samedi 9 février 2019

PRODIGY #3, de Mark Millar et Rafael Albuquerque


Nous voici à la moitié de cette mini-série et le constat reste le même : Prodigy est une production Mark Millar mineure, mais pourtant plaisante, surtout grâce à Rafael Albuquerque. Le scénariste s'est rarement autant effacé derrière son dessinateur, qui s'amuse beaucoup dans cette course au trésor. Et on pense alors à un précédent du "Millarworld"...


Edison Crane et Rachel Straks remontent la piste du document dérobé aux archives du Kremlin et qui leur permettrait d'identifier et de neutraliser ceux qui préparent une invasion depuis une terre parallèle.


Mais leur périple est semé d'embûches car la confrérie du dragon a lancé des tueurs à leurs trousses. Ils sont poursuivis du Tibet jusqu'à Samarkand et au Cambodge. Crane réussit pourtant à retourner certains de ces assassins en leur promettant une reconversion.


L'aventure marque un temps dans l'océan Pacifique où se trouve un temple immergé non répertorié. Alors qu'il va plonger, Rachel remarque sur l'avant-bras gauche de Crane un étrange tatouage, sur lequel elle ne le questionne pas (tout de suite).


Tandis que Edison déchiffre sur les parois du temple des inscriptions concernant les envahisseurs et leurs alliés, Rachel doit repousser des pirates qui la prennent pour une trafiquante de drogue.


Après cette escale, le duo se rend à Damas où un intermédiaire de Crane les informe sur un autre temple, tenu par Daech. Moyennant finance, les terroristes les laisseront y accèder. Pour trouver la somme réclamée, Edison s'invite à une table de poker... Et se met dans un sale pétrin.

C'est le paradoxe de cet épisode : superficiel, il présente en même temps trois niveaux de lecture, surtout réservés aux habitués des comics de Mark Millar

Premier niveau : on est entraîné, tambour battant, dans une sorte de chasse au trésor aux quatre coins du monde. Mais pas le temps pour du tourisme : Edison Crane et Rachel Straks ne font que passer sans admirer les paysages splendides dessinés par Rafael Albuquerque. Pour le professeur, blasé car il connaît déjà tout, cela est normal. Pour l'agent secret, le voyage compte moins que son dénouement (retrouver un document permettant d'empêcher une invasion).

Deuxième niveau : le réalisme des cadres contraste avec l'exubérance des situations. Autrement dit, le monde de Prodigy est un vaste terrain de jeux - jeu de piste, bastons invraisemblables, retournements de situations. Le lecteur est prévenu depuis le début de la série : rien ne résiste à Crane, dont la suffisance est à la fois amusante et horripilante. Guère de suspense donc, mais des énormités (comme lorsqu'il retourne un tueur en le convaincant qu'il s'est trompé de voie). On s'attache plus à Rachel, agacée par son partenaire et consciente qu'il lui cache des choses (ce mystérieux tatouage, ce projet de micro-société dans des îles de la Nouvelle-Zélande).

Troisième niveau : Prodigy est à l'espace ce que Chrononauts était au temps. Comme les explorateurs inconséquents et hédonistes de cette dernière BD, Edison se moque bien des dégats qu'il inflige car il est trop content d'enquêter sur un mystère qui lui résiste et dont il ignorait tout. Comme l'explique son contact à Damas, c'est surtout un accro au risque, ce qui lui a valu sa fortune mais aussi des ennuis fréquents. Et peut-être est-ce là sa faiblesse : en croyant pouvoir se sortir de tout, il perd toute mesure.

Dommage que, malgré tout cela, Millar pense davantage à divertir qu'à freiner un peu pour sonder davantage les failles de son héros. C'est la limite de son projet, comme c'était celle de Chrononauts : le lecteur n'est jamais vraiment inquiet pour Crane ni même soucieux de cette histoire d'invasion (d'ailleurs les méchants sont absents de l'épisode). Si le scénariste montre bien la supériorité physique et intellectuelle, jusqu'à l'arrogance, du professeur, il est en roue libre et l'absence concréte de la menace pénalise le suspense et nous prive de sensations fortes. C'est comme si Prodigy se trompait de narrateur : raconté du point de vue de Rachel, plus humaine, plus vulnérable, plus vigilante, cela aurait gagné en intensité. Mais d'elle comme du reste, Crane n'en a cure : tout n'est que jeu pour cet excentrique.

Intégrant cela, Rafael Albuquerque cale son dessin sur un grand spectacle vertigineux mais aussi un peu creux. C'est un sentiment de gâchis qui étreint parfois le lecteur que de voir un artiste de ce calibre au sommet de sa discipline se donner autant pour si peu à raconter.

Mais c'est aussi tout à l'honneur d'Albuquerque que de travailler pour deux, quasiment. Si on reste accroché au récit, c'est vraiment grâce à lui, à la beauté de ses images, à leur dynamisme. Le résultat est bluffant : les décors sont superbes, les personnages mobiles et expressifs, les angles de vue d'une variété folle, les couleurs magnifiques, chaque effet est maximal. Il donne de la chair à une intrigue qui en manque cruellement, ne retenant de ce dont elle s'inspire que l'écume.

Il reste trois épisodes à Millar pour rendre Prodigy non pas prodigieux (ce serait miraculeux) mais un peu plus consistant et vraiment imprévisible, inattendu, étonnant. Sans quoi, on rangera cette mini-série à côté de ses oeuvres les plus dispensables.   

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