La diffusion de Falcon et le Soldat de l'Hiver (déjà, ce titre est invraisemblablement mauvais) après l'épatant WandaVision incitait à la prudence, sinon à la méfiance, car ce nouveau show produit par Marvel Studios pour la plateforme Disney + risquait d'être plus convenu dans la forme comme dans le fond. C'est le cas. Mais c'est surtout un échec, un ratage spectaculaire, une vraie sortie de route. Avant de revenir sur ce qui n'a pas marché, un résumé de l'histoire...
Cinq ans après le claquement de doigts de Thanos, Sam Wilson (le Faucon) et Bucky Barnes (le Soldat de l'Hiver) reprennent leur vie chacun de leur côté. Wilson, qui a hérité du bouclier de Captain America, ne peut l'assumer et préfère le confier à un musée pour qu'il soit exposé. Barnes, lui, tente de réparer les terribles erreurs qu'il a commises quand il était un tueur programmé par l'Union soviétique. Mais une nouvelle menace surgit avec les Flag Smashers qui s'opposent au retour forcé des réfugiés dans leur pays d'origine. Et la situation s'envenime quand les autorités présentent leur nouveau Captain America...
Les retrouvailles entre Wilson et Barnes sont glaciales quand ils partent en mission pour pister les Flag Smasher car Bucky reproche à Sam d'avoir abandonné le bouclier à Jack Walker, le militaire choisi pour incarner Captain America. Ce dernier et son partenaire, Battlestar, les rejoignent et affrontent les Flag Smashers mais se rendent compte qu'ils disposent des facultés de Steve Rogers, donc qu'on leur a fourni le sérum du super-soldat. Humiliés, Barnes et Wilson préfèrent pourtant mener leur enquête séparèment de Walker. Pour cela, Bucky compte sur Helmut Zemo...
Barnes aide Zemo à s'évader de la prison où il est détenu, à Munich. Le malfrat entraîne Bucky et Sam sur l'île de Madripoor, en Indonésie, où se trouve le mystérieux Power Broker, le seul trafiquant en mesure d'avoir pu reproduire et vendre le sérum du super-soldat aux Flag Smashers. Mais Wilson est identifié et le trio est obligé de fuir. Ils sont aidés par Sharon Carter, qui a refait sa vie sur place après avoir la chute du S.H.I.E.L.D.. Elle trouve pour ses amis le Pr. Nagel, qui a réussi à reproduire le sérum et qui leur livre le nom du leader des Flag Smashers, Karli Morgenthau. Ils remontent sa piste jusqu'en Lettonie grâce aux infos de Sharon...
Zemo loge Sam et Bucky dans un hôtel particulier qu'il possède en Lettonie et active ses contacts pour localiser les Flag Smashers. Barnes est retrouvé par Ayo, une Dora Milaje du Wakanda qui exige qu'on lui remette Zemo, responsable de l'assassinat du roi T'Chaka. Karli Morgenthau repérée, Sam tente de négocier avec elle, mais l'arrivée de Walker et son partenaire ruinent ses efforts. Une bagarre éclate entre les Flag Smashers et les héros au cours de laquelle Battlestar est tué. Karli prend la fuite, Zemo la blesse et brise les fioles de sérum qu'elle transporte avant que Walker ne l'assomme et en vole la dernière. Puis il venge brutalement son partenaire en tuant un Flag Smashers. la scène est filmée par les passants horrifiés...
Bucky et Sam retrouvent Walker et lui arrachent, au prix d'un affrontement disputé, le bouclier. De retour aux Etats-Unis, Walker est privé de son titre et renvoyé à la vie civile, n'échappant à la cour martiale et à la prison que grâce à ses états de service militaires. Mais il est ensuite abordé par la Comtesse Valentina Allegra de Fontaine qui veut le recruter. Cependant, Bucky emmène Sam rencontrer Isaiah Bradley : cet afro-américain a remplacé Steve Rogers dans les années 50 avant d'être incarcéré pour désobéissance car il a voulu sauver des soldats en Corée contre l'avis de sa hiérarchie. C'est en prélevant des échantillons de son sang que Nagel a récupérés qu'un nouveau sérum a été produit. Sam est écoeuré par le traitement infligé à cet homme qui lui certifie que jamais les Etats-Unis ne laisseront un noir être Captain America. Bucky livre, comme convenu, Zemo à Ayo ensuite. Mais les Flag Smashers refont parler d'eux en prenant en otage les membres du GRC à New York...
Le GRC est l'organisme international qui se charge deu rapatriement des réfugiés dans leur pays d'origine. Sam, équipé d'un nouveau costume par les wakandais, intervient en qualité de Captain America, soutenu par Bucky et Sharon. Les Flag Smashers déplacent les membres du GRC à bord de fourgonnnettes et se voyant menacés, piègent les véhicules. Bucky sauvent les otages tout en affrotnant les Flag Smashers, aidés par Walker, tandis que Sam poursuit Karli. Celle-ci trouve sur sa route Sharon Carter qu'elle désigne comme le Power Broker. Sam les rejoint mais refuse de se battre et essuie la colère de Karli, que finit par abattre Sharon. Portant le corps de Karli à des ambulanciers, Sam interpèle devant les caméras les responsables du GRC pour qu'ils renoncent à rapatrier de force les réfugiés, au risque de créer de nouveaux Flag Smashers. La Comtesse récupère Walker et en fait son U.S.Agent tandis que Sharon Carter est réhabilitée, sans que les autorités ne se doutent qu'elle n'a pas renoncé à son activité de trafiquante.
