lundi 7 janvier 2019

SCARLET #5, de Brian Michael Bendis et Alex Maleev


C'est la fin d'une entreprise de dix ans qui est actée avec ce cinquième épisode de la troisième série Scarlet : Brian Michael Bendis et Alex Maleev auront donc pu conclure leur histoire après bien des péripéties. Mieux : ils l'ont fait en permettant aux lecteurs qui n'avaient pas lu les chapitres de la "saison 2" de tout de même comprendre et apprécier ce dénouement. Qui est vraiment épatant.


Les militaires de Portland ont trahi leur commandement pour évacuer Scarlet Rue au lieu de l'arrêter après sa reddition. A bord d'un véhicule de l'armée, elle est conduite rapidement jusqu'à un parking souterrain où l'attend une bande d'insurgés.


Ceux-ci la prennent en charge dans une voiture banalisée et roulent jusqu'à la sortie de la ville en état de siège. Grimée, Scarlet est méconnaissable et passe le checkpoint avec ses complices qui se font passer pour des journalistes.


Les soldats les préviennent que la situation avec les rebelles reste en suspens. Durant le reste du trajet, couvrant la traversée de plusieurs Etats de l'Amérique, Scarlet dort. Quand elle se réveille, elle est accueillie par sa cousine, Sophie, également insurgée.


Les deux jeunes femmes pénétrent dans un bâtiment et parviennent à une salle immense remplie d'écrans et d'ordinateurs. Scarlet reconnaît le centre de sécurité de la Maison-Blanche.


Sophie lui explique rapidement que la révolution de Portland a fait tâche d'huile dans les grandes villes, incitant l'armée à se retourner contre le gouvernement et le président à se retirer. En direct, Scarlet Rue va donc s'exprimer comme le nouveau leader du pays.

Les révolutions dépassent souvent ceux qui les initient : c'est la morale de la série. Brian Michael Bendis réussit un tour de force narratif avec ce final car il conserve l'intimisme de son histoire, centrée sur Scarlet, tout en aboutissant à un dénouement spectaculaire, que le lecteur intègre et mesure en même temps que l'héroïne.

C'est un tour de force car en concluant en seulement cinq épisodes une série débutée il y a dix ans, en lui donnant une fin digne de ce nom et surprenante malgré tout, en respectant le cheminement de son personnage tout en lui conférant une dimension épique, Bendis fait preuve d'une grande habileté.

Pendant les deux tiers de ce dernier volet, on assiste donc à l'exfiltration de Scarlet par des militaires à qui elle s'était rendue et donc on pensait qu'il allait la livrer aux autorités pour qu'elle soit jugée afin que l'insurrection qu'elle avait initiée soit éteinte.

Mais comme le montrait la dernière page du #4, surprise : les soldats trahissent leur supérieur et évacuent Scarlet à laquelle ils affichent leur soutien, du moins pour certains d'entre eux car, comme on le découvre, Portland reste assiégée par l'armée. Celle-ci déploie d'ailleurs immédiatement ses effectifs pour localiser la fugitive -hélicos en patrouille, checkpoints.

Malgré tout, Scarlet quitte sa ville avec des complices civils. On peut alors craindre que Bendis s'en tienne là et imaginer que la série s'achève avec un bond dans le futur, montrant la jeune femme ailleurs, dans une nouvelle vie vouée à rester discrète. Mais non.

Alex Maleev a l'idée géniale d'évoquer les conséquences de la rebellion et son extension dans plusieurs grandes villes avec une série de doubles pages représentant non pas de grandes images spectaculaires mais des cartes postales de voeux auxquelles correspond une voix off (celle de Sophie), résumant comment le mouvement de Scarlet s'est répandu et a renversé le pays.

Le twist final a lieu dans rien moins que la Maison-Blanche, comme l'indique la couverture - ou plutôt la "Scarlet-House" désormais. Maleev, comme Bendis, ne quitte pas des yeux Scarlet et traduit subtilement sa surprise puis sa sidération au fur et à mesure qu'elle saisit ce qu'elle a inspiré. Puis l'assurance dont elle fait preuve au moment de prononcer sa première allocution filmée.

La colorisation de Maleev joue aussi un rôle important dans ce crescendo : on passe des teintes grisâtres et brunes de Portland, renvoyant à l'évasion discrète, de Scarlet au bleu dominant du centre de sécurité de la Maison-Blanche. Le sourire qu'affiche l'héroïne, noyée dans cet azur froid, devient alors ambigü : va-t-elle être un leader éclairée, après les épreuves passées, ou une meneuse aussi isolée par sa nouvelle fonction qu'un politicien ordinaire ?

Ni le dessinateur ni le scénariste ne le disent, laissant au lecteur le loisir de poursuivre le destin de Scarlet. Mais en l'état, ce terminus est fascinant, trouble et troublant à souhait.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire