dimanche 14 avril 2019

BATMAN, VOLUME 6 : BRIDE OR BURGLAR, de Tom King, Travis Moore, Joelle Jones, et Mikel Janin


Ce sixième recueil des aventures de Batman écrites par Tom King compte quatre histoires complètes, successivement dessinées par Travis Moore (#38), Joelle Jones (#39-40, 44), Mikel Janin (#41-43 - avec l'aide de Hugo Petrus pour quelques pages du #43 - , 44). Un programme copieux et qui sonde une nouvelle fois avec pertinence la pysché du Dark Knight à la veille de son mariage avec Catwoman.


- The Origin of Bruce Wayne (#38, dessiné par Travis Moore.) - Matthew Warner, un adolescent, vient de perdre ses deux parents, assassinés par, semble-t-il, Victor Zsasz. Mais Batman mène l'enquête car les victimes travaillaient pour Wayne enterprises. Et il découvre une terrible vérité sur le coupable et son mobile...

Tom King aime ponctuer des arcs narratifs diversement longs avec des one-shots, en apparence déconnectés de ses grandes intrigues. En apparence seulement comme l'indique le titre de cette histoire glaçante où le scénariste imagine comment le fils adolescent de deux de ses employés perd tragiquement ses parents et développe une obsession pour Bruce Wayne et sa faculté de résilience.

Cette étude psychologique en noir est troublante, très dérangeante et violente. King enchaîne les passages perturbants en s'appuyant sur le cas de ce gosse traumatisé qui renvoie bien entendu au passé de Batman, à la perte de ses propres père et mère. La vérité met longtemps à émerger et le le héros remonte le fil d'un copycat particulièrement retors, dont l'identité et les motivations lui apparaissent au détour d'une conversation avec Catwoman.

"On ne guérit jamais de son enfance" dit une chanson, mais se remet-on de vivre dans un endroit dont Batman assure la protection ? Rien n'est moins sûr : King a déjà joué ce refrain en suggérant (comme d'autres avant lui) que Batman créait peut-être les criminels déments qui menacent Gotham. Là, il suggère que le justicier inspire aussi des innocents en les corrompant à son insu.

Le choix de Travis Moore pour dessiner cet épisode est judicieux : son style réaliste convient au sujet et sa représentation marmoréenne des personnages indique habilement les secrets qui les hantent et les agissent. Le découpage rigoureux ne laisse pas au lecteur l'opportunité de respirer, le climat est oppressant. C'est une réussite.
   

- Superfriends, pt. 3-4 (#39-40, dessinés par Joelle Jones.) - En vertu d'un accord passé avec le Gentilhomme, qui protège inlassablement et seul la Terre des monstres d'une dimension parallèle, Batman accepte de le remplacer avec Wonder Woman.


Pendant ce temps, il peut revoir sa fiancée, Angela, inspectrice au GCPD. Mais Catwoman, qui l'escorte, découvre que le temps s'écoule différemment dans les deux dimensions et que Batman et Wonder Woman luttent depuis des décennies pendant ce temps...

Ce dyptique a créé la polémique à sa sortie car des exégètes ont pointé que Tom King avait copié une histoire traitée dans Action Comics. Le scénariste ne s'en est ni expliqué ni formalisé, ce qui peut laisser penser qu'il s'agissait peut-être d'un hommage plus que d'un plagiat. Pour ceux qui, comme moi, n'avaient pas lu le premier récit, ça ne fait de toute façon pas beaucoup de différence mais beaucoup de bruit pour rien.

Bien des auteurs ont joué avec la trinité Batman-Superman-Wonder Woman et l'idée que les deux héros étaient attirés sentimentalement et sexuellement par l'amazone. Durant la période des "New 52" (le précédent statu quo de Dc, de 2011 à 2016), le couple Superman-Wonder Woman fut même établi (et depuis effacé des tablettes).

Car c'est bien de cela qu'il s'agit ici : le remplacement du Gentilhomme, ce protecteur de la Terre dans une dimension peuplée de monstres, par Batman et Wonder Woman est un prétexte pour tester les deux membres de la Ligue de Justice alors qu'ils vivent chacun avec un partenaire (Catwoman, Steve Trevor). Diana aguiche volontiers Bruce Wayne d'ailleurs devant un feu de bois avant de se (le) féliciter de ne pas craquer juste avant son mariage.

Pendant ce temps, Catwoman escorte le Gentilhomme jusqu'à sa fiancée, une détective du GCPD, qu'il n'a donc pas revu depuis un moment mais qui accepte son sacrifice. Cela fournit à King l'occasion de placer quelques répliques savoureuses mais aussi sournoises sur les sentiments de Selina Kyle qui "croit" aimer Bruce Wayne. Une pierre dans le jardin, le ver dans le fruit, bref, de quoi faire douter tout le monde avant le mariage...

Pour cette suite au dyptique avec Superman (dessiné par Clay Mann), c'est Joelle Jones qui revient aux illustrations et l'artiste éblouit à plusieurs reprises. Qu'il s'agisse de représenter les combats âpres contre les monstres ou les pérégrinations de Selina et Julian dans Gotham, les planches sont fournies en détail, avec des personnages très expressifs.

