Ce dixième numéro de Fire Power marque l'entrée dans une ligne droite qui mènera jusqu'au n°12, dont on sait déjà qu'il aura une pagination équivalente à celle de deux épisodes. Une façon claire pour Robert Kirkman et Chris Samnee de marquer les esprits pour le premier anniversaire de la série, mais aussi d'inscrire cet arc comme un tournant. Mais gare à la sortie de route fatale...
C'est la veillée d'armes sur l'île du clan de la Terre Ecorchée. Ma Guang s'excuse auprès de Owen Johnson pour avoir cru aux mensonges de Chou Feng et avoir attiré ses tueurs jusque chez lui. Owen rejoint ensuite Kellie. Ils ignorent que Ling Zan, dehors, les observe.
Le lendemain, Wei Lun conduit Owen jusque dans la maison de Chen Zul qui lui présente son premier cercle. Apprenant aussi que le clan est en sous effectif par rapport au temple du Poing Enflammé, Owen découvre qu'il est l'atout majeur pour vaincre son ancienne école.
Il est temps pour les soldats du clan de partir affronter l'ennemi. Kellie et ses enfants étreignent Owen. Incognito sous un masque, Ling Zan monte à bord d'un des zeppelins. Wei Lun révèle alors à Owen que Chou Feng a aussi les parents de son protégé.
Chou Feng est averti de l'approche des zeppelins du clan et organise le comité d'accueil. Arcs et catapultes tirent des projectiles enflammés contre les vaisseaux et déciment l'adversaire...
Je vais être totalement honnête : en attendant, dépité, mon exemplaire, je m'interrogeai si j'allais poursuivre cette série. Pourquoi ? Si Fire Power est une lecture très divertissante et efficace, qui plus est dessinée par un des mes artistes favoris, j'ai quand même du mal depuis le début de cet arc à être aussi captivé. Et ce nouvel épisode met le doigt sur ce que je reprocherai le plus à Robert Kirkman. En même temps, la perspective d'une bataille homérique entre les deux écoles de kung-fu qui connaîtra son apothéose dans le numéro double de Juin prochain a de quoi motiver.
Mais il y a un point qui est difficilement évitable quand on suit un dessinateur dont on adore les travaux, c'est celui de comparer les histoires au service desquelles il met son talent. Chris Samnee me ravit depuis longtemps non seulement parce qu'il un narrateur extraordinaire, peut-être le meilleur que je connais, en tout cas celui dont la progression a été constante, régulière. C'est quelqu'un dont j'achète tout ce qu'il fait, même quand le sujet me passionne peu a priori.
J'ai été gâté, je l'avoue, puisque j'ai vu grandir Samnee au contact de scénaristes que j'appréciai aussi, et avec lesquels la complicité de l'artiste était évidente. Lorsqu'il a quitté Marvel et donc cessé sa collaboration avec Mark Waid, aux côtés duquel il a brillé sur Daredevil, Black Widow et Captain America, j'ai aussi su tout de suite qu'on perdait là un tandem exceptionnel. J'ai vraiment plaint Waid qui avait perdu Mike Wieringo (dans des circonstances, certes, beaucoup plus tragiques), et qui depuis n'a plus vraiment la patate (malgré quelques beaux épisodes de Doctor Strange avec Jesus Saiz).
C'est pour cela que j'insiste souvent sur l'association du dessinateur et de l'auteur car une bonne bande dessinée est le fruit des efforts conjugués de deux partenaires sur la même longueur d'ondes. Samnee avait revigoré Waid, et Waid faisait briler Samnee. C'est une alchimie délicate, qu'il faut savourer quand elle a lieu. Les grands runs sont le fruit d'un scénariste et d'un dessinateur qui se challengent et donnent au lecteur des histoires mémorables pour leur intrigue et leur visuel.
