Ce deuxième épisode de Eternals ne déçoit pas : Kieron Gillen sert un numéro plein d'action et fertile en surprises, dense. Esad Ribic produit encore des planches magnifiques. Toutefois la série déconcerte par ses nombreuses ressemblances avec les X-Men de Hickman avec qui elle partage de nombreux concepts, narratives et formelles. Simple coïncidence ?
Dans Titanos en ruines, Ikaris affronte Thanos. Mais le titan résiste plus que bien aux assauts de l'éternel malgré des passages répétés dans des portails spatio-temporels de la Machine. Thanos finit par prendre un avantage décisif mais comprend qu'il s'agit d'un leurre lancé par Sprite pour sauver Ikaris.
De retour à Olympia, Ikaris et Sprite résument leur affrontement avec Thanos. Druig est perplexe : Thanos ne maîtrise pas la technologie des Eternels. Derniers à avoir été ressucités par la Machine, Ikaris et Sprite restent suspects. Mieux vaut attendre la renaissance de Zuras.
Mais Phastos annonce que le sabotage de la Machine rend les résurrections impossibles jusqu'à nouvel ordre. Sersi raisonne Druig et emmène Ikaris pour le soigner. Elle convoque aussi Phastos et Kingo pour qu'ils enquêtent sur la présence d'un possible traître dans leurs rangs.
Cela expliquerait comment Thanos a pu atteindre la Machine et tuer Zuras et innocenterait Ikaris et Sprite. Ikaris, soigné, se retire : qu'on le rappelle quand le traître sera trouvé pour qu'il s'en occupe...
Ce résumé passe sous silence une intrigue secondaire de l'épisode mais ce subplot sera sûrement rattaché à l'histoire principale dans les prochains numéros. L'essentiel est ailleurs et a de quoi occuper le lecteur et le critique.
A la surface, pourrait-on dire, Kieron Gillen développe déjà quelque chose de consistant et il le fait avec beaucoup de rythme. Au fond le soupçon de Druig n'est pas infondé : le sabotage de la Machine et le meurtre de Zuras font d'Ikaris et Sprite des suspects potentiels - surtout Sprite, dont le caractère imprévisible l'accable. Puisqu'ils ont été les derniers à être ramenés à la vie et qu'il est désormais, temporairement au moins, impossible de ressuciter Zuras, leur position est délicate. Métaphoriquement, Gillen semble pourtant les disculper en insistant sur la nature des protagonistes, notamment celle de Druig décrit comme un serpent, donc un individu sournois.
L'épisode réintroduit Sersi (l'équivalent pour Kirby de Circé), que la Machine-narratrice cerne comme une femme "compliquée". Précédemment, il était établi que Sersi avait en effet connu plusieurs romances, avec l'éternel Makkari (qui n'est pas encore apparu) mais aussi avec Black Knight (qu'elle a connu chez les Avengers). Dans la mini-série de Neil Gaiman et John Romita Jr, elle refusait même de réintègrer la communauté des Eternels, ayant refait sa vie durant la période où Sprite avait rendu les siens amnésiques.
Avec Sersi, la dimension policière du récit s'affirme. Elle ne croit pas qu'Ikaris ou Sprite ont pu tuer Zuras mais elle pense qu'un traître se cache parmi les Eternels et a permis à Thanos de saboter la Machine et de tuer Zuras. Ce n'est pas le nombre de suspects qui manque puisque, dans le précédent numéro, Gillen a pris soin de dresser une cartographie complète de la population des Eternels, qui sont au moins une centaine, dispersée autour du globe.
