jeudi 8 août 2019

HOUSE OF X #2, de Jonathan Hickman et Pepe Larraz


The Many Lives of Moira X, le titre de ce deuxième volet de House of X, est un vrai tour de force. Pas seulement parce que Jonathan Hickman fait aussi bien, voire mieux que pour le précédent épisode ou y explique une scène intrigante de Powers of X #1. Pas seulement non plus parce que Pepe Larraz livre des planches impressionnantes au service du récit. Mais sûrement parce que les deux hommes produisent le chapitre le plus renversant de l'histoire des X-Men (une promesse du scénariste). Rien que ça !


Moira McTaggert a vécu sa première vie, paisiblement, passivement, et s'est éteinte à 74 ans, après s'être mariée et avoir donné naissance à deux enfants. Elle a débuté sa deuxième vie en manifestant précocément une intelligence phénoménale.


Ses brillantes études lui confirmèrent ce qu'elle devinait : elle était une mutante. Qui, en voyant Charles Xavier s'exprimer à la télé, décida de le rencontrer. Le destin contraria ce projet car elle mourrut dans le crash de l'avion qui l'emmenait vers lui.
  

Dans sa troisièe vie, Moira considère que le gène mutant est une malédiction et s'emploie à trouver un antidote pour l'éradiquer. Son plan est contrecarré par Mystique et Destinée qui l'intime de changer dans sa prochaine incarnation puis la tue.


Quatrième vie : Moira devient l'amante et l'alliée de Xavier jusqu'à l'extermination des mutants par les Sentinelles. Cinquième vie : Moira convainc Xavier de former les mutants en une légion contre les Sentinelles. Septième  vie : Moira élimine la dysnatie des Trask (inventeurs des Sentinelles).


Mais les robots anti-mutants apparaissent sans les Trask. Huitième et neuvième vie : Moira se radicalise en joignant Magneto, neutralisé par les siens, puis Apocalypse, dans une guerre sans fin. Sa dixième (et dernière ?) vie : Moira ouvre son esprit à Xavier, brisant les règles.

Lorsqu'un scénariste promet, avant la publication de sa nouvelle oeuvre, de révèler au lecteur "le moment le plus important de l'histoire des X-Men", il vaut mieux pour lui qu'il ait une idée solide. Sinon, la sanction sera terrible. Mais Jonathan Hickman n'est pas du genre à lancer des annonces en l'air.

House of X#2 est à la fois la suite de HOX #1 et de Powers of X #1. C'est surtout un tour de force narratif, une leçon magistrale, une retcon renversante. Sur ce dernier point, l'exercice est impressionnant car souvent modifier le passé pour simplifier le cours de l'histoire actuelle revient à effacer ou altérer ce qu'on écrit de précédents auteurs, donc (dans l'esprit des fans puristes) à mépriser leurs efforts.

Hickman s'en sort formidablement car il n'abîme rien, il améliore, il fluidifie, il justifie. En modifiant subtilement un élément (un personnage), il change notre perception et explique, corrige, sans annuler ce que d'autres avant lui ont établi. Sa contribution est à l'image du destin étrange de Moira McTaggert : décisif et discret à la fois.

Le scénariste a-t-il pensé en développant ce twist épatant que Moira en égyptien signifie "destin". Je parierai que oui car Hickman est un érudit qui avance ses pions avec souvent un (ou même plusieurs) coup(s) d'avance. Il n'est ici question que de destins, de choix, d'influences. Dans un dispositif qui emprunte à Un jour sans fin et fait de Moira McTaggert une sorte de Hawkman mutant, nous explorons neuf de ses vies (rien n'est dit sur la sixième...) similaires et distinctes, neuf trajectoires en trente-six pages, denses et fluides, balayant tout les passés, les présents et les futurs des mutants, pour aboutir à une issue confondante.

Au terme de l'épisode, on comprend parfaitement la figure décomposée affichée par Charles Xavier à la fin de la première séquence de Powers of X #1 (et la phrase énigmatique de Moira sur le rêve et la réalité). Mais encore on saisit, de façon extrêment concentrée et aiguisée, ce qui perd les mutants depuis toujours jusqu'à ce qu'à la "Maison de Xavier" telle que représentée dans HOX #1.

Moira agit en vérité telle la grande scénariste des mutants - et il n'est sans doute pas improbable d'interpréter cette caractérisation comme ce que Hickman entreprend d'être pour la franchise "X". Ce faisant, les actions de Xavier, en apprenant finalement tout ce qu'a vécu Moira et ce que cela lui enseigne sur le futur des mutants, deviennent très pragmatiques (savoir que son "fils spirituel", Cyclops, le tuera dans AvX, que Magneto échouera, que Apocalypse apparaîtra, que la menace des Sentinelles est incontournable, etc). C'est vertigineux.
Qui l'eût cru ? Mais passer un épisode entier avec Moira McTaggert et en faire la femme la plus important de la "mutanité" est la manoeuvre narrative la plus intelligente, profonde et et prometteuse jamais imaginée pour les X-Men. Nous aussi, nous sommes comme Charles Xavier ébahis, tourneboulés, bouelversés, et excités par ce que nous venons de découvrir. Je me répéte, mais c'est bluffant.

