samedi 5 septembre 2020

FIRE POWER #3, de Robert Kirkman et Chris Samnee


J'ai adoré les deux premiers épisodes de Fire Power, sans cacher que ce plaisir était attaché au retour aux affaires de Chris Samnee. Mais l'histoire imaginée par Robert Kirkman, avec des influences évidentes et assumées, n'est pas non plus étrangère à son succès. D'ailleurs, le Prelude de la série a été la meilleure vente dans la catégorie "Graphic Novel"de Juillet dernier. C'est bien parti donc et ce numéro trois continue de combler le fan.


Après leur nuit agitée, les époux Johnson, levés avant leurs enfants, décident de les entraîner aux arts martiaux pour prévenir de futures agressions. Reggie, le collègue policier de Kellie, passe la chercher tandis que Owen conduit Hailey et Doug à l'école.


Profitant de sa pause déjeuner, Owen, qui restaure des meubles pour un antiquaire, se remémore son séjour au temple, les attaques suivantes du clan de la Terre Ecorchée, le départ de Ling Zan, sa mort... Autant d'éléments qui, rétrospectivement, le troublent.


Comme convenu, à leur retour de l'école, Owen débute l'entraînement de Doug, enthousiaste, et Hailey, moins motivée. Il leur dissimule toujours la visite des ninjas et de Ma Guang cette nuit et peine à les convaincre de s'endurcir. Jusqu'à l'arrivée de Kellie qui montre l'exemple.


Reggie retrouve Wei Lun pour le compte de qui il espionne les Johnson. De son côté, Ma Guang rentre au temple où Chou Feng est déçu de le voir revenir seul. Il prend immédiatement des mesures pour corriger cela...


Quand on lit beaucoup de récits super-héroïques comme moi, même si cela reste un plaisir, il faut admettre que se plonger dans autre chose revient à une respiration bienvenue. On change de codes narratifs, on savoure ce changement. Fire Power est, à cet égard, une parenthèse appréciable.

Pourtant, la création de Robert Kirkman et Chris Samnee emprunte aux super-héros, on a pu reconnaître des emprunts, assumés, à Iron Fist en particulier. Mais c'est une production dépouillée du folklore des super-héros, sans masque ni super-pouvoirs à foison (excepté les boules de feu, mais leur usage est très modéré), ni super-vilain. Fire Power est avant tout un récit d'aventures et une histoire familiale, deux des motifs familiers de Kirkman.

Cet épisode l'illustre parfaitement en naviguant entre description du quotidien des Johnson et scènes d'entraînement aux arts martiaux, agrémentées d'un flashback qui nous ramène au temple de Poing de Feu et non pas un mais deux cliffhangers vraiment accrocheurs.

Le scénario s'attarde donc, pour une large part, sur la cellule familiale du héros. Kirkman montre Kellie Johnson dans son quotidien de femme flic avec son partenaire Reggie. Le lecteur peut fantasmer sur ce couple professionnel car Reggie est séduisant, peut-être Kellie est-elle sortie avec lui avant de rencontrer Owen, peut-être que Reggie nourrit des sentiments pour sa partenaire. C'est suggéré très légèrement. Mais ça participe à l'enrichissement de l'arrière-plan de la série, avec un supporting cast qui n'est pas négligé.

Evidemment, cela prend un relief spécial quand on découvre, à la fin, que Reggie joue aussi les espions pour Wei Lun. Depuis qu'on sait que l'ancien professeur d'Owen au temple porte désormais la marque cu clan de la Terre Ecorchée, les cartes sont rebattues et on peut là aussi imaginer des théories à foison (par exemple : Wei Lun aurait-il changé de camp pour mieux lui aussi surveiller son ancien ennemi ?).

De son côté, Owen est montré sur son lieu de travail : il restaure des meubles pour un antiquaire. Kirkman pourrait zapper ce genre de scène, simplement en évoquant par un dialogue l'activité professionnelle de son héros, mais en en soignant ce détail, il ancre le personnage dans une réalité pragmatique. Owen n'est pas un individu exceptionnel qui vit aux crochets de sa femme ou est dispensé de travailler par je-ne-sais quel artifice (comme s'il était l'héritier d'une fortune providentielle), c'est un type normal (ou presque), qui a vraiment tourné le dos à son ancienne vie et a trouvé un équilibre. On saisit d'autant mieux pourquoi le retour de Ma Guang le dérange.

