mardi 23 octobre 2018

WOLVERINE : DEBT OF DEATH, de David Lapham et David Aja


Comme le troisième épisode de The Seeds n'est pas sorti, comme prévu, ce mois-ci (Dark Horse n'a communiqué sur la raison de ce retard ni sur une nouvelle date de parution), on ne va pas se priver de parler de David Aja pour autant. Et, pour cela, remontons le temps, jusqu'en Novembre 2011, lorsqu'il dessina ce one-shot de Wolverine, Debt of Death, écrit par David Lapham.


Résidant près de la base américaine d'Okinawa au Japon, le super-intendant général Nakadai et sa femme sont assassinés par un groupe de ninjas après la destruction de l'endroit. Leurs deux enfants, Kanaye et Kiku, échappent aux tueurs. Logan, ami de Nakadai, arrive sur place pour aider l'inspecteur Mori qui soupçonne un règlement de comptes ourdi par le chef yakusa Murata.
  

Cependant, un héliporteur du SHIELD intervient contre des robots géants qui attaquent un chantier dans la région. Ceux-ci abattent, tels des kamikazes tous les agents, sauf Nick Fury. Logan retrouve facilement les enfants Nakadai et les conduit à l'abri chez son vieil ami Masao pendant qu'il va poursuivre ses investigations contre les assassins.


Nick Fury apprend, lui, que les robots kamikazes ont été conçus durant la seconde guerre mondiale par le super-intendant Nakadai dont le meurtre récent ne peut être une coïncidence. Logan tabasse quelques yakusas et découvre que la cible des ninjas payés par Murata n'était pas son ami mais son fils, Kanaye. Lequel a quitté le domicile de Masao entre temps.



Kanaye joint Murata pour négocier un arrangement mais Logan le rattrape à l'aéroport avant que des agents du SHIELD ne les embarquent. A bord de l'héliporteur, Logan est questionné par Fury sans pouvoir le renseigner sur le lien entre l'attaque des robots kamikazes et la mort de Nakadai. Jusqu'à ce que l'appareil soit attaqué.
  

Logan et Kanaye sautent de l'héliporteur et plongent dans la baie où ils échappent aux robots kamikazes. Ils gagnent ensuite le domicile de Murata qui révèle à Logan que Kanaye vendait des secrets technologiques de son père pour régler ses dettes de jeu et de drogue. Il a commandité le meurtre de sa famille pour couvrir sa trahison. Logan le laisse être tuer par les robots kamikazes reprogrammés pour le traquer.

Encore plus épais qu'un Annual avec plus de trente pages, ce one-shot offre un programme d'abord déroutant avec ses robots géants kamikazes, ses ninjas, la présence du SHIELD (encore commandé à l'époque par Nick Fury - dans sa version originale, non pas la copie de Samuel L. Jackson importé dans les comics) et sa tortueuse affaire criminelle où Wolverine joue les détectives.

D'ailleurs en fait de Wolverine, il s'agit d'une histoire de Logan puisque le mutant ne porte jamais son costume. On se dit en passant que c'est ainsi, en civil, que le griffu canadien est le plus lui-même et non comme un X-man déguisé en super-héros : c'est l'essence même du personnage dans ses aventures en solo, le type qui évolue incognito (ou presque) et se mêle à des intrigues quasi-policières, flirtant parfois avec le récit d'aventures, comme aux premiers temps de sa série dédiée dans les années 80 (écrite par Chris Claremont et John Buscema).

Cette "dette de mort" (Debt of death) dont s'acquitte Logan le renvoie au Japon, territoire fétiche du mutant - là encore on pense aux épisodes de Claremont, de Miller. Et il endosse le rôle de pisteur, remontant littéralement au flair la trace d'assassins d'un vieil ami. David Lapham brode là-dessus un récit imprévisible où le coupable n'est pas celui qu'on croit, à la fois classique et efficace.

Le scénariste de la série-culte Stray Bullets pimente l'affaire avec quelques ninjas, pour faire couleur locale, et surtout d'improbables robots géants kamikazes, des espèces de Goldoraks destructeurs prêts à se sacrifier et programmés pour cela. C'est l'aspect le plus délirant et déconcertant mais qui présente l'avantage de quelques scènes très spectaculaires - le massacre d'un escadron du SHIELD et l'assaut d'un héliporteur.

