dimanche 16 juin 2019

THE OA (Saison 2) (Netflix)


Près de trois ans après sa première saison (ou plutôt Partie, puisque c'est ainsi que les auteurs la nomment), The OA fai son grand retour sur Netflix. La série la plus folle, la plus inclassable et la plus fascinante avait la lourde tâche de faire aussi bien : elle réussit à faire mieux car Brit Marling et Zal Batmanglij, ses créateurs, font surtout différent. Huit nouveaux épisodes littéralement renversants, avec un final complètement ahurissant.

 Karim Washington (Kingsley Ben-Adir)

San Francisco. Karim Washington, ancien agent du FBI reconverti en détective privé, accepte de mener l'enquête pour retrouver Michelle Vu, une jeune fille dont la grand-mère est sans nouvelles depuis quinze jours. Il découvre qu'elle était une adepte d'un jeu en ligne, "le Puzzle", mis au point par le milliardaire Pierre Ruskin pour une campagne de "crowdsourcing". Karim suit sa piste en se conformant aux règles de ce jeu de piste qui le mène jusqu'à une maison abandonnée.

 Nina Azarova (Brit Marling)

Sur un ferry naviguant sous le Golden Gate Bridge, Nina Azarova, l'associée de Pierre Ruskin, qu'elle fuit, est prise d'un malaise cardiaque au même moment où, dans le Michigan, Prairie Johnson, à laquelle elle ressemble trait pour trait, reçoit une balle en plein coeur d'un tireur semant la terreur dans le lycée de la ville. Conduite à l'hôpital, Nina est investie par la personnalité de Prairie. Son comportement inquiète et pour échapper à l'asile, elle accepte de séjourner deux semaines dans une clinique privée. Elle découvre que l'établissement est tenu par Hunter "Hap" Percy, qui a pour adjoint Homer Roberts - le premier se souvient d'elle, l'autre pas du tout.

 Buck, Steve et "BBA" (Ian Alexander, Patrick Gibson et Phyllis Smith)

Dans le Michigan, après la mort de Prairie Johnson, Steve tente de convaincre French et "BBA" de répéter les cinq mouvements que leur avait appris leur amie pour la rejoindre dans une autre dimension. Réticents ou opposés au projet, ils changent d'avis quand Buck sent une présence captive dans un miroir. Avec Angie, la petite amie de Steve, et Jesse, autre rescapé de la fusillade au lycée, ils entament alors un étrange pélerinage vers l'Ouest où "BBA" doit assister aux obsèques de son oncle.

 Praire Johnson dans le corps de Nina Azarova

L'enquête de Karim l'a donc conduit dans la maison abandonnée où il a croisé la route d'un autre gamer devenu fou et qui s'est suicidé sous ses yeux en se défenestrant. Interné en clinique pyschiatrique, la victime oriente les recherches du privé vers l'établissement "Treasure Island", où travaillent donc "Hap" et Homer. Prairie aborde Karim en reconnaissant Buck sur la photo de Michelle Vu et le convainc de l'aider à s'échapper en échange de son aide pour accéder à une entrée secrète de la maison.

 Karim et Prairie/Nina

"Hap" rencontre Elodie, une femme capable de voyager à sa guise entre les dimensions, quand Homer l'appelle pour le prévenir de l'évasion de Prairie. Pendant ce temps, cette dernière et Karim explorent la maison et découvrent un passage secret. Séparés en progressant dans un labyrinthe, Parie rencontre une entité interdimensionnelle qui lui recommande d'avoir des alliés pour affronter "Hap". Karim réussit à sortir de la maison, seul. Elodie montre à "Hap" un mécanisme permettant de sauter entre les dimensions sans exécuter soi-même les cinq mouvements.

 Jesse, Steve, French, Buck et Angie (Brendan Meyer, Patrick Gibson,
Brandon Perea, Ian Alexander et Chloe Levine)

"BBA" arrive chez sa cousine pour préparer les funérailles de son oncle. Mais la police est à ses trousses car on croit qu'elle a enlevé Jesse, Steve, Buck et Angie pour intégrer une secte vénérant des adorateurs de Prairie. Toujours traumatisé par la fusillade au lycéee, Jesse se suicide avec des cachets de l'oncle de "BBA". Ce drame oblige le groupe à fuir et à se cacher dans un motel avant de décider de gagner San Francisco où Jesse pensait que Prairie se trouvait. 

 Prairie/Nina

Karim revient dans la maison avec la police où des analyses révèlent un taux de mercure élevé provenant du sous-sol, qui aurait pu causer des hallucinations et un empoisonnement. Prairie a entre temps réussi à sortir du bâtiment et se réfugie dans la suite d'un hôtel où Nina résidait. Elle a compris que pour avoir accès aux souvenirs de Nina, elle doit revivre son traumatisme originel et s'immerge dans une baignoire. Les différences et les similitudes entre leurs deux existences apparaissent. L'esprit de Nina reprend le dessus et elle est prête à confronter "Hap". Karim, lui, défie Pierre Ruskin qui détient Michelle Vu, plongée dans le coma sans qu'il puisse faire quoi que ce soit. Ses expériences, menées avec Nina, sur les rêves, lui ont cependant appris que Karim et la maison sont connectés.  

