vendredi 9 novembre 2018

CROWDED #4, de Christopher Sebela et Ro Stein


Jusqu'à présent, Crowded filait à toute allure dans son histoire de chasse à l'homme (ou, en l'occurrence, à la femme). C'est donc une surprise de constater que ce numéro freine (un peu), mais une bonne surprise car Christopher Sebela en profite pour s'attacher à la psychologie de ses personnages. Et Ro Stein s'adapte avec toujours le même brio.


Vita retrouve sa maison en flammes et constate que les pompiers, déjà sur place, ne font rien pour éteindre l'incendie. Elle y pénètre au mépris du danger et grimpe jusqu'à sa chambre où elle récupère un coffre - où est censé se trouver son journal intime, mais qui n'y est plus (il a été dérobé par la tueuse sans nom).


Une fois dehors à nouveau, Vita doit faire face à deux agents de police au sujet des dégâts qu'elle a provoqués en ville avec Charlotte Ellison. Mais elle obtient de cette dernière, qui continue de se plaindre, et des flics, un répit.


Cependant, Trotter parle avec son assistante Cameron de ses obligations envers ses fans et accepte de donner une interview. Très vite, les questions sur les corrections qu'il a apportées à sa biographie surgissent et le mettent mal à l'aise, car elles nuisent à sa réputation au moment où la récompense pour Charlie Ellison a atteint deux millions de dollars.


La tueuse sans nom n'a pas ce genre de souci et elle profite même des plages de Los Angeles avant de poursuivre sa mission. Vita emmène Charlie au commissariat où elle dépose un dossier imposant à la chef puis retrouve sa petite amie, Jo, également flic. Elle s'inquiète de la voir risquer sa peau pour sa cliente.


Déprimée par ces propos, Charlie s'éclipse et se lie d'amitié avec une future mariée. Mais, après avoir abusé de la boisson dans une boîte de nuit, elle se retire à une table. A la télé sont diffusés des témoignages recueillis par Trotter de ses proches qui, tous, la dénigrent, justifiant qu'on veuille la tuer. Ce qui risque d'arriver plus tôt que prévu...

Bon, entendons-nous bien, quand je suggère que l'épisode est plus calme que les trois précédents, il ne faut pas se fier à la séquence d'ouverture, complètement folle, où Vita rue dans les brancards, bravant l'incendie de sa maison pour y récupérer son coffre et devant ensuite se jeter par la fenêtre de l'étage pour échapper aux flammes qui dévorent l'escalier. Ces quelques pages sont du pur Crowded.

Mais ensuite, même si on conserve ce mouvement incessant, ce swing digne des meilleures comédies classiques américaines, où personne ne tient en place même pour discuter, Christopher Sebela change de ton et prend le temps, pour la première fois, de s'attarder sur la personnalité de ses protagonistes.

Trotter fait, le premier, l'objet d'un examen démystificateur : ce tueur qui doit sa popularité à ses vidéos en ligne et à son bagout pour faire monter les enchères s'appuie en vérité énormément sur son assistante, Cameron. Laquelle ne manque pas de lui rappeler, outre son budget et son objectif, d'où il vient, et qui sera mis à jour par une journaliste venue l'interviewer. On découvre un garçon qui a réécrit son histoire familiale pour coller à sa réputation d'assassin, n'assumant pas son passé, fuyant ses responsabilités, ne pensant qu'à frimer.

Mais c'est Vita qui profite le plus de ce coup de projecteur. Sebela ne révèle rien de majeur mais suggère beaucoup de choses sur ses origines. Il semble bien qu'elle ait fait partie de la police pour profiter de sa clémence et de son soutien, ce qui explique aussi ses talents particuliers (son adresse au tir, sa reconversion comme garde du corps). Sexuellement, sa silhouette androgyne indiquait clairement qu'elle était ambivalente et là, son homosexualité est déclarée quand elle converse avec Jo, une flic avec laquelle elle entretient une relation compliquée car cette dernière n'aime pas que Vita risque sa peau pour Charlie et Vita en retour n'apprécie pas qu'on la materne (sans compter que c'est son moyen de gagner sa vie).

La tueuse sans nom, qui avait fait une entrée en scène remarquée dans le précédent numéro, est très discrète mais suit un agenda détendue. Quant à Charlie, on apprend que le nombre de ses proches qui ne pleurerait pas sa mort est proportionnel aux tracas qu'elle leur a causé - ce n'est vraiment pas une bonne copine, ni une gentille fille, ce qui justifie que Vita la rudoie régulièrement.

Ro Stein est décidément un dessinateur très impressionnant, capable d'enquiller chaque mois trente pages sans temps mort ni déperdition dans les finitions. Certes, il est soutenu par un excellent encreur, Ted Brandt, et une coloriste fabuleuse, Triona Farrell, mais tout de même ses planches sont bluffantes.

Son excellence dans l'action n'est plus à démontrer, aussi est-ce un bon test de le voir dans des plages où le dialogue prime. Et Stein continue, avec la même vigueur, à changer les angles de vue, la valeur des plans, à remplir les décors de détails, à meubler les fonds de figurants. La richesse insensée de son dessin ne lasse pas d'être applaudie. J'ignore à quoi il carbure, mais Crowded a de la chance de l'avoir, et Image Comics a eu le nez creux en dénichant ce talent - la révélation de 2018.

Une fois encore, l'épisode se conclut sur un cliffhanger haletant, qui promet une poussée d'adrénaline le mois prochain. La folie de cette BD n'a pas fini de nous réjouir.   

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