vendredi 9 octobre 2020

BLACK WIDOW #2, de Kelly Thompson et Elena Casagrande


Kelly Thompson et Elena Casagrande ont frappé fort avec leur premier épisode de Black Widow grâce à une intrigue rapidement mise en place et superbement mise en images. Le plus dur restait à venir cependant car il fallait convertir cet essai prometteur. Mission accomplie pour un début de run décidément aguicheur.
 

Planqués devant le domicile de Natasha Romanoff à San Francisco, Clint Barton et Bucky Barnes ne savent pas que faire. Clint, impatient, décide d'aller à la rencontre de son ex-partenaire. Elle se fait prénommer Natalie désormais, a un enfant, un mari et semble parfaitement heureuse.



De retour auprès de Bucky, Clint est bouleversé. Leur amie a tout oublié de son ancienne vie mais il ne se sent pas le droit de l'arracher à cette nouvelle existence paisible. Pourtant, tous autant qu'ils sont ignorent un fait troublant...


En effet, la maison et le bosquet dans lequel se cachent Hawkeye et le Soldat de l'Hiver sont surveillés par des caméras commandés par Arcade. Celui-ci aimerait se débarrasser des deux espions mais ses employeurs le lui interdisent.


Le soir venu, Natasha/Natalie et son mari sortent en ville, après avoir confié leur fils Stevie à une nounou. James, le mari, prend congé et part en taxi tandis que Natasha s'apprête à rentrer avec leur voiture. Lorsque son attention est attirée par un cri provenant d'une ruelle.


Elle surprend des voyous en train d'agresser une femme et leur inflige une raclée. Puis elle appelle la police. De retour chez elle, elle paie la nounou et s'isole dans le garage où une affaire dangereuse l'attend...

Black Widow permet vraiment à Kelly Thompson de mettre en avant ce qu'elle fait de mieux. On retrouve en fait le savoir-faire dont elle fait preuve dans Sabrina the teenage witch, ou autrefois sur Hawkeye : une manière d'intriguer le lecteur, de l'entraîner dans une histoire mystérieuse dont elle seule connaît les réponses. 

C'est là où elle a failli avec Captain Marvel où, en plus d'un supporting cast un peu envahissant, elle choisissait au contraire de donner les clés au lecteur. Il est évident à présent que la scénariste est plus à son aise avec des personnages dénués de pouvoirs ou en tout cas qui en font un usage en devant s'en méfier. Contrairement à Jonathan Hickman par exemple, qui est un adepte des scénarios story-driven, Thompson est plus à l'aise avec les projets character-driven.

De ce point de vue, Natasha Romanoff est un matériau parfait pour elle car c'est une femme avec une véritable mythologie, bien établie dans l'esprit du lecteur. Il n'y a pas besoin d'en rajouter. En nous la présentant dans une situation étonnante, déroutante (elle a perdu la mémoire, refait sa vie, connaît le bonheur), tout est fait pour susciter notre intérêt.

Thompson se garde bien d'abattre ses cartes trop vite. On s'interroge, comme Clint Barton et Bucky Barnes : qu'est-il arrivé à la Veuve Noire ? Elle ajoute à cette question une autre, plus perturbante : a-t-on le droit de retirer à quelqu'un ce qui la rend heureuse quand ceci est indéniablement suspect ? Que le problème perturbe qui plus est deux anciens amants de Natasha rend la chose encore plus piquante puisque cela met en jeu leurs sentiments autant que leur responsabilité.

Pourtant, l'épisode ne se contente pas de creuser cette situation. Il y a des signes manifestes que la "programmation" qu'a subie Natasha connaît des ratés. Dans le premier épisode, on la voyait acheter sur un coup de tête une moto. Cette fois, elle corrige une bande de voyous, signe qu'elle n'a en tout cas pas oublié sa formation de combattante. Puis, à la toute fin, on l'observe en train de fabriquer un inquiétant objet... Et quand elle s'en rend compte, elle est bouleversée. Il y a aussi cet homme mystérieux, un des commanditaires d'Arcade, qui se demande à haute voix ce qu'ils ont fait.

Tout cela est très efficace, prenant, raconté avec talent. J'avais entamé cette série avec méfiance car les dernières productions Marvel de Thompson m'avaient déçu, mais aussi parce que j'étais persuadé de ne pouvoir trouver mieux que les runs de Nathan Edmondson/Phil Noto et Mark Waid/Chris Samnee sur ce titre. Or en deux numéros, je suis retourné.

Il faut dire que cette Black Widow, en plus d'être bien écrite, est également superbement dessinée par Elena Casagrande. L'artiste tient là une occasion de briller et de confirmer les promesses sans lendemain de Suicide Risk où elle avait été révélée.

Dans une interview disponible sur le site de Marvel, Casagrande explique sa démarche en s'inspirant aussi bien de codes de la bande dessinée mais aussi de références cinématographiques. De fait, son découpage a une fluidité épatante. Elle utilise à bon escient des effets comme le copié-collé pour une scène de dialogue (entre Natasha et Clint) ou la double page avec des cases éclatées (la scène de bagarre dans la ruelle). Son trait très élégant, fin, souple, expressif, fait merveille quand il s'agit de représenter le quotidien. Mais la dessinatrice s'éclate visiblement aussi dans les moments d'action pure.

Casagrande sait aussi instiller le doute très subtilement, avec un regard un peu appuyé, comme celui de la nounou devant le couple radieux que forme "Natalie" et James (le prénom du mari revêt son importance puisque c'est aussi celui de Bucky, qui s'appelle James Buchanan Barnes). En un éclair, on se met alors à fantasmer sur le rôle réel de cette babysitter dans la machination ourdie par Arcade et ses commanditaires.

Enfin, les couleurs de Jordie Bellaire sont comme d'habitude avec elle remarquables de nuances. Elle habille les planches de couleurs majoritairement chaudes, bienveillantes, douces, qui endorment notre vigilance. Du coup, quand le cliffhanger surgit, on est cueilli.

C'est une réussite. On espère qu'elle durera, mais quelque chose me dit qu'on peut avancer en confiance. Cette série est entre de bonnes mains. 

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