dimanche 3 juin 2018

THE VOICES, de Marjane Satrapi


Le succès de son roman graphique Persepolis qu'elle a ensuite adapté au cinéma sous forme de film d'animation a permis à Marjane Satrapi de tenter l'expérience hollywoodienne. Mais l'auteur iranienne n'a pas été aux commandes d'une grosse machine de studio, même si elle a bénéficié d'un solide casting pour une comédie qu'elle n'a pas écrite mais dans laquelle elle a injecté un réjouissant délire : The Voices - qui n'a rien à voir avec le télé-crochet éponyme...

Jerry (Ryan Reynolds)

Employé dans une usine qui fabrique des baignoires, Jerry vit dans un petit appartement au-dessus d'un bowling désaffecté dans la banlieue de la bourgade de Milton. Il a pour compagnie son chien Bosco et son chat M. Moustache... Dont il entend les voix car il est atteint de schizophrénie. Suivi par une psychiatre, il ne prend pas son traitement qui l'inhibe trop et se trouve donc tiraillé entre les bonnes intentions de son chien et les mauvaises que lui inspirent son chat.

 Fiona (Gemma Arterton)

Pour le féliciter de son professionnalisme, son patron lui confie l'animation musicale du barbecue organisé par l'usine, ce qui rend doublement heureux Jerry, fier de la confiance qu'on lui accorde, mais surtout parce que cela lui permet de se rapprocher de la belle comptable Fiona dont il est secrètement épris (mais ce n'est pas réciproque).

"Je suis désolé... Je t'aime, Fiona."

Après une réunion, il l'invite à dîner le lendemain soir dans un restaurant chinois mais elle lui pose un lapin, préférant s'amuser avec ses collègues, Lisa et Allison, au karaoké. Quand elle en sort, une pluie battante et le refus de sa voiture de démarrer la contraint à faire du stop pour rentrer chez elle. Jerry, qui rentre chez lui, l'aperçoit et la reconduit. En route, il percute accidentellement un cerf. En proie à une hallucination auditive, il achève la bête, et Fiona, horrifiée, prend la fuite en direction de la forêt voisine. Jerry la poursuit en tentant de la calmer mais il la tue en lui plantant un couteau dans la poitrine après avoir trébuché.

 Bosco, Jerry et M. Moustache

De retour chez lui, ses animaux ont deviné le drame et lui conseillent de retourner récupérer le corps de Fiona et de s'en débarrasser. Il obéit et la découpe en morceaux qu'il range dans des boîtes tupperware. Le lendemain, sa psy devine qu'il a eu une nuit agitée et il lui avoue ne pas avoir pris ses cachets. Rappelé à l'ordre, Jerry avale plusieurs comprimés : il n'entend plus de voix mais passe une nuit éprouvante. Au matin, il se débarrasse de tous ses remèdes et la tête de Fiona qu'il a conservée dans son réfrigérateur se met à lui parler, réclamant de la compagnie.

Lisa et Jerry (Anna McKendrick et Ryan Reynolds)

Après ce week-end cauchemardesque, Jerry revient au boulot et donne rendez-vous à Lisa (qui l'aime sans avoir jamais osé le lui dire). Après un dîner romantique, il la conduit à la maison où il a grandie, dans les bois, et lui confie le récit de son enfance, marquée par la dépression de sa mère qui a quitté son Allemagne natale pour suivre son mari, un G.I. américain, à Milton. Elle a fini par mettre fin à ses jours (avec l'aide de Jerry, qui cache ce "détail" à Lisa). Lisa emmène Jerry chez elle et passe la nuit avec lui.

 Jerry

Pressé par Fiona et encouragé par M. Moustache, Jerry résiste d'abord à l'envie de tuer Lisa mais lorsque celle-ci s'invite à l'improviste chez lui et découvre son intérieur ensanglanté, elle s'affole. Elle s'enferme dans la chambre de Jerry qui lui brise accidentellement la nuque en voulant la retenir. Il la découpe à son tour en morceaux et place sa tête à côté de celle de Fiona dans son réfrigérateur.

Le Dr. Warren et Jerry (Jacki Weaver et Ryan Reynolds)

Mais ce deuxième meurtre a ébranlé Jerry et il se rend, sans prévenir, chez sa psy, le Dr. Warren, à qui il avoue tout. Lorsqu'elle tente d'appeler la police tout en voulant le tranquilliser, il la maîtrise et l'enlève. Chez son patient, elle découvre qu'il a dit vrai tandis que deux collègues de Fiona et Lisa, soupçonnant Jerry d'être impliqué dans leur disparition car il les draguait, alerte la police en découvrant les voitures des deux filles garées à côté du bowling.

