mercredi 24 octobre 2018

DEMINEURS, de Kathryn Bigelow


Aujourd'hui encore, je vous propose de remonter dans le temps pour parler d'un film que j'avais loupé et que j'ai découvert dix ans après sa sortie (je n'étais pas pressé...) : Démineurs de Kathryn Bigelow. Récompensé par six "Oscar", ce qui se présente comme un film de guerre étonne par son traitement puisqu'il ne réfléchit ni au conflit qui lui sert de cadre mais au portrait d'un soldat dont l'engagement a tout d'une addiction. Avec, à la clé, la révélation d'un comédien qui depuis a fait du chemin...

 Owen Eldridge et le sergent Matthew Thompson (Brian Geraghty et Guy Pearce)

Irak. 2004. Le sergent William Thompson meurt dans l'explosion d'une bombe artisanale à Bagdad. Pour le remplacer, le sergent William James, un ancien ranger, arrive comme nouveau chef de l'unité de déminage. Il fait équipe avec le sergent J.T. Sanborn et l'expert Owen Eldridge - qui a été témoin de la mort de Thompson.

Le sergent William James (Jeremy Renner)

James sympathise avec un gamin irakien qui se fait appeler "Beckam", comme le footballeur anglais, et qui revend des DVD pirates près de la base américaine. Cependant, pour l'avoir vu à l'oeuvre et sans déconsidérer son efficacité, Sanborn et Eldridge comprennent vite que James est une tête brûlée et que les risques qu'il prend expose toute leur équipe. Des tensions apparaissent entre les trois hommes et, lors d'une visite sur un site d'entraînement, Eldridge glisse à Sanborn qu'ils pourraient facilement en profiter pour tuer James en faisant passer ça pour un accident.

Les sergents J.T. Sanborn et William James (Anthony Mackie et Jeremy Renner)

Ils n'en font rien. Mais en rentrant à leur base, les trois soldats croisent un groupe de cinq individus vêtus comme des combattants arabes. Il s'agit en fait de mercenaires britanniques qui viennent de capturer deux irakiens recherchés pour terrorisme. C'est alors qu'ils essuient des tirs et accusent plusieurs pertes. Les prisonniers tentent d'en profiter pour fuir mais ils sont abattus par le chef des mercenaires. Un sniper tire à vue sur ce dernier. Sanborn et James le repèrent patiemment et finissent par l'abattre à leur tour tandis que Eldridge descend un autre tireur isolé. 

Sanborn et James

Après cette mission, le trio est devenu plus soudé. Mais leur relation est à nouveau mise à l'épreuve lorsqu'ils inspectent un entrepôt qui se révèle être un atelier de fabricants d'armes. James croit reconnaître "Beckam" en voyant le cadavre d'un jeune garçon à l'intérieur duquel on a glissé une bombe. Il la désamorce mais l'évacuation dégénère lorsque le lieutenant-colonel Cambridge, psychiatre de la base qui les a accompagnés, meurt à cause d'un kamikaze.

Patrouille nocturne à Bagdad

Alors qu'Edlridge culpabilise, en s'interrogeant sur sa "malédiction" (c'est le deuxième de ses supérieurs qu'il perd), une énorme déflagration retentit la nuit suivante. En se rendant sur place, James pense que la bombe a été activée à distance et convainc Sanborn et Eldridge de pousser les recherches dans le quartier voisin. Ils se séparent pour quadriller le secteur. Eldridge est capturé et blessé quand Sanborn et James viennent à son secours. Démobilisé, il est transporté en hélicoptère le lendemain. James retrouve "Beckam" aux abords de la base mais refuse de lui adresser la parole, convaincu qu'il vend des infos aux terroristes sur les manoeuvres des américains.  

Boom !

James et Sanborn arrivent bientôt au terme de leur rotation avant de devoir prendre une permission obligatoire. Ils sont appelés pour désarmer un civil dans le centre-ville à qui des terroristes ont attaché une ceinture d'explosifs avec un minuteur. James tente de la lui ôter mais comprend qu'il ne réussira pas dans le temps imparti. Le civil meurt dans la déflagration. Sanborn, choqué, confie ensuite à James qu'il ne peut supporter cette vie et qu'il ne rempilera pas car il veut à présent rentrer chez lui et fonder une famille. 

Le sergent James rempile

James retrouve sa femme, Connie, et leur bébé. Mais, rapidement, cette existence rangée l'ennuie. Il sait que ses compétences et son courage sont recherchés. Il rempile donc pour une nouvelle rotation plutôt que d'assumer ses rôles de mari et père.

