samedi 2 février 2019

DOCTOR STRANGE #10 (#400), de Mark Waid et Jesus Saiz, avec Tom Palmer, Butch Guice, Kevin Nowlan et Daniel Acuna


De tous les numéros anniversaire que Marvel a consacré ces derniers mois à des séries, celui-ci est certainement le plus abouti. Car ce n'est pas seulement le dixième épisode de ce nouveau volume de Doctor Strange qu'a écrit Mark Waid, c'est aussi (toutes parutions confondues) le 400ème mettant en scène le sorcier suprême. Pas moins de 45 pages donc, avec un premier chapitre de trente et trois extras, tous dessinés par des pointures.


L'Ancien s'agenouille devant Stephen Strange et lui explique qu'on lui a ôté sa magie et qu'il est le prochain visé. Redevenu mortel, l'Ancien est sur le point de s'éteindre mais Strange le prolonge grâce à un sort.


Ensemble, les jours suivants, le maître et l'élève consultent des ouvrages mystiques pour identifier, localiser et vaincre l'ennemi. Ceci fait, Strange laisse l'Ancien se reposer tandis qu'il se déplace dans une dimension parallèle.


Il y rencontre le comptable de la magie, T. Hotrhan, qui lui rappelle, sans ménagement, que la magie a un prix et qu'en l'ayant beaucoup utilisé, Strange est donc très endetté. Un combat s'engage.


D'abord dépassé par son adversaire, Strange doit recourir à la force physique pour reprendre le dessus, d'autant que Hothran détient Wong, Kanna et Zelma, ses proches. Le comptable précise alors à Strange qu'une entité très puissante a racheté sa dette pour toutes les fois où il a invoqué un sort ou une force.


Le créancier de Strange n'est autre que Dormammu. Le sorcier est cependant en mesure de le combattre. Sauf que la créature a anticipé et que ses démons ont commencé à attaquer la Terre, qui servira de monnaie d'échange si Strange s'obstine...

En 2018, Spider-Man, Daredevil, les Avengers, Captain America ont fêté diversement leurs anniversaires par des numéros aux chiffres impressionnants (de 600 à 800 épisodes publiés). Mais Marvel a semblé bien dépourvu d'idées au moment des célébrations, tout comme l'éditeur n'avait rien produit de spécial pour honorer le centième anniversaire de la naissance de Jack Kirby (quand DC avait multiplié les initiatives). En réalité, à part Spider-Man pour lequel Dan Slott a concocté un #800 de 80 pages (qui était aussi l'avant-dernier épisode de son run), ce fut la déception en ce qui concernait les autres.

Mark Waid a dû le noter quand il a anticipé que son dixième épisode de Doctor Strange coïnciderait avec le 400ème numéro du héros (toutes parutions confondues puisque, comme beaucoup de personnages, celui-ci n'a pas toujours eu un mensuel à son nom). Et le scénariste, avec l'intelligence qui le distingue, a rédigé un menu copieux et plaisant.

L'exemplaire est consistant avec ses 45 pages. Mais il est surtout simplement et habilement construit. Waid n'a pas voulu d'un numéro double suivant l'intrigue en cours mais a découpé le programme en deux parties distinctes : d'abord la suite de l'arc en cours, puis trois nouvelles éclairant le personnage.

On avait quitté Stephen Strange sur un coup de théâtre avec l'Ancien, son mentor, réclamant son aide à genoux. Que pouvait bien redouter le plus puissant magicien qui avait enseigné son art au Docteur ? Une fois encore, Waid fait preuve d'ingéniosité.

Tous les comics évoquant la magie, de près ou de loin, ressassent la même rengaine : la magie a un prix. Oui, mais lequel ? En quels termes celui-ci s'exprime-t-il ? de quelle nature est-il ? Et comment le paie-t-on ? Le scénariste y répond avec un étonnant et malicieux pragmatisme en inventant un comptable de la magie, nommé T. Hothran.

Très puissant, à la tête d'une administration infinie, il tient les comptes et note chaque sort, chaque entité invoqués par les sorciers comme autant de factures à régler. Evidemment, pour Strange, qui est le sorcier suprême de la Terre, et qui passe donc son temps à lancer des sorts au nom d'untel ou à puiser dans telle source d'énergie mystique, l'addition est salée. Lorsqu'on lui présente son ardoise, il refuse pourtant de la payer puisqu'il emploie la magie pour protéger la Terre et non pour son plaisir.

