mardi 9 avril 2019

UNDER PRESSURE, d'Anna Boden et Ryan Fleck


Avant le triomphe de Captain Marvel, les réalisateurs Anna Boden et Ryan Fleck ont signé ce beau film noir qui n'a pourtant pas eu droit à une sortie en salles en France mais est disponible en DVD. Ils y dirigeaient deux acteurs, depuis eux aussi "Marvélisés", Ben Mendelsohn et Ryan Reynolds, et prouvaient une sensibilité d'auteurs très prometteuse. Une pépite à découvrir.

Gerry (Ben Mendelsohn)

Joueur talentueux mais compulsif, Gerry doit beaucoup d'argent à plusieurs créanciers après une mauvaise passe. Mais lorsqu'il fait la connaissance de Curtis, de neuf ans son cadet, dans un casino à Dubuque, dans l'Iowa, sa chance tourne. Ils deviennent rapidement amis, constatant leur complémentarité même si leurs philosophies divergent : Curtis ne joue que pour le plaisir, en dilettante, alors que Gerry s'y adonne maladivement, sans avoir s'arrêter quand les circonstances ne lui sont plus favorables.

Curtis et Gerry (Ryan Reynolds et Ben Mendelsohn)

Le lendemain, ils vont parier à une course de chiens et raflent une grosse somme en misant sur un concurrent pourtant mal côté. Dans un bar, Curtis explique à Gerry qu'il évoque le Machu Pichu quand il estime qu'il doit se séparer d'un acolyte - une manière de faire comprendre à son nouveau comparse qu'il le laissera tomber en cas de déconfiture. Au matin Gerry se présente devant Sam, une de ses créditrices, à qui il promet un remboursement imminent et elle lui accorde, à contrecoeur, un dernier délai.  

Simone (Sienna Miller)

Gerry convainc Curtis d'écumer ensemble toutes les maisons de jeux lors d'un voyage le long du Mississippi jusqu'à ce qu'ils aient 25 000 $ en poche, la somme requise pour s'asseoir à la table de Tony Roundtree, un joueur renommé évoqué par Curtis. Ils font une première halte à Saint-Louis où Curtis retrouve sa fiancée, Simone, escort-girl, qui présente sa collègue Vanessa à Gerry. Ils passent la soirée et la nuit ensemble sans pourtant coucher ensemble. 

Vanessa (Analeigh Tipton)

Les deux hommes reprennent la route, direction : Memphis. Gerry joue toujours aussi bien mais perd tout lors d'une partie à laquelle Curtis ne participe pas, préférant écouter du blues et danser dans le bar attenant. Gerry cache sa déconvenue à Curtis et échange avec lui sur leurs passés, l'occasion pour le premier de parler de son ex-femme et de sa fille qu'il aimerait reconquérir. Curtis se laisse attendrir et accepte qu'ils fassent un détour par Little Rock. Mais Gerry est mis à la porte par son ex-femme quand elle le surprend en train de voler de l'argent caché dans le linge d'une commode.

Curtis

A Tunica, Curtis descend dans un hôtel-casino où Gerry lui avoue enfin qu'il n'a plus d'argent. Ils se séparent après une ultime tentative de se refaire à une course hippique - où Gerry mise sur le mauvais cheval alors que Curtis a, au contraire, sans le lui dire, raflé la mise avec une autre monture. Déambulant en ville, Gerry trouve l'adresse de Tony Roundtree et découvre qu'il n'est pas le grand joueur vanté par Curtis qui, pendant ce temps, se rend dans un bar où chante sa mère pour qui il remet, au barman, une enveloppe pleine de cash.

285 000 $ aux dès !

Gerry rentre au casino et s'essaie aux dès. Très vite, la chance revient en même temps que Curtis. Ils décident de miser à quitte ou double sur un coup et empochent miraculeusement 285 000 $ ! Ils fêtent ça par un repas copieux puis en louant une suite luxueuse. A l'aube, Gerry s'éclipse avec sa part en laissant un mot pour Curtis où il évoque le Machu Pichu. Il s'achète une voiture neuve et prend la route.

Présenté en 2015 au festival de Sundance, Mississippi Grind (rebaptisé stupidement Under Pressure chez nous) n'a pas eu l'occasion d'être exploité en salles en France, sortant directement en vidéo. Une sanction injuste pour le nouveau film du duo de réalisateur-producteur-scénaristes de Half Nelson (qui valut en 2006 une nomination à l'Oscar du meilleur acteur pour Ryan Gosling).

Il s'agit à première vue d'une série noire classique sur le thème de l'addiction au jeu, à l'atmosphère à la fois cool et tendue, mais le résultat surprend par la manière dont il évite les clichés et s'attache surtout à dessiner l'amitié improbable entre un joueur talentueux mais incapable de savourer ses victoires et de s'arrêter quand le vent tourne en sa défaveur et un autre qui, lui, ne joue que par plaisir, sachant ne pas forcer sa chance, mais traînant de vieilles culpabilités.

Le film évolue au gré d'une superbe bande-son, essentiellement composé de standards de blues, le long de la Côte Est des Etats-Unis en s'enfonçant toujours plus dans le Sud et la nuit, de salles de jeux minables en casinos flamboyants, pour deux gagne-petit qui rêvent de battre la banque. Une fois qu'on s'y laisse prendre, difficile de décrocher, ce qui correspond finalement parfaitement au comportement des deux héros à la fois irrésistiblement attirés et implacablement aveuglés par les néons des enseignes et les jetons misés lors de parties de cartes ou les billets achetés pour des courses de chiens ou de chevaux. Gerry et Curtis sont comme aimantés par les cartes distribués, les dès lancés.

Tourné sur pellicule, l'image possède un grain particulier qui renforce la parenté de cette oeuvre avec les classiques des années 70. D'ailleurs, les cinéastes semblent avoir voulu gommer au maximum les repères temporels et invoquer les fantômes des losers magnifiques du passé, entre chien et loup. Ryan Fleck et Anna Boden refusent toute complaisance, montrant souvent à quel point ces lieux de perdition et ceux qui les fréquentent sont maussades, blafards, et préfèrent l'intimisme au spectacle du jeu, les silences aux dialogues, les regards et les gestes à la psychologie.

Ben Mendelsohn (sobre et attachant en type à la dérive) et Ryan Reynolds (épatant en charmeur blessé) sont également excellents dans cette partition à la fois pathétique et touchante : ils profitent peu ou mal de ce que la vie leur offre, qu'il s'agisse de l'argent, des femmes, de la famille, se laissant entraîner par les événements, résignés à gagner comme à perdre. Une mélancolie séduisante transpire de cette virée, où la virilité est pudique, les regrets lourds, la complicité intense parce que précaire, juste illuminée par deux femmes éphémèrement croisées (Sienna Miller et Analeigh Tipton, magnifiques).

A la fin de cette ballade, les deux partenaires se quittent après avoir décroché la timbale, mais sans qu'on sache s'ils en feront bon usage. La fugacité de leur alliance donne toute sa valeur à leur récit et c'est aussi pour cela qu'il est désolant qu'aucun distributeur français n'ait voulu misé sur ce joli film.

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