Pour servir un tel programme, il faut un artiste qui relève le challenge, non pas pour se faire mousser, mais bien, parce qu'il a compris l'importance de l'épisode, pour en sublimer le contenu. Et Pepe Larraz franchit ce cap avec maestria.

Bon, on pourrait parler du trait expressif, du soin des finitions - tout ça est déjà excellent et confirme que l'espagnol est dans une forme olympique. Il produit des images mémorables, belles, avec une sorte de majesté tranquille, une assurance qui est l'apanage des dessinateurs en pleine confiance, en pleine possession de leurs moyens. Qui dispose d'un matériel écrit d'une qualité indéniable et qui les motive.

Mais ce qui m'a le plus sidéré, c'est quelque chose de plus subtil, qui m'a presque échappé tellement c'est bien amené et qui, lorsqu'on s'en rend compte, vous colle un délicieux frisson, une décharge d'électricité. Un effet de découpage génialement simple mais très éloquent.

Au terme, dramatique, de sa troisième vie, Moira est face à elle-même : elle est tuée par la confrérie des mauvais mutants, formée par Mystique, Pyro et surtout Destinée avec laquelle elle a un dialogue déterminant. Plus rien ne sera jamais comme avant au terme de cet acte III.

Moira va séduire Xavier pour influer sur son existence et ses décisions de guide des mutants, d'abord pacifiquement puis plus stratégiquement. Ce seront des échecs. Elle s'attaque ensuite (vies 6-7) aux racines du mal : les Sentinelles, les robots géants conçus pour surveiller puis exterminer les mutants, et ensuite à la famille Trask, leur concepteur. Nouveaux échecs : même sans les Trask, les mutants seront quand même traqués, tués, par des unités mécanisées.

En fait, Moira accumule les échecs : elle se radicalise en s'alliant à Magneto, puis Apocalypse, mais rien n'y fait. Chaque vie consommée aboutit à une impasse - et Destinée lui en a prédit dix, peut-être onze. Pour traduire graphiquement cette descente aux enfers, les planches s'enchaînent, rapides, et le découpage mue sensiblement.

Les cases deviennent penchées, les bandes s'inclinent : horizontales au début, elles finissent par devenir exclusivement verticales à mesure que Moira s'enfonce dans des directions sans issue. Le personnage comme le lecteur glissent dans l'abîme comme sur une sorte de toboggan dont l'inclinaison des cases et des bandes figurent la forme. Tout bête comme effet, mais remarquablement bien exploité ici.

Et puis, nous revenons au stade embryonnaire. Moira s'apprête à naître une dixième fois. Dans le ventre de sa mère, forte des expériences de toutes ses vies précédentes, elle sait. Il ne suffit pas de déplacer un pion, de changer de direction. Il faut briser les règles, avec Charles Xavier. Retour à des cadres horizontaux, uniques, qui occupent toute la largeur de la page, comme une assiette, une base, une remise à plat ultime, avec l'énième rencontre avec Xavier à qui elle inspire un nouveau monde - celui vu dans HOX #1.

Que l'on sache que le futur, vu dans Powers of X #1, ne sera pas clément pour les mutants ne gâche rien puisqu'on ne sait que partiellement les raisons de l'échec de l'utopie (les manigances de Mr. Sinister notamment, l'émergence de Nimrod, la trahison de Karima Shapandar). Mais il est avéré, comme l'indique le tableau de lecture à la fin de chaque épisode des deux mini-séries, que House of X #2 est un jalon crucial dans l'histoire imaginée par Hickman et Larraz.

Avec un tel niveau, que ce soit pour le script ou le dessin, on peut encore craindre, si l'on est pessimiste ou méfiant, pour la suite. Mais tout de même, il faudrait une sacrée dégringolade pour que Hickman rate son coup. C'est donc confiant et enthousiaste que je suis. Pour un fan qui a eu l'amour des comics via les X-Men, cette relance, ambitieuse et maîtrisée, est un vrai cadeau.    

2 commentaires:

  1. Hickman ne raconte rien pour la sixième vie et ça, c'est intrigant... C'est dans la septième vie qu'elle élimine la dysnatie des Trask.
    C'était un numéro incroyable et c'était une bonne review de ce numéro, comme d'habitude.

    RépondreSupprimer
  2. Effectivement. Je corrige ça. J'ai été emporté par mon élan - et le souffle du récit.

    RépondreSupprimer