vendredi 28 septembre 2018

HEROES IN CRISIS #1, de Tom King et Clay Mann


Initialement intitulé Sanctuary, la saga Heroes in Crisis qui démarre ce mois-ci (et ce, pour neuf mois) est un projet qui tient particulièrement à coeur au scénariste Tom King puisqu'il a voulu aborder le thème du S.P.T. (Stress Post-Traumatique) auquel il a été lui-même confronté après avoir servi comme soldat en Irak. Mais cette histoire est déjà accueillie avec hostilité par beaucoup de fans et critiquée par certains auteurs. Alors attaque justifiée ? Ou gros malentendu ?


Plusieurs héros et vilains témoignent, comme Harley Quinn, Hot Spot, Blue Jay, Arsenal et Booster Gold, de difficultés existentielles relatives à leurs activités super-héroïques. Ils sont admis au sein du Sanctuaire, un endroit conçu par Superman, Batman et Wonder Woman dans le but de les aider.


Superman vole à toute vitesse en direction du Sanctuaire qui, vu du ciel, a l'aspect d'un simple ferme isolée. Il détecte grâce à sa super-vue plusieurs corps de patients morts à l'extérieur puis à l'intérieur du bâtiment, parmi lesquels ceux de Arsenal, Citizen Steel, Hot Spot, et Flash II (Wally West). Batman est en route tout comme Wonder Woman.


Pendant ce temps, Harley Quinn se présente dans un dinner où se trouve Booster Gold. Après s'être restaurés, elle l'attaque, le blessant avec un couteau à plusieurs reprises. Il se défend en refusant de lui faire du mal mais elle ne se calme pas pour autant. Il l'éloigne de l'endroit et de ses clients.


Au Sanctuaire, Batman, Wonder Woman et Superman découvrent une inscription étrange sur un mur à l'intérieur laissée par le meurtrier. Le dark knight comprend que ce havre de paix, ce lieu de reconstruction, est devenu le point de départ de leur chasse à l'homme.


Harley Quinn s'est enfin calmée et accuse Booster Gold d'avoir commis les meurtres du Sanctuaire tandis qu'elle l'a seulement observé avant de fuir.

La variant cover de Ryan Sook
(l'artiste évoque des drames emblématiques dans la communauté des super-héros).

En son temps (c'était il y a presque dix ans), lorsqu'il écrivit brièvement les séries Superman et Wonder Woman, J. Michael Straczynski annonça travailler sur un projet parallèle nommé Samaritain X dont le décor principal serait un hôpital pour super-héros. Cela resta sans lendemain (JMS abandonna ses séries, se consacra à autre chose chez DC avant de prendre sa retraite des comics).

Lorsque Tom King évoqua à son tour Sanctuary, cela ressemblait à sa version de Samaritan X : l'idée lui était inspirée de sa propre expérience puisque, avant de devenir scénariste, il servit dans l'armée américaine (et le contre-espionnage) en Irak. Confronté au stress post-traumatique, il voulait explorer ce problème chez les super-héros en imaginant un endroit où ceux-ci, après avoir subi des drames psychologiques, seraient pris en charge discrètement. Mais on ignorait encore quelle forme cela prendrait (série régulière, mini-série).

Finalement, l'idée a dû séduire le staff éditorial de Dc car c'est devenu un event. D'abord programmé en sept parties, il en comptera neuf (en vérité, King voulait ajouter deux numéros spéciaux et a décidé de les intégrer à son récit principal). Entre temps, Sanctuary fut rebaptisé Heroes in Crisis. Et c'est sans doute une erreur (même si ce n'est pas un titre illogique).

En effet, l'histoire de DC est parsemée de "Crisis" fameuses (Crisis on infinite earths, Infinite crisis, Final crisis) et cela connote forcément un projet qui n'a rien à voir avec ces précédentes sagas (qui ont toutes en commun de se situer au niveau cosmique). Cela créé aussi une confusion avec Identity crisis, dont le dessinateur Rags Morales (à qui on n'avait rien demandé et qui n'a pas du avoir accès au script de King mais qui a jugé bon de dire ce qu'il avait sur le coeur) a déploré que Heroes in Crisis en soit une copie.

A cause de tout cela (et en particulier de l'accusation de Morales), les fans de DC ont accueilli avec hostilité, avant même la parution de ce premier épisode, la saga de King, pensant qu'il s'agissait d'un récit-prétexte pour éliminer des héros (ou vilains). Le rallongement de cette histoire en neuf épisodes, l'annonce de plusieurs dessinateurs impliqués (Clay Mann sera remplacé pour le #3 par Lee Weeks, pour le #7 par Mitch Gerads), tout cela a vraiment pourri la sortie de Heroes in Crisis.

Alors certes, il y a des morts dès ce premier chapitre, et certains chagrineront les fans (Wally West, Roy Harper, voire Citizen Steel). Mais faut-il s'arrêter à ça pour faire le procès et condamner cette histoire ? A mon sens, c'est très précipité, surtout que Tom King n'est quand même pas le premier scénariste venu et qu'il a abondamment prouvé qu'il ne cédait pas à la complaisance dans la représentation de la violence. On devine bien évidemment qu'il y aura une enquête pour découvrir qui est l'assassin (comme dans Identity crisis) mais aussi une vraie réflexion sur ce qu'endurent les héros dans leur activité et le trauma que va susciter cette tragédie.

Je trouve le concept intéressant et je me garderai bien de l'incendier sur la base d'un premier épisode frustrant mais aussi intrigant, dont la narration reprend des gimmicks chers à King (scènes découpées en "gaufriers", alternance d'action et de dialogues, ambiance pesante) - la preuve que cette saga porte une marque d'auteur véritable.

La prestation de Clay Mann est également épatante. On peut regretter qu'il ne réalise pas l'intégralité du projet, même si cela aurait impliqué des retards (mais comme le récit n'a pas de tie-in, peu importe). Cela n'empêche pas que ses planches sont superbes : dans les moments les plus mouvementés (le combat Harley Quinn-Booster Gold) comme plus intimistes (l'arrivée de la Trinité au Sanctuaire), il y a un mélange de majesté et de mélancolie, de puissance et d'élégance assez remarquables. 

Mann n'est de toute manière pas un monthly artist (même si, avec le soutien de son frère Seth à l'encrage, il aurait sûrement pu plus facilement enchaîner), mais avoir Weeks et Gerads comme suppléants garantit au projet une belle allure et nul doute que King (qui a collaboré avec chacun) saura tirer avantage des forces des uns et des autres.

Elliptique, énigmatique et accrocheur, ce début augure de bonnes choses (au-delà de savoir quelles victimes, célèbres ou non, on va avoir droit) : Heroes in Crisis pourrait même profiter de sa mauvaise réputation pour créer une grosse surprise si Tom King sait, comme dans Mister Miracle, déjouer les attentes et établir un équilibre entre le polar et le trauma. A défaut d'indulgence, restons au moins ouvert à la proposition que cette saga nous adresse.

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