Lorsque Disney + a commencé à diffuser Falcon et le Soldat de l'Hiver, Ed Brubaker, le créateur du Winter Soldier et auteur d'un run mémorable sur la série Captain America, a été interrogé sur ce qu'il pensait de la série. Il a répondu avoir une "impression mitigée" sur sa qualité, sans développer sa critique. Mais cela aurait dû mettre la puce à l'oreille des fans....
Car Brubaker n'est pas du genre à s'exprimer à la légère (ni à s'exprimer beaucoup), et comme il ne travaille plus pour Marvel depuis 2012, il le fait sans avoir besoin de ménager les susceptibilités (mais sans acrimonie non plus). C'est un auteur qui connait bien ces personnages et a profondément marqué de son empreinte leurs destinées, à tel point que, pour ma part, je n'ai jamais lu un meilleur run depuis le sien.
En vérité, rien ne va dans ces six épisodes. Déjà, c'est un format court : six épisodes, c'est peu pour raconter une histoire, mais bon, entre de bonnes mains, ça pouvait aussi donner un récit ramassé, intense. Ce n'est pas le cas : Malcolm Spellman, le principal scénariste de la série, a multiplié les intrigues, les protagonistes, et s'est complètement planté. C'est à la fois trop et pas assez : l'histoire est trop touffue, la caractérisation pas assez fouillée, jamais la sauce ne prend. Le rythme est défaillant, l'interprétation est inégale, les enjeux sont confus.
Pourtant le postulat était prometteur : il s'agissait d'analyser le retour à la vie de deux héros secondaires après les batailles livrées contre Thanos, qui avait effacé la moitié de la population de la Terre (et de l'Univers) grâce au Gant de l'Infini, avant que cela soit corrigé par les Avengers survivants. Ce chaos a eu pour autre conséquence de ramener parmi les vivants, après cinq ans d'absence, des milliards de civils : résultat, beaucoup d'individus ont resurgi n'importe où et les gouvernements sont obligés de créer le GRC, un organisme qui s'occupe de leur rapatriement dans leur pays d'origine, au besoin par la force. Cela engendre les Flag Smashers, qui refusent ces déplacements non consentis et ne tardent pas à user de violence contre les institutions pour les empêcher.
Dans le même temps, Sam Wilson/le Faucon a préféré confier le bouclier que lui avait légué Captain America (à la fin de Avengers : Endgame) à un musée, estimant qu'il ne pourrait honorer cet héritage, remplacer dignement Steve Rogers. Bucky Barnes/le Soldat de l'Hiver, lui, se met en tête de rencontrer les proches des victimes qu'il a tuées quand il était un espion programmé par les russes et suit, à contrecoeur, une psychothérapie pour prouver sa bonne volonté. Les deux hommes se retrouvent pour raisonner les Flag Smashers mais au pire moment car le gouvernement a décidé de désigner un nouveau Captain America et de lui donner le bouclier.
Tout était donc en place pour une intrigue efficace, sur fond de géo-politique et d'action dans la lignée de Captain America : le Soldat de l'Hiver (2014). Las ! on en est très loin et Kari Skogland n'est pas les frères Russo à la réalisation.
Quand j'écris que rien ne fonctionne, c'est absolument rien. A force de courir plusieurs lièvres à la fois, la série ne satisfait à aucun de ses engagements. Refusant de choisir entre règler l'affaire d'un nouveau Captain America, illégitime car violent (il porte un flingue à la ceinture et a un tempérament sanguin, sans doute lié à un stress post-traumatique consécutif à son temps passé sur des zones de combat) et indigne aux yeux de Wilson comme de Barnes, et règler le problème de ces Flag Smashers, aux revendications nobles mais aux méthodes intolérables (car ils sombrent vite dans le terrorisme), on est constamment frustré. Qui plus est, le traitement réservé aux deux héros est nul.
Soucieux de faire de Sam Wilson un exemple (pour que le public l'accepte comme le nouveau Captain America mais aussi pour refléter la condition des afro-américains aux Etats-Unis où les bavures policières contre leur communauté se multiplient), le scénario n'en fait qu'un personnage naïf, écrit de manière outrageusement victimaire, en dépit du bon sens. Par exemple, Sam accompagne sa soeur à la banque pour obtenir un prêt voué un commerce, mais le préposé le refuse car il argue que Wilson n'est sans doute pas solvable. Pourtant, Wilson est un militaire de carrière, membre des Avengers, héros de la nation (du monde) ! Mais Wilson est apparemment aussi, dans cette série, un type qui préfére accuser le coup que faire valoir ses droits et il quitte la banque avec sa frangine en lui disant qu'ils trouveront une autre banque. Affligeant.