 Hunter "Hap" Percy et Prairie/Nina (Jason Isaacs et Brit Marling)

"BBA" et le groupe arrivent à San Francisco et pénétrent dans la clinique désaffectée où la présence de Prairie les guide. Nina se présente à la réception de la clinique pour revoir "Hap". Homer la conduit à lui et elle lui permet de se rappeler de leur amour passé durant leur détention dans la première dimension. Karim explore à nouveau le labyrinthe de la maison sans se perdre. Nina/Prairie découvre comment, en sacrifiant Scott et Rachel, "Hap" à dresser une carte sommaire du multivers et comment il compte sauter dans une nouvelle dimension avec elle grâce au mécanisme d'Elodie. "BBA" et le groupe répétent les cinq mouvements au même moment dans la première dimension. Homer tente d'empêcher "Hap" d'accomplir son plan. Prairie s'envole sous les yeux de "Hap" et Karim, qui a trouvé un passage entre la maison et la clinique. Distraite par Karim, Prairie tombe et entraîne "Hap" dans une troisième dimension... Où elle est Brit Marling et lui, Jason Isaacs. Karim aperçoit sur la plateau de tournage de la série The OA" Buck et l'entraîne dans la deuxième dimension où il provoque ainsi le réveil de Michelle Vu. Conduite en ambulance à l'hôpital, Prairie/Brit est rejointe en route par Steve qui signifie à "Hap"/Jason qu'il sait qui il est.

L'OA sur le plateau de la série The OA (!)

Tout d'abord, je spoile la fin parce que la saison 2 (Part II) a été mise en ligne depuis bientôt deux mois (le 22 Mars précisèment) et je pense que ma critique n'atteindra majoritairement que des personnes l'ayant déjà vue.

Mais, bien entendu, c'est un choix "éditorial" car révéler le dénouement pour une série qui mise tout sur  l'imprévisibilité de son intrigue, c'est en exposer l'essentiel. Toutefois, je pense qu'on peut rester totalement interloqué par cette conclusion même en en connaissant les termes car The OA est une expérience immersive si intense que le voyage compte plus que la destination. Et d'ailleurs, qui sait, avec cette fin, comment rebondira la série (et à quand ? Les auteurs ont prévenu qu'il faudra encore une fois être patient...) ?

Ce qui surprend avant cela, c'est le subtil changement opéré par les scénaristes (Brit Marling et Zal Batmanglij - également réalisateur - ont rédigé six des huits épisodes). La première saison se distinguait par le format élastique de sa narration avec des épisodes durant parfois une demi-heure jusqu'à plus d'une heure. Cette fois, on oscille entre quarante-cinq minutes et soixante et quelques. Tout est plus carré, plus dense aussi - certains diront plus sage (encore que le contenu contredit toute "sagesse").

Tout démarre de manière déroutante : la première scène reprend là où se terminait la dernière de la saison précédente, avec Steve courant à perdre haleine derrière l'ambulance qui emmenait Prairie Johnson, blessée par balles. Puis, sans transition, nous voici à San Francisco, en compagnie d'un détective privé sur les traces d'une jeune gameuse, disparue en suivant la piste d'une énigme en ligne. L'affaire est immédiatement captivante, malgré le cliché de l'enquêteur et les ramifications de l'affaire (un milliardaire obsédé par l'interprétation et la convergence des rêves, une maison hantée). C'est aussi grâce au charisme de l'acteur Kingsley Ben-Adir, véritable révélation.

On retrouve Prairie bien vivante dans la même ville l'épisode suivant. Mais est-ce vraiment elle ? Non, ce serait trop simple. Brit Marling endosse un double rôle particulièrement fascinant qui valide la théorie avancée dans la série auparavant comme quoi, lorsqu'on meurt, on saute en vérité dans une autre dimension, une autre ligne temporelle, dans un corps qui est la copie exacte du nôtre mais avec sa personnalité, ses souvenirs propres. Les conditions du saut déterminent l'état de conscience du nouveau corps et Prairie est confuse car sa mémoire est mêlée à celle d'une certaine Nina Azarova... Qui se trouve être l'associée de Pierre Ruskin, le concepteur du jeu précité.

Ensuite, on va se rendre compte que "Hap" avec Scott, Rachel, Renata et Homer ont eux aussi fait le grand saut. "Hap" dirige une clinique psychiâtrique, financée par Ruskin (tout se lie progressivement), Homer a perdu la mémoire et est devenu son adjoint, tandis que Scott, Renata et Rachel sont internés, avec des souvenirs fluctuants (Scott se souvient de tout, Rachel est aphasique, Renata est dans le déni).

