jeudi 11 février 2021

S.W.O.R.D. #3, de Al Ewing et Valerio Schiti, Ray-Anthony Height, Bernard Chang et Nico Leon


S'il en fallait une preuve, ce troisième épisode de S.W.O.R.D. confirme qu'on lit une grande série. Pourquoi ? Parce que quand un titre décide d'opérer un tel contrepied, en s'offrant un aparté pareil, en se concentrant sur un seul personnage, et en partageant ses pages entre quatre dessinateurs, sans perdre sa qualité, c'est très fort. Al Ewing orchestre tout ça magistralement et retombe in fine sur ses pieds avec une agilité épatante.


Manifold est responsable de la Logistique au sein du SWORD. Cette qualité lui confère une liberté de manoeuvre particulière : dans la situation de crise actuelle, avec l'attaque de Knull sur Terre, il doit trouver du renfort et commence par aller voir son oncle en Australie.


Fort des conseils que lui a prodigué son oncle, Manifold traverse l'espace pour surgir dans le vaisseau amiral du prétendant au trône des Snarks. Mais il essuie un refus car son interlocuteur vient de perdre sa soeur à cause de Knull et que le sort de la Terre ne l'intéresse pas.


La prochaine escale de Manifold est pour la station Alpha Flight à bord de laquelle se trouve Henry Gyrich. Mais celui-ci est au téléphone et Manifold, intrigué par l'échange qu'il entend, et la lecture d'un dossier, préfère se retirer ni vu ni connu.


De retour dans la station du Pic, Manifold alerte Abigail Brand au sujet de ce qu'il a découvert à propos de Gyrich. Elle décide de s'en occuper plus tard car elle n'a plus de contact avec l'équipe qu'elle a envoyée sur Krakoa. Manifold s'y rend et constate qu'un de ses partenaires est sous l'emprise de Knull...

Lorsque j'ai lu les crédits de cet épisode, j'ai été inquiet : Valerio Schiti n'en signait pas l'intégralité des dessins, et pas moins de trois autres artistes figuraient au sommaire. A quoi tout cela allait ressembler ? Qui plus est : alors que le précédent numéro s'achevait à Krakoa avec (Kid) Cable "Knullifié", le texte de présentation annonçait que l''histoire allait se concentrer sur Manifold seul.

Mais mes doutes se sont vite dissipés à mesure que je tournais les pages de cet épisode, encore une fois prodigieux. C'est une nouvelle leçon de narration, écrite et graphique, à laquelle on a droit. Un tour de force impressionnant qui confirme que S.WO.R.D. est une série majeure.

Eden Fesi est un personnage introduit par Jonathan Hickman à l'époque où il écrivait Secret Warriors, au début de sa carrière chez Marvel (le titre était parrainé par Brian Michael Bendis, ami de Hickman, pour lui assurer plus de visibilité). D'origine aborigène, ce jeune héros était présenté comme un téléporteur, mais Hickman allait en faire plus que ça. Devenu un de ses personnages fêtiches, il allait l'intègrer quelques années plus tard dans ses Avengers et détailler ses pouvoirs de "Quintician".

Pour résumer, Manifold peut se déplacer dans l'espace mais aussi le temps via des brêches qu'il ouvre en sollicitant le Multivers. Il a juste besoin pour cela d'avoir un moyen de se repérer, sinon cette capacité est sans limite. Il a eu pour mentor le mutant Gateway, avec lequel il entretient toujours des rapports difficiles. Par ailleurs, comme le note Abigail Brand dans les dossiers secrets qu'elle tient sur son équipe du SWORD, c'est un type sympathique (ce qui le distingue de subordonnés moins fréquentables comme Fabian Cortez).

Lui consacrer un épisode entier, qui plus est au moment où notre attention a été attirée sur l'attaque de la Terre par Knull, le dieu des symbiotes, peut sembler déplacé. Sauf que Al Ewing, qui a récupéré le personnage de Manifold pour sa série, ne le fait pas gratuitement : en effet, Edeen Fesi reste en mission et cette mission est en rapport direct avec la crise actuelle. Il est à la recherche de renforts.