Donc, honnêtement, si je devais juger Kirkman et Samnee à l'aune de ce que Samnee accomplit avec Waid, la comparaison n'est pas en faveur de Fire Power, qui n'arrive pas aux sommets de Daredevil, Black Widow ou même Captain America. Owen Johnson lui-même est un héros sympathique mais qui n'a pas le charisme de Matt Murdock, Natasha Romanoff ou Steve Rogers - c'est injuste bien sûr, car ces trois-là ont plus cinquante ans d'existence quand le protagoniste de Fire Power n'est là que depuis un an, mais ça ne tient pas qu'à ça. C'est une manière de dire qu'il n'imprime pas vraiment, qu'il manque de chair, pour tout dire : qu'on se fiche un peu de ce qui lui arrive.
Fire Power trouve un bon résumé dans ce dixième épisode qui joue la partition classique, convenue, qu'on lui connaît depuis neuf numéros. Un peu de drama familial, un zeste d'humour, des révélations opportunes, de l'action spectaculaire. Pas plus, pas moins. Jamais vraiment ça ne décolle, même après des morceaux de bravoure. Jamais il n'y a ce petit plus, ce bonus, qui transformerait Fire Power en BD de feu (je sais, c'est facile), en projet hors du commun. Robert Kirkman cède même volontiers à des facilités grossières comme quand Ling Zan embarque incognito sur le zeppelin (elle ne veut pas que Owen la reconnaisse et sache qu'elle est vivante, mais qui peut croire que cette partie de cache-cache va durer longtemps ?) ou quand Wei Lung révèle à Owen que Chou Feng a tué ses parents (c'est bien pratique de lui dire ça juste avant la grande bataille, et surtout ça produit un effet contraire sur le lecteur qui se met alors à penser que Wei Lun manipule Owen, lui ment peut-être, pour mieux le convaincre de tuer Chou Feng en retour).
Ce genre de scènes, Kirkman en use de manière trop mécanique, systématique maintenant. Dans le Prologue de la série, Owen produsiait sa première boule de feu au moment le plus important. Dans le premier arc, Wei Lun était "tué" par les assassins de Chou Feng pour ressuciter ensuite grâce à une astuce "hénaurme". Puis dernièrement Ling Zan était bien vivante, et maintenant donc Chou Feng est le meurtrier des parents biologiques de Owen. En récapitulant tout cela, on s'aperçoit, lucidement, implacablement, des ficelles épaisses comme des cables employées par Kirkman. Et, moi, franchement, ça me déçoit et ça m'agace.
Ce qui m'agace peut-être encore plus, c'est que Chris Samnee dessine une histoire écrite aussi grassement. On est là, pour le coup, très loin des scripts subtils de Waid, un scénariste plus fin que Kirkman, qui ne prend jamais le lecteur pour un imbécile qui doit avaler de telles couleuvres. Samnee illustre tout avec une classe incroyable, mais je trouve qu'il... Comment dire ?... Peut-être pas qu'il se gâche, mais pas loin. Il s'amuse, c'est évident, il s'investit, c'est sûr, mais je préfererai le voir dessiner quelque chose de plus raffiné.
Franchement, je le dis clairement, ça me ferait chier d'arrêter de lire Fire Power car ça signifierait me passer de Samnee (même s'il me resterait Jonna and the Unpossible Monsters). Mais je ne suis pas un complétiste prêt à lire n'importe quoi, à supporter des intrigues aux charnières grinçantes pendant des plombes. C'est toujours emmerdant de "perdre"un artiste quand il s'engage avec un auteur, sur une série, qu'on n'aime pas (ce qui m'est arrivé avec Checchetto sur Daredevil par exemple, ou Immonen sur The Plunge). Mais c'est de tout façon impossible (en tout cas, pour moi) de lire une série à laquelle je ne m'attache pas, quel que soit l'artiste qui la dessine. Je vais donc jusqu'au #12, en espérant un redressement. Mais je l'avoue, je ne suis pas confiant, je ne crois pas aux miracles.
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