus affirmée une productivité laborieuse.
En revanche, il est apparu que Mitch Gerads avait hérité de la partie de l'histoire la plus gratifiante puisque les scènes au présent possédaient un dynamisme plus évident. L'enquête de Mr. Terrific, l'attaque des Pykkt sur Terre, jusqu'aux deux derniers épisodes intenses et riches en coups de théâtre, tout cela formait un matériau passionnant et gagnant pour l'artiste. Là où, me semble-t-il, Gerads a péché, c'est dans le résultat : parfois il abuse des effets que lui confère le dessin numérique, avec une colorisation trop flashy, saturée. Il n'a pas besoin de ça et j'espère qu'il reviendra à quelque chose de plus sobre dans l'avenir, à l'image de ce qu'il a fait sur Mister Miracle.
Quoiqu'il en soit, Strange Adventures aura été une nouvelle preuve que Tom King sait non seulement bien s'entourer (Gerads et Shaner étaient vraiment sur la même longueur d'ondes que lui), mais surtout que sa manière de raconter des histoires, malgré d'évidents tics d'écriture, en fait un auteur à part, immédiatement reconnaissable et au style puissant, original, avec un goût prononcé pour des personnages de second rang dont il fait de vrais héros ambigüs.
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