Pas besoin alors d'être un grand clerc pour deviner que l'enquête de Karim va le mener jusqu'à cette clinique, qu'il va en faire échapper Prairie car elle a reconnu Buck sur la photo de Michelle Vu (la disparue), que la maison hantée est un portail interdimensionnel, et que le groupe d'amies de Prairie dans le Michigan va entreprendre une véritable odyssée pour retrouver la jeune femme. Par contre, le parcours est sinueux et ses étapes captivantes.

J'ai été surpris en me replongeant dans les critiques de l'époque de lire que beaucoup avait trouvé la saison 1 truffée d'éléments "ridicules" (notamment la fameuse danse des cinq mouvements). Il est certain que pour apprécier la série, il faut en accepter les bizarreries. Mais c'est dans son concept même car The OA (dont les initiales signifient Original Angel, soit l'Ange Originel) interrogent la foi, moins au sens religieux du terme qu'au niveau de ce qu'on est prêt à accepter pour une fiction, ce qu'on appelle aussi la suspension de crédibilité. Il ne s'agit pas de considérer ce récit comme réaliste - on est clairement dans un registre fantastique - mais plutôt d'admettre sa curiosité, son excentricité, comme les règles d'un jeu délirant.

A partir de là, tout ce qui peut prêter à ricaner chez les moins joueurs des téléspectateurs devient tolérable. Et pour ceux qui ont la "foi", qui ont accepté dès le début l'originalité décapante, singulière, étrange de The OA, alors c'est la garantie d'un périple vraiment envoûtant mais aussi, pour cette nouvelle saison, plus efficace, plus directe (avec des réponses apportées à certaines questions - pas toutes cependant).

Une interprétation possible et potentiellement plus pratique pour le plus grand nombre est de concevoir la série comme une sorte de polar romantique : en ce sens, le rôle de Karim Washington est un bon guide, on le suit dans son enquête et avec lui, on est perplexe, happé, frustré, dépassé, troublé. Les relations entre Prairie, "Hap" et Homer se rapprochent de celles d'un triangle amoureux entre ceux qui se trouvent, ceux qui se chassent (Hunter, le prénom de "Hap", signifie "chasseur"), ceux qui promettent de se retrouver (ce que fait jurer Prairie à Homer à la fin). Le groupe du Michigan fonctionne aussi sur des ressorts sentimentaux, allant de l'amitié à la notion de famille recomposée, avec "BBA" comme figure maternelle centrale, et les nombreuses nuances composées par chacun des membres (être l'élu pour Steve, être spectatrice pour Angie, assumer son homosexualité pour French, vivre en transgenre pour Buck, survivre au trauma pour Jesse - dont le destin, tragique, offre un des moments les plus poignants de la saison).

Parce qu'elle est une oeuvre expérimentale, la série ne peut éviter quelques menus ratés, ou du moins certains aspects moins accomplis - ce qui ne signifie pas qu'ils ne seront pas corrigés dans le futur (la production annonce encore quatre saisons, mais Batmanglij nuance en revenant sur a nature élastique de la narration, qui pourrait diminuer ou prolonger l'aventure). L'exemple le plus notable concerne le traitement du groupe des cobayes de "Hap" : à part Scott (qui, lui aussi, connaît un sort cruel), les autres sont peu traités (Renata surtout, mais Rachel n'est guère mieux lotie). Le cas d'Homer est plus spécial, compte tenu de la situation dans laquelle il se trouve - et Emory Cohen est vraiment impeccable dans ce rôle d'amnésique manipulé.

En revanche, un personnage secondaire comme Elodie, incarnée par la française Irène Jacob, suggère bien des pistes : s'agit-il de Khatun, la femme précédemment incarnée par Hiam Abbas, qui reçut Prairie enfant lors de son accident et lui ôta la vue contre la vie sauve ? C'est une possibilité qui expliquerait qu'elle sache voyager entre les dimensions sans effectuer les cinq mouvements, mais au moyen de cubes mécaniques, et avec la connaissance d'un "carburant", d'une énergie répandue mais volatile.

De toutes les manières, les dès sont puissamment relancés avec ce final spectaculaire et ahurissant où fiction et (presque) réalité se rejoignent. Une idée de génie, qui va faire phosphorer les fans, mais avec un effet saisissant et jubilatoire quand Jason Isaacs se présente sous son vrai nom tout en jouant encore le rôle de "Hap" et appelle Brit sa partenaire. Les auteurs poussent la confusion jusqu'au bout en affirmant que Isaacs et Marling sont mariés (ce qui est faux) puis en réintroduisant Steve (à moins qu'il ne s'agisse désormais de son interprète, Patrick Gibson) dans cette troisième dimension et qui interpelle Isaacs en le nommant "Hap". Vertigineux.

Pour un moment comme ça, mais aussi pour tout ce qui y a conduit auparavant, The OA conserve son titre de meilleure série actuelle. Magistrale.     

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