dimanche 25 avril 2021

ETERNALS #4, de Kieron Gillen et Esad Ribic


Marvel a bien fait les choses, même si l'éditeur pensait coordonner la sortie de la série Eternals et du film. Finalement détachées dans le calendrier, cela fait l'affaire du comic-book qu'on peut apprécier sans avoir à le comparer au long métrage. Kieron Gillen progresse à pas comptés mais son intrigue est prenante. Et Esad Ribic livre des planches somptueuses. De quoi imposer cette production à part entière.


Phastos tente d'extraire de la Machine des informations pour localiser Thanos et Sersi a rendez-vous avec Iron Man à qui elle compte bien cacher que le titan est de retour. Cependant, Kingo et Thena arrivent à Polaria où ils sont reçus par Druig, qui vient d'hériter du trône de son père, assassiné.


Suspect, Druig se défend et ses arguments convainquent Kingo et Thena, qui ont menacé d'appeler Ikaris s'il les trompait. Ikaris, lui, est toujours dans les environs de New York pour veiller sur le jeune Toby Robson, mais pour ne pas attirer trop l'attention, il a confié à Sprite le soin de rester avec l'ado.


Kingo, Thena et Druig s'interrogent toujours sur Thanos et comment il peut utiliser la Machine pour aller et venir dans les différentes cités éternelles. Mais sur ces entrefaîtes, le titan surgit et s'en prend à Druig. Kingo et Thena passent à l'attaque.


Blessé, Thanos bat en retraite. Druig est persuadé que le titan a pour complice un Eternal puissant, tel que Gilgamesh. Mais pour l'affronter, Thena sait qu'Ikaris doit être présent. Elle ignore qu'après son départ, Thanos revient auprès de Druig et que ces deux-là sont alliés...

Dans ce quatrième épisode, Kieron Gillen avance encore lentement mais il abat quelques cartes maîtresses. L'intrigue progresse et montre bien qu'il y a quelque chose de pourri au royaume des Eternels, pour paraphraser Hamlet de Shakespeare. D'ailleurs, ce n'est pas la seule fois que le scénariste emprunte au théâtre classique pour cette série...

Car, à bien y regarder, Eternals version 2021 ressemble beaucoup dans sa mise en scène à une pièce où les acteurs, même s'ils ne portent pas de masque de super-héros, se cachent derrière des expressions de façade. 

Cela démarre dès les premières pages avec le dialogue entre Phastos et Sersi. Cette dernière a rendez-vous avec Iron Man avec lequel elle communique régulièrement sur leurs intérêts communs, mais c'est un jeu de dupes dans lequel elle mène la danse. Comme elle l'assure à Phastos, inquiet que des humains en sachent trop sur leurs intrigues de palais, elle ne dit que ce qu'elle a envie de dire et elle ne communique pas avec tout le monde. Ainsi les Eternels ne parlent pas avec les mutants ("surtout pas"), ce qui suggère une méfiance certainement en rapport avec leur nouvelle situation et la puissance qu'ils ont acquise. Cela indique aussi que, pour les Avengers, savoir que Thanos est en train de tuer des Eternels et se balade aux quatre coins de la planète grâce aux portails de la Machine est une information qu'il ne faut pas partager. Les Eternels sont résolus à règler cela entre eux, sans interférence extérieure.

Gillen insiste à dessein sur ce culte du secret chez les Eternels pour souligner une suffisance certaine de leur part. Elle n'est pas injustifiée quand on sait que les Avengers ne brillent pas toujours (loin s'en faut) pour faire règner l'ordre, se prenant pour des pacificateurs ne rendant de compte à personne, même quand ils mettent la planète en grand danger. Les Eternels sont présentés comme des êtres d'expérience pour qui traquer Thanos fait pratiquement partie des choses courantes, sans que personne ne s'en rende compte.

Outre une courte scène avec Ikaris et surtout Sprite, qui est chargé de veiller sur le jeune Toby Robson, car sa présence est moins dérangeante, et bien qu'on ignore toujours pourquoi cet adolescent américain ordinaire est si précieux, le reste de l'épisode se concentre sur le trio Thena-Kingo-Druig et se montre à la fois savoureux et inquiétant.

Gillen se défait jamais d'une certaine distanciation, ce qui rend son écriture assez froide. Sans doute ce parti-pris veut-il traduire le fait que les Eternels ne sont pas des héros comme les autres, ils évoluent dans un univers à part, sont là depuis très longtemps, et entretiennent des rapports entre eux très spéciaux, où l'amitié, l'amour, la confiance ne sont guère de mise. Néanmoins, le scénariste essaie, avec succès, de les humaniser, de manière à ce qu'on s'y attache.

