dimanche 15 décembre 2019

SUPERMAN #18, de Brian Michael Bendis et Ivan Reis


Après avoir zappé l'épisode du mois dernier, qui était un prologue à celui-ci (mais complètement inutile et creux), Superman #18 se présente comme un chapitre événement dans le run de Brian Michael Bendis et Ivan Reis (de retour après le fill-in désastreux de Kevin Maguire). L'idée : le héros révèle son identité secrète au monde entier. Pas une première, surtout pour le scénariste. Mais habilement tournée...


Une conférence de presse géante est organisée devant l'immeuble du "Daily Planet". Les journalistes présents s'interrogent sur cette initiative et chacun parie sur l'annonce à venir. C'est alors que Superman se présente au pupitre dressé sur le perron...


Une semaine auparavant, Superman se trouve sur Thanagar où se tient la première assemblée des Planètes Unies. Adam Strange apporte tout son soutien au kryptonien, garant de l'institution, après ce qu'il vient de traverser récemment - la mort de son père, le départ de son fils...


Superman a réalisé que sa double identité l'insupporte, ce secret lui rappelle ceux de son père et il n'a pas envie que cela nuise à tous ceux qui lui font confiance. Encouragé par Strange, il va donc se dévoiler publiquement. Il commence par tout avouer à Perry White, le rédacteur en chef du "Daily Planet".


Ce dernier le prend dans ses bras. Le meilleur ami de Clark Kent est Jimmy Olsen mais quand Superman lui révèle tout, il n'est pas cru par le jeune photographe... Qui le fait tourner en bourrique car, en fait, Lois Lane l'a mis dans la confidence un peu avant.


Et nous voici rendu au grand jour : Superman se tient devant les journalistes et leur explique son secret. Il n'entend pas arrêter son activité professionnelle pour autant, complémentaire de sa mission de super-héros. Ses amis justiciers le regardent à la télé. Ses ennemis aussi, dont Lex Luthor, pris de court...

Il est intéressant d'analyser cet épisode dans le contexte actuel de l'information. Grâce ou à cause des réseaux sociaux, des chaînes tout info, il n'existe plus guère de faits qui ne puissent rester cachés au public. Cela, sans le souci élémentaire pourtant de vérifier leur véracité, mais c'est une autre histoire.

Dans le milieu des comics, ainsi, les éditeurs doivent jongler en permanence avec ce qu'ils veulent/peuvent laisser filtrer d'un comic-book, tout en sachant qu'il existe des sites spécialisés à l'affût de la moindre fuite, de la moindre rumeur sur ce qu'ils préparent et qu'ils n'hésiteront pas à partager pour combler la voracité des fans.

Paradoxalement, le fan est friand de suspense car il attend d'abord que les éditeurs le surprennent. Mais le même fan recherche souvent le dernier scoop, la dernière info, et sa réaction engendre le buzz, qui sert aux éditeurs d'instrument pour mesurer l'attractivité de leur futur mouvement. Un "bas buzz" n'est d'ailleurs pas forcément préjudiciable. Comme le dit Oscar Wilde : "parlez de moi en bien. Parlez de moi en mal. Mais parlez de moi."

Dans le cas présent, Brian Michael Bendis et DC Comics ont choisi très tôt d'annoncer la couleur : Superman allait révéler publiquement son identité secrète. Ce n'est pas la première fois qu'il le fait, et donc, logiquement, les fans ont raillé cette idée, jugée sans originalité. Néanmoins, ça n'a pas ébranlé le scénariste et l'éditeur qui promettaient que cela aboutirait à quelque chose de différent des fois précédentes.

Et, effectivement, déjà, il faut observer pourquoi Superman choisit de tout déballer. Bendis se montre habile et pédagogue : le kryptonien sort d'une période agitée au terme de laquelle il a perdu son père (renvoyé dans le passé au moment de la destruction de Krypton) et son fils (qui a intégré la Légion des Super-Héros au XXXIème siècle). Les cachotteries de Jor-El tout comme l'émancipation de Jon Kent ont fait réfléchir Kal-El : il ressent sa double identité comme un fardeau, qui lui rappelle les manigances de son père, et il craint qu'elle finisse par susciter le doute chez ceux qu'il défend.

C'est sans doute ce dernier point le plus important car il se rattache au temps médiatique avec lequel doivent composer auteurs et éditeurs de comics désormais. Superman pressent sans doute qu'avec Internet, la recherche effrénée du scoop, l'info continu, la reconnaissance faciale qui se généralise, son secret risque de ne plus tenir longtemps. Anticiper son "coming out", c'est prévenir plutôt qu'avoir à guérir. Comme Bendis et DC ont choisi de divulguer à l'avance le sommaire de cet épisode, Superman tombe le masque pour mieux gagner la bataille de l'info.

Même s'il dit souvent tout et n'importe quoi (pour combler les gogos qui le prennent pour un gourou), Tarantino a raison, je trouve, quand il explique que le véritable enjeu de Superman, c'est qu'il s'agit d'un alien qui se déguise en humain (Clark Kent) et non pas un type à l'apparence humaine qui se déguise en Superman.Le vrai masque de Superman, c'est Clark Kent, et non l'inverse. En révélant son secret au monde entier, Superman avoue surtout qu'il a été un étranger, mais qui s'est parfaitement intégré dans le monde des humains - ceux-là qui l'ont appelé Superman, le super-homme. Et ceux-là aussi, qui, en l'acceptant, en lui confiant leurs vies, leur sécurité, l'ont inspiré, comme l'ont inspiré Pa et Ma Kent, des gens honnêtes et bons, à la base de son éducation, de ses principes, de son action.

Le dessin, magistral, d'une constance remarquable depuis le début de ce run, d'Ivan Reis traduit parfaitement les émotions qui traversent cet épisode. Celles de Superman, ému, soucieux aussi. Mais aussi, le temps d'une double page impressionnante de téléspectateurs vedettes (la Justice League, Batman et Robin, Young Justice, Leviathan, les proches de Clark au "Daily Planet") durant son élocution. Celles d'Adam Strange, sur un mode humoristique (bon, ce n'est pas la caractérisation la plus inspirée, tout comme son costume période "New 52" affreux). Et, à la fin, celles de Lex Luthor et la Legion of Doom.

Reis diversifie au maximum le découpage, avec des plans verticaux, des doubles pages, un "gaufrier" ( superbe scène avec Jimmy Olsen qui se moque de Superman). Pour un épisode qui repose sur les dialogues, l'introspection, donc sans combat, sans action spectaculaire, l'effort est louable. Reis est plus fait pour le mouvement, les morceaux de bravoure, mais il me semble que sa collaboration avec Bendis lui permet d'élargir sa palette et de prouver qu'il n'est pas bon qu'à ça. Son dessin devient plus subtil, sort de sa zone de confort, sans sacrifier (au contraire) son goût pour le détail.

Maintenant, bien sûr, il faudra considérer la manière avec laquelle Bendis va exploiter ce qu'il vient de poser. En quelques épisodes, intenses, il a chamboulé la donne, tuant Jor-El, exilant Superboy, démasquant Superman. Sur ce dernier point, qui apparaît comme l'aboutissement de ces dernières décisions, on ne peut s'empêcher de penser à ce qu'il avait fait, semblablement, avec Daredevil. L'homme sans peur et les successeurs de Bendis au scénario avaient dû longtemps composer avec ce statu quo audacieux, mais fertile. L'homme d'acier pourrait permettre à Bendis de doubler la mise.

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