samedi 24 juillet 2021

CRUELLA, de Craig Gillespie


Drôle de période pour aller au cinéma, n'est-ce pas ? Il faut montrer patte blanche - et c'est de circonstance quand il s'agit de découvrir l'origin story de Cruella, dont le nom est associé aux (101) dalmatiens. Mais pourquoi est-elle si méchante ? C'est ce que le film de Craig Gillespie entreprend de raconter. En prenant son temps (133') mais san perdre son temps non plus. Surtout quand ce sont Emma Stone et Emma Thompson qui mènent le bal.


Enfant précocement doué pour le stylisme mais aussi doté d'un caractère bien trempé, Estella Miller contrarie suffisamment l'autorité de l'école où elle est instruite pour en être renvoyée. Sa mère, Catherine, décide de demander à une vieille connaissance de l'aider. Mais Estella désobéit encore et assiste à la discussion entre sa mère et sa bienfaîtrice. C'est ainsi qu'elle voit Catherine basculer du haut d'une falaise, poussée par les dalmatiens de celle auprès de laquelle elle était venue quémander.


Estella gagne Londres, seule. Elle y rencontre Jasper et Horace, deux garçons pickpockets dont elle devient la partenaire. Sous son impulsion, pendant dix ans, ils commettent des larcins de plus en plus audacieux. Jasper offre à Estella pour son anniversaire un cadeau inattendu : une place dans le magasin de la Baronne Hellman, temple de la mode à Londres dans les années 70.


Mais Estella déchante vite car on la cantonne à des corvées humiliantes. Pour noyer sa déprime, elle se soûle un soir et refait la vitrine du magasin à son idée. Contre toute attente, le résultat plait à la Baronne qui l'engage comme son assistante personnelle. Le talent d'Estella inspire cette grande bourgeoise qui n'a aucun scrupule à s'approprier ses idées pour son prochain défilé. Mais le destin d'Estella bascule quand elle remarque que la Baronne porte un collier appartenant à feu sa mère.


Estella convainc Jasper et Horace de dérober le bijou lors du défilé. Pour créer une diversion, Estella devient Cruella et attire l'attention de l'assistance dans une robe créée par la Baronne quelques années auparavant et qu'elle a retaillée avec Artie, un vendeur des quartiers populaires. Hélas ! l'opération tourne mal et le collier finit dans l'estomac d'un des dalmatiens de la Baronne. Estella, Jasper et Horace sont obligés de fuir, bredouilles. Mais Estella n'entend pas en rester là !


Jasper et Horace kidnappent chez le toiletteur les trois dalmatiens de la Baronne et attendent qu'ils expulsent le bijou pendant que Estella et Artie organisent des happenaings avant chaque nouveau défilé où elle s'affiche dans des créations extravagantes qui volent la vedette à celles de la Baronne. La presse bruisse devant ce phénomène et débate du le déclin et la chute de la Baronne. Celle-ci fait suivre sa rivale et la piège dans son repaire, récupérant ses chiens, et provoquant un incendie. Les pompiers sauvent Jasper et Horace qui sont arrêtés par la police.


Déclarée morte dans les flammes, Estella/Cruella a pourtant survécu grâce à l'intervention de John, l'assistant de la Baronne. Il explique à la jeune femme qu'elle est la fille de la Baronne, qui a ordonné son exécution après sa naissance. John n'a pu s'y résoudre et l'a confiée à Catherine Miller, alors femme de chambre. Le Baron Hellman est mort de chagrin mais John a gardé un coffret avec l'acte de naissance d'Estella, qui prouve qu'elle est la seule héritière de sa fortune. Jasper et Horace évadés de prison, Artie appelé en renfort, Estella va règler ses comptes définitivement avec la Baronne lors du gala qu'elle donne.


Ayant livré à toutes les clientes de la Baronne des robes imitant le look de Cruella, celle-ci attire sa mère biologique au bord de la falaise où a chuté Catherine. La Baronne s'excuse en apprenant qui est Estella mais la pousse dans le vide. Cette fois, pourtant, son crime est vu par tous ses invités et la police vient l'arrêter. Estella, grâce à un parachute camouflé dans sa robe, a la vie sauve et hérite du château Hellman où, avec ses complices, et les dalmatiens, elle réfléchit à l'avenir...

Contre vents et marées, le film est finalement sortie en salles après plusieurs reports à cause de la crise sanitaire. Une stratégie payante puisque, aux Etats-Unis comme en France, il a reçu un accueil très favorable, qui ouvre déjà la porte à une suite. C'était le rêve des producteurs de transformer Cruella en (anti) héroïne de franchise, mais pourtant le pari était loin d'être gagné.

En effet, le personnage de Cruella est dans la mémoire collective resté celui d'une des plus infâmes méchantes des longs métrage d'animation Disney. Elle est apparue dans les 101 Dalmatiens en 1961, mis en scène par le génial Wolfgang Reitherman, d'après le roman de Dodie Smith, puis a été incarnée en 1996 par Glenn Close dans le film de Stephen Herek. Une composition mémorable, après laquelle il était difficile de passer.

Cependant, les scénaristes Dana Fox et Tony McNamara ont choisi de revenir à la source et de dévoiler l'origine de Cruelle Denfer, donc de se concentrer sur le personnage encore jeune, pour expliquer ce qui a fait d'elle cette méchante. Toutefois, le script final fournit pas mal d'excuses à Cruella et la rend plus sympathique que maléfique. Cruella version 2021 est un revenge movie.

