lundi 2 décembre 2019

BATMAN : CREATURE OF THE NIGHT - BOOK FOUR : DARK KNIGHT, de Kurt Busiek et John Paul Leon


Deux ans après la sortie de son premier numéro et un an et demi après celle du troisième, la mini-série Batman : Creature of the Night s'achève dans la douleur. Il ne s'agit pourtant pas d'une production bâclée par ses auteurs mais bien d'un oeuvre malade à tous les égards (j'y reviendrai), qui a couru après son illustre devancier (Superman : Secret Identity) sans jamais le rattraper. Mais avec une volonté qui force l'admiration, Kurt Busiek et surtout John Paul Leon n'ont rien lâché, ni leur projet ni leurs lecteurs.
  

En se transformant en Batman devant Robin Helgeland et Alfred Jepson, Bruce Wainwright a non seulement révélé son secret aux deux personnes les plus proches de lui mais cédé à ses démons. L'événement a provoqué une crise cardiaque à Alfred, heureusement non fatale.


Alfred implore Robin de veiller sur Bruce mais la jeune femme est désemparée. Bruce assume désormais sa part d'ombre et déchaîne sa colère et sa frustration contre les malfrats de Boston la nuit. Jusqu'à déraper lors d'une bagarre qu'il provoque dans un bar...


Arrêté, Bruce est libéré sous caution par Robin et accepte de consulter un psy. Il raconte son histoire, ses traumatismes d'enfance (l'assassinat de ses parents, la mort in utero de son frère jumeau) et se voit prescrire un traitement contre la dépression. Son état semble s'améliorer.


Mais Bruce interrompt vite son traitement, toujours obsédé par sa théorie selon laquelle le commanditaire du meurtre de ses parents est encore dans les parages, menaçant ses proches. Robin découvre l'état de Bruce mais l'informe que Alfred vient de succomber à un nouvel infarctus.


Ce choc achève la déchéance de Bruce. Il s'enfonce dans la paranoïa et s'imagine que l'ancien inspecteur Gordon Hoover est impliqué dans les morts de ses parents et de Jepson. Il échoue dans le zoo où il allait enfant, en proie à de violentes hallucinations. Robin tente de l'apaiser... Et cela semble fonctionner - même si, deux ans après cette nuit cauchemardesque, Bruce continue d'entendre la voix de la créature. Celle de son défunt frère.

Difficile de rédiger une simple critique de ce dernier volet de Batman : Creature of the night, pour plusieurs raisons.

Commençons par celles qui relèvent uniquement de critères artistiques : la mini-série écrite par Kurt Busiek était initialement un pari audacieux et fou, celui d'appliquer à Batman le traitement donné à Superman dans Secret Identity voilà quinze ans, une réflexion iconique sur le héros de fiction dans un récit inscrit dans la réalité.

Mais était-ce une si bonne idée ? Busiek avait réussi avec Superman une merveille de poésie et d'intelligence, merveilleusement illustrée par Stuart Immonen, une histoire lumineuse et profonde à la fois, qui démontrait surtout la faculté du scénariste à parler de l'homme d'acier et à mélanger rêve et réalité.

Avec Batman, bien entendu, cela agissait sur d'autres ressorts et d'ailleurs dans les bonus de cet ultime épisode, Busiek revient sur la genèse de son projet, dévoilant le premier pitch de Creature of the night. Le lecteur pourra à loisir pointer les différences entre le premier jet et le résultat final, parfois plus subtil, parfois plus maladroit. Mais ce qui frappe surtout, hélas !, c'est que le synopsis n'a jamais paru aussi clair qu'il pouvait l'être dans le cas de Secret Identity (qui reposait sur un postulat simple : que se passerait-il si un ado ordinaire découvrait qu'il était Superman, ou qu'il avait ses pouvoirs, donc sa capacité à changer le monde ?).

In fine, le parcours de Bruce Wainwright n'a pas la même efficacité que celle du Clark Kent de Secret Identity et Creature of the night ressemble davantage à un long essai laborieux sur la dépression, les fantasmes, la paranoïa et la gémellité, sans qu'aucun de ses thèmes ne trouve un aboutissement satisfaisant. Il suffit de lire la scène où la créature revient au zoo où allait le jeune Bruce enfant : tout y est lourdement signifiant - les chauve-souris, les hallucinations inspirées des comics de Batman, l'ultime transformation, le face-à-face avec la créature (qui tend un flacon d'anti-dépresseurs à Bruce)...

Beaucoup de pièges que Busiek a voulu éviter se referment sur lui, impitoyablement. Ainsi, à l'origine, il était question d'introduire un variation du Joker dans l'histoire, ce que l'auteur a écarté ensuite, mais que penser alors du fait qu'il a quand même gardé Robin, Gordon, Alfred, qui parasitent tout autant le sujet de références sans les assumer (car leurs rôles et leurs noms de famille sont différents).

En vérité, on ne comprend jamais où veut en venir Busiek, désireux de livrer un message mais sans grâce, sans finesse. Tout est trop souligné ou trop allusif - mais plutôt trop souligné en fait. Et ce qui aurait pu être une grande histoire sur la maladie, l'enfance est devenue une BD malade.

Et cela nous conduit aux coulisses de la réalisation de cet épisode, mais plus généralement de toute la mini-série. Quand Busiek l'a débutée, il sortait d'une sale période, minée par la maladie (ce qui avait contrarié la production d'Astro City entre autres). On devine alors combien cette nouvelle entreprise lui a tenu à coeur et à quel point le sujet parlait de Busiek lui-même, survivant d'une affliction qui faillit l'emporter.

La parution de Creature of the night a été très vite perturbée par des retards, sans que l'éditeur (comme d'habitude) ne communique sur leurs raisons. Busiek était-il encore souffrant ? Ou la longueur inhabituelle des épisodes (50 pages) expliquait-elle ces délais ?

On n'a appris que très récemment (et par l'intéressé lui-même !) que John Paul Leon a été rattrapé par la maladie lui aussi puisqu'il souffre d'un cancer. Il a dû arrêter de dessiner pour être hospitalisé mais a ensuite repris son crayon durant son traitement, tenant absolument à terminer son ouvrage. Une persévérance exemplaire, incroyable. Et qui invite à la réflexion sur ce métier : car de soi-disant fans se plaignent de la lenteur des artistes en oubliant que la vie peut les empêcher. Ce que nous enseigne le "cas" de John Paul Leon, c'est que les artistes ne sont pas infaillibles, ils sont fragiles, soumis à des cadences folles, et travaillant dans un pays (les États-Unis) où la couverture santé les précarise encore plus (cela vaut aussi pour David Aja, qui a eu apparemment des soucis graves, expliquant la suspension de la publication de Seeds depuis plus d'un an).

Tout cela faisait sans doute trop pour un tel projet, et on souhaitera surtout à ses auteurs de meilleurs lendemains, car Busiek reste un scénariste passionnant et John Paul Léon un artiste d'exception.

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