Kathryn Bigelow ne ménage pas le spectateur : dès la première scène, elle nous plonge dans le feu de l'action et tue un de ses personnages, pourtant incarné par un acteur important (Guy Pearce, même si son étoile a pâli depuis sa révélation dans Memento). Ainsi, semble-t-elle nous avertir, personne n'est à l'abri.

L'entrée en scène du remplaçant du sergent Thompson par un charismatique démineur dont la bravoure frise l'inconscience donne davantage le sentiment d'un dangereux grain de sable dans la machine que du renfort providentiel. Mais elle renvoie aussi le spectateur à une question perverse : qu'attend-il d'autre d'un film de guerre que le spectacle de la mort, y compris celle de son héros ?

C'est Jeremy Renner qui incarne William James : dix ans après, c'est devenu un acteur en vue grâce à son rôle de Hawkeye dans les films consacrés aux Avengers mais aussi dans l'excellent White River de Tony Sheridan. Point commun à ces longs métrages : il y donne la réplique à d'autres acteurs dont la carrière a décollé grâce aux productions Marvel (comme Anthony Mackie ici ou Elizabeth Olsen).

Mais en 2008, Renner n'est encore qu'un "wannabe", un inconnu que Démineurs va révéler comme un énième substitut de Steve McQueen grâce à sa composition fiévreuse et cool à la fois, sa présence intense. Il crève littéralement l'écran, et même quand il n'est pas à l'image, il hante les scènes, car il est dépeint comme cet électron libre séduisant et dangereux, ce casse-cou irrésistible. Pourtant, William James n'est pas vraiment un héros traditionnel...

Ce personnage ambivalent, un peu fou, certainement aussi suicidaire, porte en lui le vrai sujet du film sa vraie nature : The Hurt Locker est en définitive moins un film de guerre qu'un film sur l'addiction, sur la guerre comme drogue, une drogue puissante qui procure du plaisir - un plaisir plus grand que l'amour d'une femme, la paternité d'un enfant. Le sergent démineur est un drogué qui s'il est volontaire fuit d'abord une vie de famille morne pour rester au contact de ce qui lui procure un shoot d'adrénaline, qui le rend plus vivant, lui fait ressentir les choses plus urgemment. Il lui faut sa dose, fusse-t-elle mortelle.

Pour masquer sa dépendance, il se cache derrière sa lourde combinaison, son casque semblable à celui d'un astronaute. C'est une sorte de costume de super-héros et en même temps presque un cercueil ambulant, qui ne protège pas du pire, comme en témoigne la mort au début du sergent Thompson. S'il est, à un moment, félicité par un colonel pour le nombre de bombes qu'il a désamorcé et donc de vies qu'il a sauvées, James n'en tire aucune fierté : il fait juste son boulot. Du moins est-ce ainsi qu'il se présente, se montre. En vérité, ces engins de mort qu'il désactive, c'est sa danse favorite pour se sentir vivre plus fort.

Mais l'habit du démineur est aussi la transposition du regard de cinéaste de Bigelow : James a une visibilité limitée et un objectif simple et précis. Il ne considère pas la situation d'un point de vue politique et n'a aucune opinion sur l'intervention américaine en Irak. La réalisatrice non plus - et c'est peut-être la limite de son entreprise (alors que, depuis, avec Zero Dark Thirty ou Detroit, elle a posé un regard plus ambigu et critique sur les événements ayant conduit à la mort de Ben Laden ou des émeutes raciales de la fin des années 60) : si son héros n'avait pas été américain, on aurait pu comprendre cette prise de distance et envisager le récit comme une sorte d'abstraction, une réflexion sur tous les démineurs de toutes le guerres. Mais James est un américain dans une armée d'occupation en terre arabe : ce n'est pas innocent, on ne peut pas l'occulter.

Certains ont rapproché ainsi Démineurs de American Sniper de Clint Eastwood, mais les deux oeuvres n'ont pas grand-chose à voir. Elles se répondent d'une certaine manière mais se déroulent sur des voies parallèles sans se croiser. Le personnage de Bradley Cooper chez Eastwood se voit comme un authentique serviteur qui cartonne pour diminuer l'ennemi. Celui de Renner chez Bigelow se fiche bien d'être une sorte de recordman dans la mesure où il ne tue pas (en tout cas jamais directement, avec l'intention de tuer) mais désamorce des mines conçues pour pulvériser des civils ou des militaires.

Pour, donc, savourer pleinement ce grand spectacle qui est aussi très intime (et intimiste), il convient d'apprécier le film comme une sorte de trip plus intérieur que grandiose. On vibre, on frémit, on est impressionné : pas de toute, c'est de la bombe !  

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