Bucky était aussi un personnage passionnant à creuser mais n''en espérez rien. Le scénario se noie dans le pathos le plus épais en le mettant en scène dans des situations grotesques, où il cherche le pardon des proches des gens qu'il a tués quand il était le Soldat de l'Hiver. Une mission impossible, mais qui ne semble pas beaucoup préoccuper sa psychothérapeute puisqu'elle lui assure que cela au final lui permettra de faire la paix avec lui-même et surtout de se refaire une vie sociale. Tu parles, Charles ! Quant à son sentiment sur le fait que Sam n'honore pas la promesse qu'il a faite à Steve Rogers (en rendant le bouclier, en refusant de le remplacer), cela se résume à un tirage de gueule digne d'un enfant qui boude, quelques reproches, mais jamais à une franche explication (tout juste souligne-t-il que si Wilson a trahi la confiance de Rogers, peut-être que Rogers s'est trompé). En outre, alors que la série acte que Bucky est aussi une sorte de super-soldat, jamais, en six épisodes, on ne le voit en mesure de prendre le dessus sur les Flag Smashers ou John Walker, malgré son expérience du combat et ses capacités surhumaines.
Je crois que pour bien faire, la série aurait tout simplement gagné à être découpée différemment, avec un premier acte consacré aux Flag Smashers, neutralisés à l'exception de Karli Morgenthau en cavale et donc motivée pour frapper un grand coup à la fin, puis un second acte sur John Walker, qui n'aurait pas commis l'irréparable à mi-parcours mais se serait avéré de plus en plus ingérable. Le final aurait démontré la dangerosité de Walker tuant Karli et se déshonorant du même coup en permettant par ricochet à Sam de s'imposer comme le seul Captain America digne de ce nom et à Bucky de profiter de la violence de Walker pour prouver qu'il valait mieux que lui.
Mais, une fois encore, la série ne cesse de bifurquer sans convaincre. Helmut Zemo est rappelé, dans une sorte de rôle à la Hannibal Lecter (négociant sa liberté en échange d'infos). Sharon Carter revietn aussi : c'est un peu plus satisfaisant, car elle a changé, gagnant en consistance avec une position très ambiguë, mais sous-exploitée, et en fait trop lisible (on devine trop facilement qu'elle est le Power Broker) et surtout incohérente (elle menace Karli qui lui a volé le sérum mais ne semble pas déployer beaucoup de ses immenses ressources actuelles pour la traquer et la punir, ne la tuant que pour préserver son secret).
La série souffre aussi du manque de charisme global de ses acteurs, et parfois d'un engagement qui paraît limité de leur part. Comme relevé plus haut, les scènes d'action sont notamment très décevantes, jamais on ne croit que Wilson et Barnes soient en mesure de dominer leurs adversaires, alors que dans le même temps, sans autant s'agiter, Zemo et Carter sont beaucoup plus efficaces. C'est une grosse déception, la chorégraphie de ces moments-là ne rivalisent absolument jamais avec celles vues dans la trilogie Captain America, qui sont le maître-étalon du MCU.
Surtout, donc, le jeu des acteurs est en deçà de ce qu'on pouvait attendre, surtout après ce qu'ont produit Elizabeth Olsen et Paul Bettany dans WandaVision. Anthony Mackie m'a particulièrement désolé, il n'apporte aucune épaisseur à son personnage (il suffit, pour s'en convaincre, de voir ses face-à-face avec Carl Lumbly, qui joue Isaiah Bradley,a vec une force poignante) et n'impressionne jamais dans les scènes spectaculaires (même si le premier épisode s'ouvre avec une séquence très prometteuse). Sebastian Stan ne m'a jamais vraiment convaincu en Bucky Barnes, mais on constate que livré à lui-même, il s'avère très limité, avec peu d'expressivité.
Les seconds rôles sont encore pires (si, c'est possible !) : Wyatt Russell est abominable en John Walker (et franchement ridicule en costume de super-héros). Erin Kellyman, qui joue Karli, est insupportable, jamais à la hauteur de ce personnage qu'on aimerait à la fois aimer puis détester. Daniel Brühl fait peine à voir, obligé de composer un Zemo pris en tenaille entre deux imbéciles alors que son personnage est certainement le plus brillant du lot. Quant à Emily VanCamp, elle est ravissante mais il est impossible de croire à son incarnation d'une ancienne du SHIELD en quête de revanche et manipulatrice. Le pompon est décroché in fine par Julia Louis-Dreyfus, casté en dépit du bon sens pour camper la Comtesse (ceux qui ont lu Nick Fury agent of SHIELD de Jim Steranko ricaneront en la comparant à son modèle, archétype de la femme fatale des années 60 et maîtresse de Fury).
Je ne vois rien à sauver de ce naufrage. Marvel a déjà acté le retour de Captain America, avec Sam Wilson, dans un quatrième long métrage (certainement pas avant 2023 toutefois). Il faut souhaiter que ce long métrage soit mieux conçu au risque de ruiner complètement ce héros emblématique.