Le noeud de l'intrigue est à la fois simple et terrible puisqu'il y est question de maternité et d'homicide. Lorsque la vérité est connue de l'héroïne et du public, on mesure à quel point, en vérité, la détermination de Cruella à vaincre la Baronne a des racines plus profondes et douloureuses que celles de récupérer un collier volé. La méchante, la vraie, du film est donc cette Baronne Hellman, présentée d'emblée comme une femme antipathique mais qu'on découvre criminelle et récidiviste !

Dans une scène clé, où Cruella enrage de ne pouvoir dominer sa rivale, mais avant de savoir tout ce qu'elle a pu commettre d'irréparable, elle énumère les différentes étapes du deuil : déni, colère, marchandage, dépression, et acceptation. Elle y ajoute un cinquième niveau : la vengeance. Et de fait, le conflit se fait de plus en plus personnel, il ne suffit plus de damer le pion de l'autre mais de l'humilier.

On peut déplorer que le film ne soit pas vraiment plus cruel, plus méchant. Mais je crois qu'il ne faut pas non plus trop charger la mule car les actes de la Baronne sont déjà atroces. Surenchérir en écrivant Cruella comme une vengeresse encore pire que sa cible aurait été maladroit et nous aurait fait perdre toute mpathie pour elle. C'est ce délicat équilibre qui définit le film : parler d'un personnage qui veut sa revanche, implacablement, mais sans en faire elle-même, elle aussi, une criminelle. En vérité, l'arme de Cruella, c'est son style, son sens de la réplique et du spectacle : sa mission, c'est confondre la Baronne et la surpasser, pas la tuer. La seule fois où le récit joue avec le spectateur, c'est quand il suggère que Cruella a pu dépecer les dalmatiens de la Baronne pour faire une robe avec leur peau tachetée - il n'en est rien bien sûr, mais cela corresponda aussi au moment où Jasper et Horace, ses complices, pensent à lui tourner le dos, estimant que cela va trop loin.

Dans sa tonalité, le film démarre donc sur un mode volontiers mélodramatique. Lorsque Estella rencontre Jasper et Horace, deux jeunes pickpockets, c'est presque du Dickens. Pus, par la grâce d'une ellipse très bien filmée, l'histoire change de braquet et fonce bille en tête dans la comédie débridée. La réalisation est au diapason : Craig Gillespie nous gratifie même d'un superbe plan-séquence quand, à la suite d'Estella, nous pénétrons dans le grand magasin, au chic un peu suranné mais à la décoration exubérante et classe, un vrai temple mais un temple de la consommation, un peu vulgaire et poussiéreux qui attend une tornade pour traverser son époque (la reconstitution du swinging London est à la fois sobre et efficace).

Gillespie et ses scénaristes s'amusent alors à mélanger les genres : farce, braquage, buddy movie, action, drame familial, tout en évitant la romance (même si on devine que Jasper en pince pour Estella avant sa transformation en Cruella). Il y a des moments pétillants, d'autres moins percutants, mais l'ensemble se tient bien, et pour un film d'une durée pareille, on ne s'ennuie jamais (même si, bien sûr, comme souvent aujourd'hui, quinze minutes en moins dans le montage final n'auraient pas fait de mal - toutes ces saynètes où Estella/Cruella s'adresse au souvenir de Catherine devant la fontaine de Regent's Park sont superflues). Ce rythme, le long métrage le doit aussi beaucoup à sa bande-son, bluffante, quasiment sans interruption, avec une kyrielle de tubes de l'époque, franchement jubilatoire.

Et puis le casting est royal. Revoir Emily Beecham, même dans un petit rôle, est un plaisir pour les fans de Into the Badlands. Kirby Howell-Baptiste, Joel Fry, Paul Walter-Hauser, John McCrea sont parfaits, chacun dans leurs seconds rôles. Mark Strong hérite d'un personnage sympathique (si, si), qu'il campe avec son charisme naturel.

Mais, bien sûr, c'est le duel des deux Emma qui vaut à Cruella de sortir du lot. Emma Thompson incarne la Baronne en en faisant des caisses, mais avec un vrai génie. On pense bien sûr à Meryl Streep dans Le Diable s'habille en Prada, mais Thompson a suffisamment de talent et de personnalité pour ne pas souffrir de la comparaison et assumer le côté absolument détestable de son rôle. Face à elle, Emma Stone fait son grand retour, et elle est épatante. Sa vis comica est intacte, elle aussi en fait des tonnes mais elle habite son personnage avec un brio jouissif, et parvient à imposer sa Cruella loin de celle de Glenn Close. Les deux comédiennes bénéficient en outre d'une garde-robe incroyable, qui témoigne du soin apporté à la production design du film et qui convoque de grands stylistes, de Pierre Cardin à Vivienne Westwood.

C'est donc une agréable surprise. Certains pourront se plaindre d'un certain polissage de l'héroïne, là où les autres considéreront ce film comme le premier chapitre d'une future franchise avec la possibilité d'aller plus loin. L'un dans l'autre, en tout cas, difficile de résister à ce divertissement dynamique et rafraîchissant.  

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