Surtout, Jones impressionne dans les moments les plus intimistes, comme cette splendide scène devant le feu de camp avec Bruce et Diana, ou les retrouvailles de Julian et Angela, submergés par l'émotion.


 - Everyone Loves Ivy (#41-43, dessinés par Mikel Janin, avec Hugo Petrus pour le #43.) - Poison Ivy prend le contrôle de tous les organismes vivants sur la Terre pour purifier la planète du mal qui la ronge. Batman trouve in extremis une parade pour échapper, avec Catwoman, à son emprise.


Pris en chasse par la Ligue de Justice, Batman et Catwoman sont capturés. Batman, gravement blessé par Superman après avoir provoqué Poison Ivy sur ses intentions, est hospitalisé, sous la garde de Harley Quinn - la clé pour raisonner Pamela Isley, que Catwoman amadoue de son côté en lui promettant d'en faire sa demoiselle d'honneur.

La preuve par trois que chez Tom King, tout est lié : cet arc narratif en trois parties se présente d'abord comme un récit angoissant, très efficace, avec une Poison Ivy toute puissante et délirant sur la paix dans le monde, l'utopie écologique et son rêve d'être la demoiselle d'honneur de Catwoman.

Puis, plus l'intrigue progresse, plus le malaise croit. En vérité, l'emprise de Poison Ivy est l'expression d'un traumatisme ancien que le scénariste a mis en scène de manière secondaire dans la saga The War of Jokes and Riddles. Une scène en particulier fournit le socle de ces trois chapitres quand le Sphinx, pour s'assurer les services de Pamela Isley, se promena dans un jardin public avec elle et qu'ils furent menacés par des sbires du joker. Poison Ivy a toujours cru qu'elle avait tué ces hommes de main et veut aujourd'hui expier sa faute en transformant le monde en havre de paix.

King déroule magistralement ce puzzle mental pour annoncer ce qui formera le terrain de jeu de l'actuel event Heroes in Crisis, puisqu'à la fin Batman confiera Poison Ivy aux bons soins du Sanctuaire. Non sans malice, le scénariste fait de Harley Quinn, la plus folle des méchantes de DC, la clé de l'énigme (et la future suspecte des crimes commis au Sanctuaire), en rappelant la relation équivoque existant entre elle et Pamela Isley (à l'évidence toutes deux amantes, même si cela n'a jamais été clairement établi).

On notera bien quelques moments limites dans la narration, comme le fait que Catwoman réussit à neutraliser trois speedsters (Flash, Wally West et Kid Flash) ou que Batman survit à un terrible coup porté par Superman. Mais il est indéniable que l'originalité de l'argument et le rythme de l'ensemble incitent à l'indulgence.

Mikel Janin s'occupe des dessins de ces épisodes et c'est un régal pour les yeux. Dès la toute première page, il représente Poison Ivy avec une beauté à couper le souffle. L'espagnol a vraiment l'art et la manière d'animer des personnages féminins incroyablement attirants et jamais vulgaires.

Mais le réduire à cela serait erroné. Janin s'affirme comme un dessinateur exceptionnel, capable de découpages fabuleux (la double-page montrant l'emprise de Poison Ivy sur tout le monde), alternant tours de force et rigueur imparable (le "gaufrier" cher à King pour la scène où la possession s'estompe). Et toujours ce soin apporté aux décors, incroyablement détaillés.

Son encreur occasionnel, Hugo Petrus, le supplée le temps de quelques pages sur l'épisode 43 sans que cela ne choque (même si Janin a un trait plus affirmé). Les couleurs de June Cheung sont superbes (tout le recueil est magnifié par les coloristes, comme Jordie Bellaire pour l'arc précédent).
   

- Bride or Burglar (#44, dessiné par Mikel Janin et Joelle Jones.) - Les noces approchent pour Selina Kyle et Bruce Wayne. Tandis qu'il se remémore les temps forts de leur relation, elle s'introduit par effraction dans un grand magasin pour y voler sa robe de mariée.

Et on conclut l'ouvrage par un nouveau one-shot. King y fait la démonstration de sa connaissance de l'histoire de Batman en convoquant plusieurs époques passées de ses aventures, mais fait aussi preuve d'une exquise malice.

Joelle Jones dessine les pages avec Selina Kyle, Mikel Janin celles dévolues aux flash-backs. L'alternance est magnifique et permet d'apprécier les talents respectifs des deux artistes. Jones croque Catwoman comme une voleuse jubilant mais aussi sentimentale, cherchant la robe de mariée idéale : le design dudît vêtement est absolument divin, et Jones pourrait le proposer à un grand couturier pour la clôture d'un défilé de monde.

Janin a la charge des planches sur les moments forts de la relation entre Batman et Catwoman. C'est l'occasion pour lui et King de remonter le temps et de montrer l'évolution des deux personnages, de leurs looks (en particulier pour Selina Kyle, qui est passée de la femme fatale à la femme-chat avec des choix esthétiques parfois étonnants, dirons-nous). L'artiste saisit parfaitement la tension sexuelle et la valse-hésitation permanente entre elle et lui.

C'est tout bonnement parfait et sublime.

Encore quelques marches à franchir avant l'autel et les voeux échangés : Tom King fait durer le plaisir, mais c'est bon.

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