Nick Fury et Logan ont droit à une seule scène commune mais elle est réjouissante, chacun affirmant son caractère - Fury colérique, Logan matois. Bien qu'aujourd'hui Fury ait la tête, dans les comics, de son interprète au cinéma, Samuel L. Jackson, les puristes comme les autres lecteurs préféreront toujours l'original à la copie et c'est ce qu'autorise un épisode comme celui-ci, produit il y a sept ans, donc avant la saga Original Sin (qui a fait du personnage un remplaçant d'Uatu le Gardien - encore une idée "brillante" de Jason Aaron...).

Mais surtout, c'est l'occasion d'apprécier le talent du toujours trop rare David Aja, avant son sacre durant son run sur Hawkeye (écrit par Matt Fraction). L'espagnol s'approprie Wolverine avec génie, lui donnant tout de suite une attitude propre, râblée, pas trop grand, l'air ombrageux. En le dessinant en vêtements de ville, il le normalise, ce qui a pour effet de souligner le caractère de sa mission, sinon secrète, du moins officieuse, et en même temps habillé de manière cool, sans apprêt (un jean's, une chemise à carreaux).

Aja est aussi un, sinon "le", maître du découpage. Ici, il ne déploie pas tout son génie comme lorsqu'il s'occupera des épisodes de Hawkeye mais nous gratifie de quelques fulgurances dont l'esthétisme ne sacrifie jamais à l'efficacité narrative. Une page montre l'escadron du SHIELD dans des espèces de capsules volantes de combat puis la page suivante, Aja dipose Fury au centre dans son module, entouré des visages de ses agents dans leurs appareils comme s'ils apparaissaient sur des écrans de contrôle dans l'engin de leur chef. Le design du module est d'autant plus remarquable qu'il se découpe sur un fond blanc et que sa forme est sphérique. L'effet est simple mais maximal.

Lors des scènes calmes, où le dialogue domine, Aja s'inspire de son influence évidente pour David Mazzucchelli (entre Aja, Lapham et Mazz', ça fait beaucoup de David...), alternant des bandes de deux cases et de trois cases. La lecture est ainsi rythmée sans être hachée d'autant que chaque vignette est bien remplie. Le minimalisme du dessin des visages n'empêche pas qu'ils soient très expressifs comme toujours chez le dessinateur espagnol, disciple du fameux "less is more" d'Alex Toth.

Quand il faut en revanche aérer l'action, Aja procède par grandes cases, mais dont la disposition ne se départit jamais d'une sorte de géométrie appliquée à la page. La composition reste prédominante, il ne s'agit jamais de produire une grande image juste pour épater la galerie et quand l'image en question est coupée, c'est pour mieux évoquer le mouvement des personnages (Logan et Kanaye sur le point de sauter de l'héliporteur du SHIELD, Logan et Kanaye en chute libre).

Aja a aussi visiblement donné des indications précises concernant le lettrage à David Lanphear (encore un David, décidément !) puisqu'il utilise plusieurs onomatopées, notamment pour bruiter le son des mitraillettes de façon insistante et oppressante. En vérité, tous ces éléments convergent : on se croirait dans un film d'exploitation des années 70, avec les outrances de la série B (voire Z), et d'ailleurs il suffit d'observer la coupe des pantalons (à pattes d'éph') pour avoir la confirmation que l'histoire se déroule à cette époque. 

La colorisation, superbe d'Elizabeth Breitweiser (dont, je crois, c'est l'unique collaboration avec Aja), a le bon goût de ne jamais empiéter sur le dessin, mais de lui apporter discrètement des nuances, des effets de texture ou de volume (plus raffinés que ceux de Matt Hollingsworth sur Hawkeye qui travaillait avec une palette volontairement réduite).

Comme si Marvel avait eu, à l'époque, conscience de tenir là un objet spécial, le numéro sortit sans page de publicité ! C'est dire si ce one-shot touche juste et frappe fort, écrit avec tonus et magnifié par un des artistes les plus importants de l'industrie. 

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