lundi 17 juin 2019

BATMAN, VOLUME 7 : THE WEDDING, de Tom King, Tony S. Daniel et Mikel Janin


Ce septième volume des aventures de Batman de l'ère "Rebirth", écrit par Tom King, regroupe les épisodes 45 à 50, soit jusqu'au fameux mariage entre le héros et Catwoman, qui donne son titre au tome : The Wedding. Les dessins sont assurés par Tony S. Daniel (#45-47) et Mikel Janin (#48-50 - ce dernier numéro ayant plusieurs artistes invités). Deux récits précédent le cinquantième chapitre.


- The Gift (#45-47, dessinés par Tony S. Daniel.) - Booster Gold a décidé d'offrir un cadeau exceptionnel à Batman pour son mariage imminent avec Catwoman. Grâce à son robot Skeets, il a remonté le temps et évité l'assassinat de Thomas et Martha Wayne. Mais en faisant cela, il a profondèment altéré la réalité, favorisant l'ascension du Joker et provoquant la transformation de Tim Drake en un Batman radicalisé. Booster propose alors à Bruce Wayne de rectifier la situation en retournant dans le passé mais essuie un refus catégorique.


Un an passe. Booster Gold libère Selina Kyle de l'asile d'Arkham, convaincu qu'en la revoyant Bruce Wayne en tombera de nouveau amoureux. Mais Batman les traque jusque chez les Wayne. Catwoman se venge de Thomas, responsable d'avoir fait fermer l'orphelinat dont elle s'occupait, tandis que Batman abat la jeune femme puis la mère de Bruce. Qui, lui, tue Batman.


Encore un an après. Bruce Wayne a suivi un entraînement pour une mission spéciale : il exige de Booster Gold de le ramener douze mois en arrière pour empêcher le massacre de ses parents par Catwoman et Batman. Mais Booster se joue de lui et ils arrivent la nuit où Thomas et Martha Wayne ont été abattus dans Crime Alley. Témoin de la scène, Bruce se suicide. Aujourd'hui, Booster s'excuse auprès de Batman et Catwoman, visiblement très perturbé par ses initiatives.


- The Best Man (#48-49, dessinés par Mikel Janin.) - Le Joker s'invite à un mariage et tue tout le monde pour attirer Batman et lui demander d'en faire son témoin à ses noces avec Catwoman. Sans otage, il menace d'abord son adversaire puis retourne son revolver contre lui. Il finit par s'agenouiller devant l'autel pour prier. Batman se joint à lui. Mais une bombe placée dans la croix explose. La déflagration oblige Catwoman à intervenir, malgré l'interdiction de Batman.


Catwoman défie et affronte le Joker. Elle le griffe à la gorge, lui coupant une artère. Il lui tire dans le ventre. Couchés dans les gravats, ils échangent sur leur relation avec Batman, chacun étant persuadé d'être celui qu'il lui faut. Le Joker est la création du héros, qui justifie son activité de justicier. Catwoman a permis au Dark Knight de connaître le bonheur tout en accomplissant sa mission. Le Joker est convaincu que Batman ne peut pas être lui-même et heureux, il se relève et pointe son arme sur Catwoman mais, ayant perdu trop de sang, il s'évanouit. Batman revient à lui tandis que Catwoman éclate de rire. 

- Pour (re)lire mon résumé et ma critique de Batman #50 , cliquez sur ce lien.

Ce sont deux histoires de fous que livre Tom King. Parus il y a juste un an, ces épisodes résument parfaitement le projet et les obsessions de l'auteur en même temps qu'elles portent à leur point critique le style du scénariste, celui qui lui vaut admiration ou rejet.

Pour bien comprendre le Batman de King, il faut accepter de lire des intrigues qui, en vérité, tournent toutes autour non pas du héros masqué de Gotham mais de son alter ego, Bruce Wayne. Qui se cache derrière la cagoule du Dark Knight ? Pourquoi mène-t-il cette vie ? A quel point cela l'affecte ? Cela l'autorise-t-il à être heureux ? Voilà toutes les questions posées par l'auteur.

Pour des raisons qui m'échappent, cette exploration psychologique est mal perçue par les fans, qui réclament le retour du détective Batman ou plus d'action et moins d'introspection (bien que les arcs narratifs de King ne manquent pas de baston). Pourtant, lorsque Grant Morrison, dont le run continue d'être cité comme un classique, délirait sur l'über-Batman, sondait les histoires les plus folles du héros longtemps écartées de la continuité, et entreprenait ainsi une déconstruction du mythe aussi sévère que celle de King, l'opposition était moins bruyante.