Cette fois, le scénariste, qui a visiblement à coeur de répertorier les Eternels en vue d'une saga d'ampleur, revient sur une double page de texte sur le parcours de Thanos, avant sa naissance jusqu'à aujourd'hui. On apprend ainsi comment une frange des Eternels a choisi l'exil sur Titan pour y fonder leur propre communauté, au sein de laquelle est né Thanos. Ce dernier est donc une sorte d'éternel par défaut, animé depuis longtemps par une obsession de l'équilibre des forces dans le cosmos et prêt pour cela à mettre en oeuvre des mesures radicales. Cela a d'ailleurs été très bien adapté dans les films du MCU où le titan était dépeint comme un méchant équivoque dont l'objectif était de réguler la population de l'univers en complètant le gant de l'infini (une intrigue définie par Jim Starlin dans les comics).
Sersi réunit un petit groupe autour d'elle pour mener une enquête discrète et rapide afin d'identifier le traître. On est donc dans une pure detective story parmi des Eternels déboussolés par l'impossibilité de ressuciter si Thanos les tue avant que la Machine ne soit réparée. C'est très efficace et superbement mis en images par Esad Ribic qui réussit à animer les personnages avec cette dimension mythologique qui les caractérise, dans des décors grandioses. Le découpage fait la part belle aux plans généraux, les héros y sont bigger than life, les batailles intenses, la puissance des adversaires vraiment épique. La colorisation de Matthew Wilson est également splendide, sobre et lumineuse, ne grignotant jamais le trait de Ribic (au point qu'on peut encore voir des traces de ses crayonnés pour les effets de textures et de volumes).
Mais ça, disais-je plus haut, c'est en surface. Car, par ailleurs, la série, avec seulement deux numéros au compteur, présente des similarités troublantes avec ce que fait actuellement Hickman sur X-Men. Je n'accuse pas Gillen de copier son collègue et d'ailleurs on pourrait aussi prétendre que Hickman a puisé dans les références aux Eternels pour refonder les X-Men. Néanmoins, le calendrier est défavorable à Gillen dans la mesure où sa série paraît plus d'un an et demi après la relance de la franchise X, et donc les ressemblances entre son projet et celui d'Hickman donnent davantage le sentiment qu'il s'est inspiré plutôt que le contraire.
Sur la forme, il y a les data pages (dans le premier épisode sur la population disséminée des Eternels, dans cet épisode sur Thanos). Sur le fond, il ya des éléments encore plus troublants comme la résurrection (la Machine des Eternels remplaçant les Cinq de Krakoa), l'attaque contre le leader (le Pr. X, Zuras), l'ennemi (Annihilation, Thanos), le comportement même des héros (comme les mutants, les Eternels sont ici écrits comme des personnages qui ne suscitent pas une franche empathie et qui règlent leurs affaires entre eux selon des codes plutôt archaïques).
On pourrait même pousser plus loin en notant que Ikaris se bat en employant des rayons optiques thermiques... Comme Cyclope. Que Druig se comporte comme Mr. Sinistre. Que Sersi fait penser à Jean Grey (aussi attentionné avec Ikaris que la mutante envers Cyclope). Des détails peut-être, mais tout de même.
Gillen comme Hickman sont des auteurs fans de high concepts, des types cérébraux, au style volontiers maniériste, et qui suscitent chez les lecteurs des réactions tranchées (souvent jugés par les uns comme des architectes froids plutôt que comme des conteurs divertissants, un pied dans le mainstream chez les Big Two, un pied chez les indés). Mais Hickman jouit d'un succès éditorial plus important tandis que Gillen reste une espèce d'outsider arty dont le prestige repose sur des runs plus brefs chez Marvel et des entreprises plus longues chez Image ou Boom ! Studios.
Toute la question est donc de savoir si Gillen parviendra à se distinguer de Hickman ? Le plus tôt serait le mieux pour que Eternals ne soit pas accusée d'être un ersatz de X-Men. Gillen a déclaré que son plan était non pas de coller au film (désormais prévu en salles pour la fin de l'année, si la situation sanitaire s'est améliorée) mais de raconter une histoire qui, en quelque sorte, se situerait après le long métrage. Ce n'est donc pas l'ambition qui lui manque, ni le talent quand on apprécie l'aspect polar de ces deux premiers numéros.
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