En deux doubles pages (sublimes), Kirkman et Samnee retournent à l'époque où Owen séjournait au temple et de façon allusive mais suffisamment évocatrice résume des faits marquants. On comprend que le clan de la Terre Ecorchée a multiplié les assauts contre le temple (après celui vu dans le Prelude), que Chou Feng et Wei Lun se sont querellés (sans doute sur la réponse à apporter à ces agressions), que Ling Zan a découvert un secret compromettant sur le temple, a choisi de le quitter (sans être suivie par Owen) puis a été retrouvée morte, brûlée vive, que Owen a enterré ses cendres...

Toutes ces informations densifient l'épisode et lui apportent une substance étonnante en même temps qu'elles valident l'idée que la série va sans doute régulièrement remonter le temps pour expliquer les raisons du départ d'Owen, pourquoi il pense que Chou Feng a assassiné Ling Zan, et pourquoi aussi Wei Lun a rejoint le clan de la Terre Ecorchée. Kirkman confirme d'ailleurs à la fin de ce numéro, après la page du courrier des lecteurs, dans un nouvel échange avec Samnee, qu'il a des plans à long terme pour Fire Power (tout en précisant que la série serait moins longue que ses best-sellers, The Walking Dead et Invincible... Il y a de la marge, puisque ces deux titres ont dépassé les cent épisodes).

Samnee éblouit une fois de plus dans ce chapitre. Il avait raconté dans la postface du précédent numéro le conseil d'un professionnel à ses débuts comme quoi il devait savoir aussi bien dessiner le quotidien que le spectaculaire. Et on voit à quel point il a suivi ce conseil quand il s'agit de mettre en images des scènes banales comme celle où Owen conduit ses enfants à l'école, travaille dans son atelier de restauration.

L'artiste injecte à cela une fantaisie subtile quand Owen fait une pause pour son déjeuner : on le suit à l'extérieur de son atelier et soudain il saute par-dessus un mur, grimpe sur les barreaux d'une échelle sans s'aider de ses mains et aboutit au sommet d'un château d'eau surplombant St-Louis (puisque c'est là où se situe l'action - et où vit Samnee). La grâce féline du personnage est superbement traduite par le trait aérien de Samnee qui prend un plaisir communicatif à dessiner Owen comme un équilibriste accompli dont l'agilité est intacte après des années loin du temple - Samnee et Kirkman avaient d'ailleurs pensé à le montrer un peu moins élancé pour souligner les années passées mais Samnee a ensuite oublié ce détail.

On remarque aussi le soin avec lequel le dessinateur traite Kellie. Au détour d'un dialogue du précédent épisode, on savait qu'elle était donc flic et connaissait le passé de son mari. On remarque maintenant qu'elle s'entraîne avec lui et qu'elle est une artiste martiale accomplie comme lorsqu'elle sauve la mise de Reggie en neutralisant un voleur d'un mouvement expert ou quand elle affronte son mari sous les yeux complices de leurs enfants. Certains lecteurs, dans leur courrier, avaient d'ailleurs pensé que Kellie était Ling Zan mais ce n'est évidemment pas le cas puisque Ling était asiatique et pas Kellie. On notera en revanche comment un détail anodin comme un papillon est brillament exploité par Samnee dans cette séance d'entraînement - un papillon est aussi visible dans le flashback précité, évoquant Ling Zan - et qui distrait Owen.

C'est un vrai régal de lire d'aussi belles planches et j'encourage encore une fois à prendre le temps de les savourer : Samnee est un grand dessinateur, pour moi le meilleur dans sa partie actuellement car il coche toutes les cases (c'est le cas de le dire). Son trait est expressif, ses effets dosés, son découpage efficace, la lecture est fluide. Comment ne pas aimer tout ça ? C'est parfait, c'est divin, c'est l'oeuvre d'un homme en pleine possession de ses moyens (et il n'a que quarante et un an !).

Kirkman, son label Skybound et Image Comics qui l'héberge ont toutes les raisons d'être satisfait car le lecteur est comblé. Fire Power est une BD jubilatoire, servie par un Samnee impérial.  

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