Malgré un rythme de parution bimestriel, qui est frustrant, retrouver Isola et son univers demeure une expérience ensorcelante. La série de Brenden Fletcher, Karl Kerschl et Msassyk est un objet à part dans la production actuelle. Pour cela, on lui pardonne tout.
Grâce à la carte dérobée dans le camp de l'armée royale, Rook peut désormais plus facilement se repérer et éviter les endroits dangereux pour la reine Olwyn, toujours prisonnière de sa forme animale. Ainsi elles restent à l'écart des positions du prince Bastian de Palagrine Rock.
Après avoir descendu une falaise, la capitaine et sa reine se receuillent devant un autel dressé à la gloire de la déesse Kaji dont le visage est sculpté à flanc de roche. Olwyn fait accidentellement tomber une jarre, un cri de femme retentit.
Plusieurs autres arrivent et accompagnent Rook et la tigresse jusqu'à leur village troglodyte. Tous les enfants ont mystérieusement disparu, par la faute du shaman Moro semble-t-il. Une des femmes soupçonne Rook de mentir sur la vraie nature de Olwyn.
Un enfant est capturé, à moitié animal. Une cérémonie est organisée à la nuit tombée pour tenter de conjurer sa transformation. Rook et Olwyn assistent à l'étrange rituel qui se solde par un échec.
Olwyn semble vouloir que Rook libère le garçon mais la capitaine ne préfère pas s'attirer d'ennuis. Elles rentrent au village, sans remarquer qu'une silhouette étrange ne les suit du regard.
Il est de plus en plus évident que Isola s'adresse uniquement à des convertis quand on considère la narration de cet épisode. Pas plus aujourd'hui qu'hier, les auteurs ne donnent en effet beaucoup d'informations sur l'endroit précis où on se trouve, ni même de noms aux personnages que croisent Rook et Olwyn, l'action est minimaliste, souvent cryptique...
Un certain hermétisme domine donc. Ceux qui n'ont pas tenté l'aventure ou n'ont pas été séduits jusqu'à présent resteront à quai avec ce septième chapitre. L'ambiance est à la fois toujours plus envoûtante et toujours plus nébuleuse.
Par ailleurs, il ne se passe pas vraiment grand-chose. Rook et Olwyn parcourt des contrées bizarres, souvent inquiétantes, mais pourtant le fracas de la guerre qui les oblige à prendre des détours, à faire profil bas, reste hors champ. Jamais on ne s'éloigne de la capitaine de la garde et de sa reine transformée en tigresse bleutée.
C'est donc avant tout une question de goût pour ces parti-pris très prononcés qui soude le fan à Isola. Je peux comprendre que certains n'y soient pas sensibles ou soient tentés d'établir des comparaisons avec certains récits de fantasy plus épiques, plus mouvementés, plus denses. Ici, on est clairement aux antipodes de la geste façon Tolkien par exemple avec ses fresques : l'intimiste prévaut et le non-dit s'impose.
Il serait cependant faux de croire que, parce qu'il se passe pas grand-chose, il ne se passe rien. En définitive, c'est une somme de petits rien, de micro-événements qui constitue la trame de l'histoire : descendre une falaise, louer les faveurs d'une déesse devant un auteul de misère, être reçu dans un village troglodyte, assister à une séance de désenvoûtement (qui n'aboutit pas)... Ce n'est pas trépidant et pourtant c'est captivant dans ce que ça ne montre pas directement : des enfants changés en demi-loups, des superstitions, des terres désolées et des habitants primitifs, des silhouettes bizarres aux yeux rougeoyants, etc.
Tout cela forme aussi un univers mais dont les scénaristes effaceraient les origines, nous priveraient d'explications. Il s'agit pas de paresse mais d'une volonté affirmée, confirmée, de laisser au lecteur le soin de meubler, d'imaginer le monde de la série sans lui imposer quoi que ce soit. Si on a envie que cela reste imprécis, flou, pourquoi pas ? Si on pense que cela est comme ça à cause de la magie ou que sais-je encore, pourquoi pas ? Peut-être, au bout du voyage, aura-t-on droit à des révélations. Ou pas.
En tout cas, si on a le sentiment que les auteurs enlèvent le superflu, jusqu'à l'épure, les artistes, eux, éblouissent par la beauté formelle de l'ouvrage. On peut également reprocher à Isola d'être trop un livre d'images, mais ça me semble toujours un curieux reproche à adresser à une bande dessinée, qui est par excellence un média visuel, où l'image constitue une part de la narration (je sais que des fans relativisent cela, mais sous-estimer le dessin, c'est simplement amputer une partie de l'identité, de l'ADN, des comics).
Alors que le premier arc de la série était sorti en cinq mois, celui-ci sera accompli à la fin de l'année. C'est un rythme plus européen qu'américain (à moins que le troisième acte revienne à une parution plus soutenue) tout en ayant une pagnination conséquente (peu de BD européenne font finalement cent pages par an). Mais tant que Isola pourvoiera à des chapitres aussi mémorables, je m'abstiendrai d'être impatient pour à chaque numéro savourer cette série magique.