Le mois dernier, la reprise de Nightwing par Tom Taylor et Bruno Redondo avait été un de mes coups de coeur. Après des années où le héros avait été écrit (et parfois dessiné) n'importe comment, on avait le sentiment que, enfin, une équipe artistique digne de ce nom voulait lui rendre justice. Cette impression se confirme avec ce 79ème épisode, dont chaque page est un régal et qui lance un nouveau subplot accrocheur.
Depuis qu'il sait qu'il a hérité de la fortune d'Alfred Pennyworth, Dick Grayson s'interroge sur le meilleur usage à en faire. De sortie avec Barbara Gordon, il paie des pizzas à tous les passants du quartier. Et, au passage, se fait chiper son portefeuille par trois gamins.
Heureusement, Dick a placé un traceur dans son portefeuille et peut pister les pickpockets, tandis que Barbara a installé une mini-caméra à son masque, lui permettant de le suivre. Nightwing observe alors une réunion à une terrasse de bar entre Salvatore Maroni et Melinda Zucco.
Les trois jeunes pickpockets s'approchent de leur table et volent le portefeuille de Maroni. Un de ses gardes cu corps les surprend et dégaine son flingue. Nightwing intervient pour les désarmer. Les voleurs prennent la fuite, coursés par le justicier.
Les trois premières pages qui ouvrent l'épisode, superbement découpées par Bruno Redondo, ont valeur de métaphore pour la suite. On revoit divers moments du passé de Nightwing, depuis ses débuts d'acrobate auprès de ses parents dans le cirque jusqu'à la fondation des New Teen Titans en passant par son rôle de sidekick de Batman sous l'alias de Robin et son amitié avec Alfred Pennyworth. Autant de saynètes qui lui ont appris qu'il fallait toujours avoir quelqu'un prêt à vous rattraper en cas de chute pour être en mesure de faire la même chose pour autrui ensuite.
Ce que Tom Taylor suggère ainsi, il va l'exprimer clairement suite. Car, tout cet épisode illustre cette leçon : Dick Grayson n'est plus seulement de retour à Blüdhaven comme justicier, il est devenu riche grâce à la fortune que lui a légué Alfred Pennyworth, et il s'interroge sur quoi faire de cet argent en méditant sur la façon dont Batman a utilisé son propre magot. Dick veut cependant faire mieux, plus utile, car il a la conviction que l'argent ne doit pas servir seulement à sa carrière de justicier, encore moins à son confort personnel.
Il l'ignore encore, mais il va l'apprendre vite, dans les pages de ce chapitre : ce butin, c'est le moyen pour lui de rattraper les autres dans leur chute. Tom Taylor est malin mais pas roublard : sa démonstration, il la fait sans effets de manche, mais plus simplement, plus pragmatiquement, en entraînant Nightwing et le lecteur dans une aventure édifiante et instructive. Une démonstration par l'exemple, qui illustre à merveille un adage cher aux narrateurs intelligents : "Show. Don't tell." (c'est-à-dire : "Montre. N'explique pas.").
Et cet adage, quel meilleur média que la bande dessinée pour le servir ? En effet, la narration de la bande dessinée est autant écrite que graphique. Plus la lecture est évidente, plus elle est efficace, plus elle montre et moins elle explique. Une histoire bien racontée, c'est celle qui, à la fin, nous est compréhensible par la simple évocation. Si on doit expliquer le pourquoi du comment, alors c'est que le scénario et les dessins n'ont pas été suffisamment clairs.
Et c'est ce qui explique que Taylor et Redondo forment un si bon duo : chacun est un adepte d'une forme de ligne claire dans sa narration. Taylor ne nous embobine pas, et Redondo dessine d'un trait limpide. Ils sont sur la même longueur d'ondes, ce qui facilite déjà beaucoup la compréhension de ce qu'ils racontent, mais qui, surtout, permet d'apprécier le message qu'ils veulent faire passer.
Le récit ici se déroule en temps réel, passée la scène d'ouverture et les trois premières planches. Dick et Babs sortent manger, ils évoquent l'héritage d'Alfred, le meilleur moyen de l'utiliser, partagent des pizzas avec des habitants du quartier (dont certains qu'on devine précaires). Puis des pickpockets chipent le portefeuille de Dick et provoquent une réaction en chaîne. Nightwing les poursuit, tombent sur une scène intrigante, qui va déclencher une série de péripéties et une découverte cruciale, renvoyant aux questions posées au début de l'épisode (comment dépenser intelligemment l'argent légué par Alfred).
Tout ça est si bien ficelé qu'on ne se rend même pas compte en lisant à quel point Taylor et Redondo illustrent littéralement la métaphore avec laquelle ils ont ouvert leur épisode. On tourne les pages et on savoure la fluidité du scénario, formidablement dessiné. Redondo use à bon escient d'effets stroboscopiques pour valoriser l'action, en décomposant par exemple les mouvements d'une acrobatie et des coups portés par Nightwing.
Tout l'épisode s'évertue à mettre en avant l'agilité de Nightwing comme pour souligner en même temps à quel point Taylor nous emmène là où il le veut. Tout est merveilleusement à sa place, presque trop (car tout de même il y a un enchaînement miraculeux pour que les pickpockets échouent pile à l'endroit où Melinda Zucco et Salvatore Maroni ont rendez-vous et osent tirer le portefeuille du gangster, tout ça sous les yeux de Nightwing). Mais on pardonne ces croisements providentiels pour apprécier le dénouement, quand Dick découvre le campement sauvage, véritable révélation-choc pour lui ("Blüdhaven ne manque jamais de me décevoir.").
Pour ne rien gâcher, Taylor glisse un subplot glaçant dans son récit, avec un tueur mystérieux qui arrache littéralement le coeur de ses victimes et qui semble sans lien avec les autres menaces que représentent Melinda Zucco, Salvatore Maroni et Blockbuster. On voit que le scénariste prépare plusieurs coups à l'avance, sème des intrigues futures, et c'est rassurant car cela signifie qu'il a bien l'intention de rester sur la série un moment (intention dont on s'est mis à douter il y a quelques jours quand DC a officialisé que Taylor allait écrire la nouvelle série Superman - en remplacement de Philip Kennedy Johnson et Scott Godlewski - avec Jon Kent dans le rôle).
Lire Nightwing en ce moment est vraiment en passe de devenir un incontournable et ça fait plaisir, pour le personnage, et pour DC dont on voit que Infinite Frontier redistribue les cartes de fort agréable manière (même si tout n'est pas aussi attirant).
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