jeudi 10 juin 2021

BATMAN/CATWOMAN #5, de Tom King et Clay Mann

 

On commence cette nouvelle semaine de critiques par une sortie de Mercredi dernier mais que j'avais gardée sous le coude. Le cinquième n° de Batman/Catwoman est le plus simple qu'aient livré Tom King et Clay Mann : le premier a simplifié sa narration tout en laissant les scènes se dérouler, après les avoir trop saucissonnées au début ; et le deuxième se défoule avec une grande séquence d'action, jubilatoire. 



Le Passé. Selina Kyle a rompu avec Bruce Wayne après avoir refusé de lui révèler comment elle avait appris que le Joker avait organisé sa tentative d'attentat à la patinoire de Gotham. Ivre, elle erre dans les rues et se met en tête de cambrioler le musée de la ville. Mauvaise idée...


Le Présent. Toujours captive de André Beaumont/Phantasm, Catwoman est invitée par cette dernière à la suivre dan son repaire secret. Elle y détient un homme qui rabattait pour le Joker des innocents sur lesquels il expérimentait ses gaz toxiques. Sidérée, Catwoman assiste à son exécution.


Le Futur. Harley Quinn débarque au manoir Wayne, résolue à faire payer à Selina Kyle l'assassinat du Joker en Floride. Les deux anciennes partenaires du clown du crime s'affrontent en échangeant sur ce qui les ont toujours définies.
 

Pour Selina, Harley a toujours été trop bonne pour un être aussi vil que le Joker tandis que Catwoman n'était pas digne d'un homme bon comme Batman. Selina neutralise finalement Harley. Lorsque sa fille, Helena rentre, elle demande à sa mère ce qui s'est passé...

Tom King est un scénariste qui peut avoir la fâcheuse manie à se complaire dans ses défauts. Il a une vraie voix, un vrai style, mais parfois il s'écoute un peu parler, il aime un peu trop sa prose et n'échappe pas à un certain goût pour le bavardage. C'est ce qui a pu déranger les lecteurs durant son run sur Batman où son usage de la voix-off alourdissait une narration qui n'avait pas besoin d'autant de texte.

De ce point de vue, on peut rapprocher King d'un Bendis, lui aussi friand de dialogues abondants. Mais la différence entre les deux réside dans l'humour : King est trop sérieux, tellement qu'il est incapable de produire une histoire ou simplement des scènes légères, quand Bendis a, dans sa nature même, une distance avec le genre (les super-héros) qui lui permet d'animer des personnages capables dironiser sur leur rôle et leur statut.

Mais, dans l'absolu, cela ne me dérange pas. Je sais que ce style bavard horripile certains. Mais on ne redessine pas les rayures d'un zèbre. Exiger de dialoguistes de se brider, c'est comme leur demander d'écrire contre eux. C'est inutile, et s'ils le font quand même, ça finit par ressembler à un exercice de style... Et alors on se demande ce qui leur a pris !

Tout ça pour dire que King ne se refera pas, surtout quand une partie de son succès s'est fondée sur la même partie qui agace ses détracteurs. Parfois ça passe, parfois non. Dans le cas de Batman/Catwoman, ce défaut était d'autant plus sensible qu'il a découpé son récit en trois lignes temporelles, aboutissant à des épisodes morcelés jusqu'à l'excès. Il devenait difficile de s'attacher aux personnages, d'accrocher à l'intrigue à cause de la brièveté des scènes, qui plus est trop bavardes.

Mais progressivement, la mni-série a trouvé une sorte de régime de croisière et de ce point de vue, ce cinquième épisode est de loin le plus agréable à lire. Il se donne au lecteur facilement car ses scènes se déploient plus franchement, en particulier dans celles qui se passent dans le futur. On a ainsi droit à un long affrontement entre Harley Quinn et Selina Kyle au cours duquel elles se battent autant physiquement que réthoriquement sur leurs rapports avec l'homme qu'elles aimaient.