La situation s'envenime jusqu'à ce que Hothram lui explique que quelqu'un a racheté sa dette mais souhaite désormais être remboursé, sinon il réclamera justement la Terre. Et le créancier de Strange est le pire qui soit, plus stratège que puissant (car le sorcier s'est perfectionné durant son périple spatial)...

Waid, en introduisant Dormammu dans son récit, ne recrute pas seulement un des ennemis les plus charismatiques de Strange (que Jason Aaron avait étonnamment négligé durant son run), il s'en sert à un moment particulièrement bien choisi puisque ce #400 sort après The Best Defense : Doctor Strange (de Gerry Duggan et Greg Smallwood) où le sorcier suprême, à la fin des temps, affrontait une dernière fois son ennemi. On a ainsi l'impression d'assister à une avant-première, un épisode d'anticipation, d'autant que Dormammu en fait déjà baver à la Terre ici, pour obliger Strange à le payer.

L'idée est génialement simple : le comptable, le créancier, le piège, le sorcier plus fort que jamais mais pourtant dépassé, l'Ancien sur le carreau. Vraiment, c'est brillant. Et magnifiquement mis en images.

Jesus Saiz réalise des planches une nouvelle fois superbes auxquelles on pardonne leur aspect un peu figé à cause de leur hyper-réalisme. Mais le soin apporté au découpage, la science des compositions, les couleurs fabuleuses donnent un écrin à la mesure du script de Waid. Il faut en profiter puisque l'espagnol va bientôt céder une nouvelle fois sa place à un fill-in artist, Barry Kitson (autant dire que pour la flamboyance, on repassera).

Le cliffhanger est diabolique, avec un aveu accrocheur. Dur de résister.

*

Mark Waid, plutôt que de proposer un "simple" épisode double, a préféré donc poursuivre son arc narratif et ensuite écrire trois segments sans rapport avec l'intrigue en cours. Ces trois brèves s'ouvrent par un poster récapitulant la carrière du Docteur Strange, peint par l'encreur Tom Palmer.


- House Call (Dessiné par Butch Guice) - Le fils d'un ami du Dr. Strange a dérobé une amulette magique pour se venger de camarades de son école qui le harcelaient. L'un d'eux est prisonnier de l'artefact. Strange va le libérer.

Ce premier bonus est assez quelconque et Waid a la sagesse de l'emballer rapidement. Pourtant il souligne le caractère toujours assez cassant de Strange (qui reproche à son ancien disiciple sa négligence et gronde l'enfant pour son manque de prudence).

En revanche, rien à redire au niveau visuel : Butch Guice signe des planches très toniques, où on sent l'influence de Gene Colan, avec un encrage bien souligné et un découpage sage mais dynamique.
  

- The Lever (Dessiné par Kevin Nowlan) - Stephen Strange est accueilli par l'Ancien après l'accident qui lui a coûté l'usage de ses mains. Mais, au lieu de recevoir une guérison miracle, il doit se plier à l'enseignement des arts occultes. Il surprend Karl Mordo complotant contre l'Ancien mais ne peut l'avertir à cause d'un sort.

Ce qui séduit dans ce deuxième bonus, c'est l'humour avec lequel il est écrit : Waid démythifie la fameuse origine de Strange en en faisant un homme capricieux, impatient, gros ronfleur, qui casse autant les pieds à Mordo qu'à l'Ancien. Lorsque la machination du premier est révélée, elle est aussitôt résolue par le maître de façon tranquille, philosophe.

Et puis quel bonheur de savourer des pages par Kevin Nowlan : lui qui a produit des couvertures superbes pour la série nous gratifie de planches magnifiques, où l'expressivité des personnages, le jeu des ombres et lumières, la précision des décors se conjuguent à la perfection.



- Perchance (Dessiné par Daniel Acuna) - Cauchemar, un des pires ennemis du Dr. Strange, est piégé par ce dernier dans son sanctuaire sacré. Parce qu'il s'est endormi, épuisé par une bataille dans les limbes, il a fait à son tour ce mauvis rêve.

Enfin, Waid se penche toujours avec ironie sur le cas d'un autre ennemi emblématique du Docteur : Cauchemar. Créé par Steve Ditko, ce démon est confronté à son propre pouvoir : celui d'être pris dans un mauvais rêve. La chute est délicieusement sadique.

Mais le traitement graphique qu'applique Daniel Acuna transcende l'exercice et l'on se prend à rêver de ce que cet artiste ferait sur la série (ah, si c'était lui qui alternait avec Saiz...). L'espagnol s'amuse avec la forme des cases, et ainsi transforme le propos en véritable épreuve pour le protagoniste. Et en fééerie hallucinée pour le lecteur.

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