Mais il le fait avec une ironie déroutante, on ne sait jamais trop sur quel pied danser avec ces individus extraordinaires. Druig, par exemple, est renvoyé constamment à son attitude de serpent, calculateur, dissimulateur, et arrogante. Cela nous le rend immédiatement antipathique, mais introduit une dynamique dans la relation de Kingo et Thena, que le lecteur interprète comme celle qu'on voit dans les films policiers, avec un gentil flic (Thena) et un méchant flic (Kingo). C'est un jeu, une comédie, très théâtrale, et les trois Eternels jouent leur rôle en sachant très bien qu'ils le font. Comme Druig vient d'hériter de la place de son père, qui vient d'être assassiné par Thanos, et qui en fait donc un Eternel prime, c'est un suspect évident, mais il a des arguments pour se défendre très habiles et convaincants, que ne nient pas Thena et Kingo.

Kingo attire l'attention parce qu'il n'a pas été très développé pour l'instant et Gillen va se charger de le définir, comme il l'a fait auparavant avec Thena par rapport à Sersi, dans un flashback. Cette astuce narrative permet aussi à l'auteur de placer les Eternels dans l'Histoire de l'humanité dont ils ont été à la fois les spectateurs et les acteurs. Cette fois-ci, nous sommes transportés au XIIIème siècle en Mongolie, au moment de la succession d'Ogodaï Khan, fils de Gengis Khan. On admire l'érudition du scénariste et aussi le dépaysement d'une telle séquence, mais surtout on note toujours sa théâtralité assumée, avec une incitation au meurtre capable de modifier l'échiquier politique de la région. Kingo est le dindon d'une farce orchestrée par Druig, ce qui justifie que des siècles plus tard encore, les deux se détestent franchement et interprètent fidèlement leurs partitions (le guerrier facile à manoeuvrer qu'est Kingo, le stratège fourbe qu'est Druig). Fascinant.

Ce passage est magnifiquement illustré par Esad Ribic, avec les couleurs tout aussi superbes de Matt Wilson. Le dessinateur met tout son talent au service de cette évocation des temps anciens et réussit à représenter magistralement le paysage, l'ambiance de la Mongolie. Les Eternels sous son crayon se distinguent aussi par leur diversité ethnique, c'est certainement la série mainstream la plus variée dans son casting, avec des personnages asiatiques, africains, caucasiens. Cet effort permet de valider le fait que les Eternels sont partout, depuis toujours, et donc ont des physiques, des couleurs de peau, aussi différentes. En faire tous des blancs caucasiens n'aurait aucun sens (c'était d'ailleurs la limite des précédentes séries qui leur étaient consacrés, y compris celle initiale de Kirby).

Mais Ribic, comme Bryan Hitch, quoique avec une sensibilité différente, est surtout un artiste qui voit grand, qui excellent dans le bigger than life, et c'est pourquoi il est sin parfait pour cette série. Quand il dessine Phastos frappant la Machine, il le fait avec de grandes cases verticales signifiant l'énormité de l'appareil. Quand Ikaris veille sur Toby Robson, il le montre planant au-dessus de la ville tel un ange gardien et il souligne les perspectives vertigineuses avec une plongée époustouflante.

Matt Wilson a choisi de coloriser la série simplement, sans ajouter de textures au trait de Ribic ni abuser de nuances. Pour chaque endroit, il sélectionne une couleur principale, sobrement lié à sa position géographique. Dans le cas de Polaria, qui, comme son nom l'indique, se trouve dans une région glacée, c'est le bleu qui domine, pour communiquer au lecteur le froid polaire, mais aussi l'inhospitalité de Druig, les lumières pâles de sa cité. L'architecture est elle-même très dépouillée, prenant le contrepied de ce qu'on attendrait d'une série pareille et notamment de la tradition Kirby-esque, avec des formes complexes, tourmentées, folles. Au contraire, Ribic plante le décor en faisant en sorte que celui-ci ne paraisse ni ancien, ni futuriste, mais intemporel. C'est une résidence vaste, mais sans âme, sans chaleur, à l'image de son chef.

Lorsque Thanos y fait irruption, le chaos vient bouleverser ce hâvre de paix et en même temps rend le cliffhanger diabolique, car on se rend compte que Druig n'a que faire des fastes, il veut le pouvoir, il est dans une action méticuleuse, minutieuse. L'épure de son cadre de vie lui permet de cacher son double jeu (s'il vivait dans un palais richement orné, cela nous mettrait la puce à l'oreille sur son goût pour l'opulence, son ambition). Thanos est également communément dessiné dans des décors austères car le titan n'a que faire du luxe, il est tendu vers son objectif et n'a pas le temps pour s'occuper de ses intérieurs. C'est très bien étudié.

Le(s) prochain(s) épisode(s) s'annoncent prometteurs, avec l'introduction de nouveaux Eternels et désormais la prise en compte des manigances de Druig (bien qu'ingorées par Thena et Kingo mais aussi par Ikaris). Cela devrait nous mener jusqu'en Juillet avec le n°7, si on en croit les previews récentes de Marvel, ce qui constiuerait un premier arc déjà consistant.

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