La conclusion à laquelle en vient King par la voix de Selina est très juste (même si elle pourra sembler réductrice pour Harley, une fois encore trop ramenée à sa relation toxique avec le Joker). Harley a toujours été trop complaisante, trop soumise envers le Joker, qui ne la méritait pas. Selina, elle, n'a pas su s'élever au niveau de Batman, de sa bonté, de sa noblesse même. "Too good to be bad", "too bad to be good" en somme. Cette séquence se double d'une forme assumée d'invraisemblance car les acrobaties accomplies par deux femmes d'au moins soixante anx comme Selina et Harley à ce moment-là du récit défient la normale (même si on imagine que Selina a gardé la forme en s'entretenant).

Avant cela, on a droit à deux séquences dans le passé plus courtes : l'une renvoie directement à la fin de l'épisode 4 et montre Selina, ivre, errer dans le ruelles de Gotham, après avoir rompu avec Batman à qui elle a refusé de dire comment elle avait su que le Joker avait planifié un attentat. Elle se met en tête, pour se consoler, de voler quelque chose dans le musée de la ville, mais trop soûle, elle échoue lamentablement. Puis de nos jours, captive de Phantasm, Catwoman assiste à la mise à mort d'un complice du Joker attrapé par Andrea Beaumont qui leur révèle ses coupables agissements pour le clown du crime. Ce qui ressort de tout cela, c'est l'absence à l'image de Batman, confrmant une nouvelle fois que la véritable héroïne de la série est le féline fatale. A voir si King persévère dans cette direction ou si le second acte de son histoire rééquilibrera les choses (ce qui semble inévitable car Batman ne peut rester à attendre que Phantasm réalise sa vengeance, et parce qu'on sait que lui et Catwoman vont se rabibocher).

Visuellement, Clay Mann paraît plus épanoui, même s'il a livré un boulot impeccable (le meilleur de toute sa carrière) depuis le début. La séquence de la bagarre entre Harley et Selina lui laisse le loisir de découper l'action de manière spectaculaire tout en devant jouer une partition moins convenue que ce qu'on connait de lui. Car s'il s'agit bien d'un affrontement entre deux femmes, Mann, réputé pour magnifier celles-ci, doit animer deux femmes âgées, dont le physique n'est plus aussi avantageux.

Au début de la parution de Batman/Catwoman, l'artiste avait expliqué que le scénario l'avait forcé à faire travailler chez lui des muscles nouveaux, comprenez : dépasser son statut de dessinateur connu pour représenter de sculpturales héroïnes. D'une certaine manière, la partie de la série qui se passe dans le futur fait penser à une espèce de "Old Woman Selina", et toute la difficulté est de dessiner Catwoman âgée sans qu'elle soit décrépite ou trop abîmée par le deuil. Mann s'en acquitte magnifiquement en croquant une Selina qui a conservé toute sa classe sans cacher les années qui ont passé. Elle fait penser à une danseuse qui a gardé son maintien, son allure, mais qui accuse aussi son âge, assume ses rides.

Réussir à dessiner une femme âgée est un exercice difficile car on peut facilement tomber dans une représentation ingrate, soit celui de la mémère, soit celui de l'ancêtre (pensez à Tante May chez Marvel qui, souvent, quel que soit l'artiste, a l'air d'une centenaire aussi fragile qu'une brindille, rarement d'une femme qui prend soin d'elle). Mann parvient à dessiner Selina de façon réaliste, sans la dégrader ou la banaliser. On a aucun mal à croire qu'il s'agit de la même femme qu'on voit dans les scènes du passé, au sommet de sa forme et de sa beauté (attention, je ne dis pas qu'une sexagénaire ou septuagénaire ne peut pas être belle mais simplement que les comics ne nous habituent pas à l'image de femmes de ces âges sous l'angle de la séduction).

Le récit conserve sa part de mystère, d'incertitudes, intacte, même si on devine bien que les épreuves du passé seront dépassées à un moment, que Batman va être davantage présent par la suite. Surtout, la construction de l'histoire a gagné en fluidité. 

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