Jerry et le Dr. Warren

La police débarque mais Jerry s'échappe par une trappe conduisant au bowling, sous son appartement. En descendant, il a brisé sans faire attention une conduite de gaz, ce qui provoque une explosion qui dévaste le bâtiment. Jerry se laisse mourir par asphyxie... Mais il se réveille au paradis où il retrouve successivement ses parents, puis ses victimes et Jésus, qui le rassure à propos de ses animaux. Tous ensemble, ils se mettent à chanter et danser.

Si Persepolis témoignait d'une certaine fantaisie déjà, le fait qu'il s'agissait d'un récit autobiographique sur fond de régime des mollahs en Iran aboutissait à un témoignage tour à tour grave et léger. Les facéties macabres de The Voices révèlent donc chez Marjane Satrapi un tempérament inédit et aboutissent à une comédie noire particulièrement réjouissante.

Pourtant, la vedette de la bande dessinée franco-iranienne n'a pas écrit ce scénario déjanté : le script est l'oeuvre de Michael R. Perry qui l'avait rédigé pour le proposer à Ben Stiller, une des stars de la comédie américaine (surtout connue chez nous pour Mary à tout prix et Une Nuit au musée 1 et 2). Pour des raisons qui lui appartiennent, l'acteur déclinera in fine le projet jusqu'à ce que Satrapi, sollicité par les studios américains, ne jette son dévolu sur lui et en fasse la matière de son deuxième long métrage.

Le projet était risqué tant il est audacieux. Le résultat est en tout cas très drôle mais aussi très étrange. Quand le film commence, on devine que Jerry est un peu simple d'esprit mais sympathique, et franchement ridicule dans sa blouse de travail rose. Mais ça, c'est avant qu'on le découvre chez lui en compagnie de son chien et de son chat avec lesquels il a des conversations animées. Qu'il parle tout seul, passe encore même si c'est déjà bizarre, mais quand on remarque que Bosco (le toutou) et M. Moustache (le matou) lui répondent en ouvrant et fermant la bouche, là, c'est déjà nettement plus délirant.

Jerry est schizophrène, The Voices n'est pas une comédie légèrement fantastique façon Dr. Dolittle avec des animaux réellement doués de parole. Et si Bosco incarne sa personnalité la plus sage, la plus raisonnable, M. Moustache, lui, est le diablotin félin qui le pousse à commettre les pires horreurs, commentant son existence minable avec cynisme et l'encourageant à tuer car homme comme félin sont des chasseurs naturels. La mort, lui assure, le chat, c'est encore mieux qu'un orgasme.

Satrapi a posé les bases de sa fable démente, elle va ensuite précipiter la chute de son héros. Il est amoureux d'une plantureuse comptable dont il interprète l'indifférence par une approbation tacite. Il poignarde accidentellement dans un moment au symbolise appuyé (le couteau se plante dans sa poitrine comme si Jerry la pénétrait sexuellement)... Puis la découpe en morceaux, ne conservant, dans un fétichisme morbide, que sa jolie tête dans son réfrigérateur.

La suite est certes prévisible - on se doute que ça ne va pas s'arrêter là - mais les scènes s'enchaînent avec une fluidité redoutable, si bien que même si on en sait l'inéluctabilité, on espère quand même que les malheureuses victimes de Jerry échapperont à leur funeste sort. Le pire, c'est qu'on éprouve une certaine sympathie pour ce garçon qui ne prémédite rien, et assassine sur une maladresse (il trébuche sur Fiona, il brise le coup de Lisa en la poussant trop fort).

Le rire surgit chez un spectateur qui culpabilise mais ne peut se retenir quand il observe le dépit grandissant du brave Bosco et la jubilation de l'affreux M. Moustache. Les effets spéciaux pour faire parler les deux animaux sont discrets mais particulièrement efficaces, alors que la mise en scène s'appuie volontiers sur l'exagération, influencée par les giallos italiens avec son mélange d'horreur et de comédie, ses couleurs prononcées, ses ambiances intenses, et une interprétation décalée.

Satrapi n'a pas eu Stiller mais quand même un très beau casting, avec trois actrices exceptionnelles : Gemma Arterton est sublime en aguichante collègue exigeant une fois trépassée de la compagnie, Anna McKendrick est délicieuse en midinette qui a rendez-vous sans le savoir avec le grand méchant loup, et Jacki Weaver est excellente en psy bien trop bienveillante. Aussi bien entouré, Ryan Reynolds est magistral en benêt homicide, plus gaffeur que serial killer : pour le comédien, c'est l'occasion de prouver son aisance dans ce registre (bien loin de sa prestation désastreuse dans Green Lantern), et il a multiplié les expériences dans ce sens depuis (de Deadpool à Hitman & Bodyguard).

Savoureux, barré, atroce, The Voices est une curiosité hilarante que son accroche ("Terrifiant et à mourir de rire") résume parfaitement.

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