On reproche désormais à King une tendance au bavardage. C'est vrai que ses scripts ont gagné en texte, le langage, ses excès, ont parfois tendance à cannibaliser le récit, comme si l'auteur voulait à tout prix que le lecteur saisisse bien ce qu'il veut dire. Mais ce n'est qu'un effet, et un effet ne saurait contenir la substance.

Qu'il s'agisse de traiter des conséquences dramatico-absurdes du cadeau de Booster Gold, persuadé qu'en épargnant les parents de Bruce Wayne, Batman serait plus heureux, ou du face-à-face  tour à tour à sens unique puis très dialogué entre le Joker, Batman et Catwoman, King aborde dans les deux cas le dossier très particulier que représente Batman pour ses amis et ses ennemis. Il prépare aussi sa chute, effective à la fin du #50 quand Bane a réussi à saboter le mariage.

L'intrigue cocasse et tragique avec Booster Gold est aussi une sorte de prologue à la saga Heroes in Crisis (après Everybody loves Ivy) et permet de distinguer ce qui fait la force de Batman encore à cette époque. Parce qu'il a déjà abondamment souffert, il s'est blindé. Mais ce réflexe ne le condamne-t-il pas ? Le Joker met le doigt sur ce point en estimant que, non, Batman ne peut pas être un héros et un homme heureux - ne serait-ce que parce qu'il a créé son pire ennemi (en causant involontairement l'accident qui a transformé Jack Napier en clown du crime).

Taiseux (jusqu'au mutisme total dans son combat contre le Joker), Batman est ironiquement inconscient lorsque Catwoman parlemente avec le Joker et n'entend donc pas l'argument troublant de son ennemi (que répétera Holly Robinson à Selina Kyle le jour des noces). Le héros est un être de balance : il partage son temps entre sa vie comme Bruce Wayne, hommes d'affaires philanthrope, et Batman, protecteur de Gotham ; il côtoie des parangons de vertu comme Superman et aime une voleuse comme Catwoman ; il est le jouet de Booster Gold qui en voulant bien faire détruit tout et l'adversaire du Joker qui ne peut se résoudre à le tuer car il perdrait comme lui sa raison d'être. Lorsque Bane le privera d'un élément, Batman perdra son équilibre et sombrera - comme King le démontrera dans les prochains épisodes, une longue et terrible descente aux enfers (trop longue visiblement au goût de certains cadres de DC, qui ont décidé d'abréger le run de l'auteur).

Pour bien raconter ces histoires dérangeantes, intenses, poignantes et sophistiquées, abondantes en références (des noms de rues baptisées des plus grands auteurs de la série aux tics narratifs empruntés à Alan Moore), King s'appuie sur des artistes solides, parfois géniaux.

Les trois premiers épisodes sont dessinés par Tony S. Daniel (qui fut justement l'un des partenaires de Grant Morrison). Le résultat est très inégal, à cause de l'encrage (d'abord par John Livesay, trop fin, puis de Sandu Florea, trop cassant), mais surtout à cause de faiblesses récurrentes chez Daniel. Parfois capables de fulgurances, il est aussi capable de rater complètement des proportions, des perspectives. Il est très à l'aise pour animer Catwoman ou représenter un Batman sur-armé, mais se plante complètement quand il faut montrer des personnages en civil. Le même dessinateur épate en revanche quand il faut préciser l'évolution physique de Booster Gold, amaigri, barbu, dément.

Le niveau monte de plusieurs crans quand Mikel Janin revient. L'espagnol s'est imposé comme l'artiste du run de King avec son trait élégant et fouillé, ses compositions originales, son découpage impeccable. Une fois encore, il prouve toutes sa compétence en maintenant un niveau de qualité indiscutable sur trois épisodes d'affilée. Sous son crayon, Catwoman est belle à tomber, Batman imposant et marmoréen, le Joker inquiétant, et dans le #50, c'est un festival car il réussit à ne jamais être éclipsé par les artistes invités pour livrer une pleine page tout au long de l'épisode (et il y a un paquet de pointures !).

Après ça, rien (mais alors vraiment rien) ne sera plus comme avant pour Batman. Ni pour Tom King...    

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