De manière très habile, le scénario s'articule autour des différentes visites qu'effectue Manifold et pour chacun de ces segments, un dessinateur différent est aux commandes. Valerio Schiti signe l'ouverture avec deux doubles pages grandioses puis passe le relais à Ray-Anthony Height, dont ce sont les débuts chez Marvel. Cette première escale est déjà spéciale puisque Manifold rencontre son oncle pour un dialogue qui porte surtout sur la façon dont le traite Krakoa, sa relation avec Gateway, son passé (où il a tué en mission,, pour les Secret Warriors, dont le patron était Nick Fury). Un passage détonant mais intéressant pour cerner ce héros fuyant par nature.

Ensuite, Manifold demande l'aide des Snarks, en pleine guerre de succession.  Avec leur tête de crocodile et leur physionomie unique, ces aliens sont de terribles combattants, mais Zn'Rx, peut-être le plus belliqueux des prétendants au trône, n'est pas dans les bonnes dispositions. Et pour cause : Knull a détruit la flotte de sa soeur. Manifold n'insiste pas - et ne voit donc pas qu'après son départ, son interlocuteur se fait assassiner : à coup sûr, cela introduit un subplot amené à être exploré plus tard. C'est Bernard Chang, récent transfuge de DC, qui illustre ce passage, dans un style direcr, à base de gros plans, ce qui souligne la tension entre les deux acteurs mais permet aussi d'apprécier le sang-froid de Manifold.

Valerio Schiti reprend la main pour une planche et demi lorsque Manifold réapparaît dans la station Alpha Flight (que dirigeait précédemment Abigail Brand). C'est aussi à ce moment que Al Ewing communique les éléments du dossier que Brand tient sur Eden Fesi, ses pouvoirs, sa personnalité. Manifold, cependant, ne va pas parler à Henry Gyrich, en charge de l'endroit car il l'entend parler avec quelqu'un au téléphone. Et il l'entend parler de Krakoa.

Nico Leon prend le crayon de la main de Schiti : son trait fin et un peu fade est compensé par un découpage simple mais malin qui consiste à suivre la conversation téléphonique de Gyrich pendant que Manifold l'espionne puis lui subtilise temporairement un dossier. Il découvre dans ces papiers que Gyrich figure dans l'organigramme de Orchis, le conglomérat de crapules dont on a fait la connaissance dans House of X et qui développe une nouvelle générationd de Sentinelles. Ce twist ne surprend pas tant quand on connaît Gyrich, qui, de tout temps, a été un magouilleur obsédé par le contrôle des super-héros, au service du gouvernement américain, mais davantage parce que les Etats-Unis, qui ont pourtant reconnu la souveraineté de la nation X, abrite en son sein des agents doubles.

L'épisode a filé tellement vite, en semant pourtant assez petits cailloux pour alimenter de futures intrigues, qu'il ne lui reste plus que deux pages pour conclure. Valerio Schiti les dessine et Al Ewing a encore une carte dans sa manche. Abigail Brand a perdu le contact avec l'équipe dépêchée sur Krakoa, et y envoie Manifold, après qu'il lui ait révélé ce qu'il a appris sur Gyrich. Le cliffhanger de la dernière planche est cauchemardesque.

Hé bien, ça, c'est ce que j'appelle une leçon de narration. On n'a pas vu le temps passer et pourtant on est sans dessus-dessous, entre la viste d'Eden Fesi à son oncle, le sort du prétendant au trône Snark, le double jeu de Gyrich, et la situation critique sur Krakoa, avec autour de ça le portrait de Manifold, des dessins magnifiques, des dialogues au cordeau, des scènes palpitantes, et une menace intacte.

Autant  Al Ewing me convainc à moitié sur Guardians of the Galaxy (série sur laquelle il a décidé de tout changer en Avril, et que je ne poursuivrai pas), autant sur S.WO.R.D. il m'impressionne par la rigueur et l'énergie qu'il met dans son écriture. La gestion du dessin sur cet épisode spécial témoigne aussi d'un solide travail éditorial (même si je suis content que Schiti revienne à temps plein le moins prochain et les suivants). Chapeau bas.  

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