mardi 18 septembre 2018

THE SEEDS #2, d'Ann Nocenti et David Aja


Pour finir cette semaine de critiques (concernant les sorties du 12/9), le deuxième numéro de The Seeds par Ann Nocenti et David Aja. Etrange de constater que la série est déjà à mi-chemin. Et impressionnant le fait de voir qu'elle ne cède rien à son exigence. Il faudra sûrement relire tout ça à tête reposée une fois que cera terminé, pour en avoir une compréhension plus aboutie. Mais ça ne veut pas dire que ce nouvel épisode est inaccessible...
  

Lola a décidé de rejoindre son amant extraterrestre dans la Zone B et, pour cela, elle abandonne toute technologie à l'entrée. Race l'attend de l'autre côté et la guide jusqu'à la Voûte où lui et les siens stockent des prélèvements, des graines, des embryons, avec précaution et dans le plus grand secret. Ce qui oblige Race à avoir une discussion avec son chef au sujet de la présence de Lola.


Dans la salle de rédaction du journal, Astra regarde avec des collègues la retransmission en direct du vol vers Mars d'un riche excentrique, prétexte à des paris entre eux sur la réussite de cette aventure. Gabrielle s'isole avec Astra et lui remet une enveloppe de cash et un appareil photo avec un téléobjectif. Grâce à l'argent, elle pourra rentrer dans la Zone B avec ce matériel.


Sa mission : rapporter des clichés de l'extraterrestre qu'elle a vu avec Lola et découvrir la nature de leur relation. En contact téléphonique avec sa rédactrice en chef, Astra rechigne à jouer les paparazzis même si elle sait que cela serait un scoop extraordinaire - et peut-être un moyen de savoir si des aliens manigancent quelque chose. Toutefois, elle finit par couper la communication avec Gabrielle.


Dans la Zone B, un fermier, Jack, et sa femme discutent de la nécessité d'abattre leur truie grassement nourrie pour la manger. Astra, sur le toit d'un bâtiment où elle prend des photos, est assommée par le chef des extraterrestres. Elle se réveille ligotée à une table d'opération sur le point d'être disséquée par des aliens.


Lola et Race sont dehors pendant ce temps et devisent sur la prochaine fin du monde : les extraterrestres sont là pour emmener ce qui restera de la Terre et la jeune femme pourrait être tuée pour ce qu'elle a déjà vu dans la Voûte. Ils font l'amour. Sandy, un autre alien, libère Astra en s'opposant aux examens que veulent lui faire subir ses chirurgiens. Elle s'enfuit, affolée, et voit alors des avions arborant le logo de la compagnie Green BioTech commencer à épandre chimiquement la Zone B.

The Seeds n'est pas une BD facile ni même aimable. Son dessin grisâtre-verdâtre, son propos nébuleux, son intrigue filandreuse, son climat oppressant, rien n'est fait pour assurer le confort du lecteur. Mais tout participer à aiguiser sa curiosité, à stimuler ses sens. C'est une production exigeante, qui se mérite, mais qui, si on l'accepte, donne beaucoup.

Ann Nocenti écrit cette histoire comme si elle voulait en vérité tester son audience. C'est un geste orgueilleux et austère, mais cette espèce d'arrogance a un vraie panache dans le paysage actuel où éditeurs et auteurs s'interrogent sur le public qu'ils veulent toucher, conquérir, fidéliser. Incontestablement, là, la scénariste s'adresse à ce qu'on nomme un "public averti", adulte. Et comme on pénètre dans cette étrange Zone B, il faut consentir à quelques efforts pour lire The Seeds.

Bon, d'accord, dit comme ça, je vous dissuaderai plutôt. Pourtant, ce n'est pas une mini-série difficile à lire. Les premières planches, avec leur esthétique et leur narration si spéciales, réclament un petit temps d'adaptation. Puis, insensiblement, on se laisse glisser, absorber par ce qu'on lit, ça devient captivant justement parce que ce n'est pas évident d'emblée - ça le devient, ça vous gagne, et vous entrez effectivement dans un récit envoûtant.

Comme le premier numéro, on suit à la fois Lola, cette jeune femme en couple avec un extraterrestre, et Astra, une journaliste qui les a découvert et veut à la fois en savoir plus tout en s'interrogeant sur l'intimité qu'elle doit leur laisser. Tout l'enjeu réside dans cette limite que se fixe l'héroïne : il ne s'agit pas d'une simple "paparazzade" mais d'un scoop explosif qui dévoilerait la présence d'aliens sur Terre et leur collusion avec des humains ordinaires. 

Le lecteur en sait un peu plus qu'Astra puisqu'il connait l'activité secrète des extraterrestres (effectuer une série de prélèvements divers avant la fin du monde), mais l'attitude des visiteurs est ambiguë - tantôt hostile (ceux qui veulent disséquer Astra après l'avoir capturée), tantôt bienveillantes (celui qui sauve Astra,, Race amoureux de Lola). Et cela créé un écho avec ce qui se passe dans les dernières pages où des avions survolent la Zone B pour exterminer les insectes (et toute forme de vie ?).

La mise en images, plus que les simples dessins, de David Aja est une nouvelle fois éblouissante. Il y a deux manières d'épater un lecteur de BD : en lui en mettant plein la vue ou en dessinant "juste". Aja a choisi la deuxième voie. Il a recours à un formalisme appuyé, flirtant parfois avec le symbolisme et l'abstraction (comme Nocenti ouvre des parenthèses curieuses dans sa narration avec le voyage sur Mars d'un riche excentrique ou le regret d'un fermier qui doit abattre sa truie pour se nourrir). Mais Aja en tire le maximum d'effets pour optimiser le récit.

Il emploie des "gaufriers", il limite la couleur à une ou deux teintes, son encrage est épais et précis à la fois. Mais derrière ces gimmicks, le graphisme est toujours fluide, la valeur des plans toujours impeccablement alignée au propos de la scène, l'expressivité idéalement adéquate par rapport aux émotions. Il fait beaucoup avec peu, suggérant d'une manière si impressionnante qu'il est inutile de détailler pour provoquer le lecteur.

L'étrange se pare d'une beauté fascinante avec Aja : une tortue qui mue, une truie reniflant des champignons, des abeilles posées sur le corps nu de Lola, tout cela créé à la fois un sentiment de bizarrerie et de charme qui compose ce monde futuriste sans avoir recours à des représentations spectaculaires. C'est un monde déréglé que celui où se situe cette histoire et c'est moins la présence d'éléments anormaux qui dérangent que la sensation que ce qui est décrit est crédible et imminent.

Où cela va-t-il mener ? Impossible à dire. Mais ce trip vaut vraiment le détour.

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