lundi 18 juin 2018

MISTER MIRACLE #9, de Tom King et Mitch Gerads


Nous voilà dans le dernier tiers de la saga et si l'intrigue écrite par Tom King n'a pas encore livré tous ses secrets, la fin de ce neuvième épisode la relance de manière décisive et machiavélique. Les retrouvailles entre Mister Miracle et son "père", Darkseid, dont l'ombre plane sur l'histoire depuis le début, ne sont plus loin. Et Mitch Gerads contribue à faire monter la pression.


Mister Miracle, Big Barda et Lightray sont à la table des négociations avec Kalibak, le fils biologique de Darkseid (et donc demi-frère de Scott Free). Les forces de New Genesis sont dans l'impasse sur Apokolips et il faut donc discuter d'échange de prisonniers et de restitution de territoires conquis.
  

Sous son allure d'ogre, Kalibak est un marchandeur retors mais Miracle lui tient tête avec force. Chaque point est débattu, selon des critères de calendriers (différents chez chacune des deux parties), chaque concession fait l'objet d'interminables discussions où personne ne veut céder. Lors des pauses, Barda tente d'apaiser Scott en évoquant leur enfance et leur éducation sur ce monde infernal, avec le recul désormais acquis sur la sévérité de Granny Godness.


Mais le doute gagne Mister Miracle au milieu de la semaine de négociations : il sait que la situation ne lui est pas favorable car Darkseid possède toujours l'équation d'anti-vie, ce qui lui donne un avantage tactique déterminant, susceptible de tout bouleverser à n'importe quel instant. Barda continue de supporter son mari, lui promettant que si aucun accord n'est trouvé, ils tueront Kalibak.


Au cinquième jour, justement, Kalibak abat une carte maîtresse pour désarçonner la partie adverse : il offre à Mister Miracle, en guise de bonne foi, un miroir spécial mais familier à son demi-frère. C'est un présent empoisonné car lorsqu'on s'y regarde, on se voit tel qu'on est vraiment : en l'occurrence comme un individu brisé physiquement et mentalement, terriblement abîmé par les guerres menées.
  

La veille du septième et dernier jour, Barda rappelle à Scott qu'ils vont de toute manière rentrer sur Terre et retrouver leur fils, Jack, puis pouvoir se reposer. Surprise : Kalibak propose une issue au conflit, directement dictée par Darkseid. Le maître d'Apokolips est prêt à capituler, à laisser les forces de New Genesis inspecter ses installations militaires, et même à livrer l'équation d'anti-vie. A une condition : qu'il élève Jack, sur Apokolips, pour en faire son héritier sur le trône !
  

Au début de cet épisode, Mister Miracle interrompt Kalibak pour demander à aller aux toilettes. Un des adjoints de son demi-frère est disposé à l'y conduire et, arrivés devant un gouffre circulaire, les deux hommes soulagent leurs vessies tout en devisant, non pas de la négociation en cours, mais de peinture car le guide a, en route, raconté avoir bien connu Léonard de Vinci.

L'anecdote concerne un peintre fameux et reconnu, dont le talent est unanimement considéré comme le plus grand, et son meilleur élève. Ce dernier, las de n'être que le disciple d'un génie, toujours dans son ombre, considère avoir assez appris du maître pour être son égal, voire son supérieur. Mais il faut le prouver de manière spectaculaire pour que cela soit partagé.

Un défi est lancé par l'élève au professeur et chacun se met à l'ouvrage pour produire une toile prodigieuse. Le jour dit, chacun arrive avec son oeuvre achevée. L'élève dévoile le fruit de ses efforts : une nature morte d'un stupéfiant réalisme, si épatant que même les oiseaux se jettent sur la toile en croyant qu'il s'agit de fruits authentiques. Le public est impressionné, l'élève convaincu de sa victoire. Mais le maître ne bronche pas.

L'élève prie alors son mentor de retirer le voile de son cadre pour que chacun découvre sa peinture. Et là, le maître répond : "Quel voile ?"

Tom King apprécie ce genre d'astuces pour introduire le lecteur dans ce qu'il va lui raconter : cette courte fable a valeur de programme mais aussi de clé pour ce qui suit, mais également pour ce qui a précédé. Il ne suffit pas d'épater la galerie par une démonstration de force quand une production plus discrète mais encore plus sidérante suffit à remporter la victoire. Souvenez-vous de la manière dont, en son temps, Orion avait acculé Mister Miracle pour le confondre et le condamner en le convaincant d'être à la solde de Darkseid, donc d'être un traître à New Genesis, sans même le savoir mais à cause de son trouble mental...

Ici, on assiste à la même humiliation en y ajoutant un degré supplémentaire de perversité car l'atout maître de Darkseid via Kalibak est abattu à la toute dernière page et ses termes sont d'une simplicité terrifiante. Si New Genesis accepte la paix, Mister Miracle et Big Barda doivent sacrifier ce qu'ils ont vraiment de plus précieux. Les conditions émises sont tellement imprévisibles et évidentes à la fois qu'on se dit, en refermant l'épisode, que seule cette issue était possible. Quand un scénariste parvient à imposer cela au lecteur, cela prouve la force de son raisonnement, son aspect incontournable, et l'impasse dans laquelle les héros se trouvent pour gagner tout en perdant.

Depuis le début du second acte de la mini-série (à partir du #7 donc), on pouvait presque s'interroger sur la voie qu'empruntait King. L'auteur avait promis en interview une direction plus sombre, mais ls épisodes déjouaient cette attente en empruntant une voie parfois franchement humoristique à bases de situations décalées entre scènes de guerre éprouvantes et quotidien tranquille (les premiers pas de Jack en formant le point culminant).

C'était une ruse formidable retorse pour préparer le terrain à ce rebondissement cruel et énorme de ce neuvième chapitre avec le marché formulé par Darkseid. C'est aussi une forme de leçon philosophique de la part de l'ancien militaire que fut Tom King : dans une vraie guerre, il n'y a pas de vainqueur, mais un perdant raisonnable, qui a saisi un compromis souvent lourd mais nécessaire, et un autre, qui l'a refusé et a soit battu en retraite, soit a été totalement décomposé. C'est ce qui est en train d'arriver à New Genesis et Mister Miracle : soit il perd tout et entraîne tout ce qu'il représente avec lui dans sa chute, soit il fait une concession terrible mais qui résout tout. A moins que King ne nous réserve une troisième alternative...

Pas de surprise du côté graphique : l'épisode entier est une nouvelle fois découpé en "gaufrier" de neuf cases, mais Mitch Gerads, outre son respect du script, en tire comme toujours le meilleur. L'aspect étouffant, oppressant des négociations avec Kalibak, qui plus est dans son château, est parfaitement rendu par ce procédé où chaque point est débattu et les parties adverses de renvoient la balle d'une case à l'autre.

Pour traduire encore plus intensément cela, Gerads n'utilise pas de champ-contre-champ mais va d'un gros plan de face à un autre entre Mister Miracle et Kalibak. Lightray et Big Barda sont représentés de trois-quarts face de part et d'autre de Miracle, tout comme les lieutenants de Kalibak. Il s'agit vraiment d'un duel fratricide, puisque Scott Free est littéralement le demi-frère de Kalibak.

Le dessinateur insiste aussi beaucoup sur le contraste entre les physionomies des deux négociateurs : Kalibak est un ogre, trapu, lourd, épais, très laid, qui tient plus de la bête que de l'humanoïde, tandis que Miracle est fin, élégant, siégeant en costume d'apparat, son masque sur le visage. Il y a quelque chose de volontairement caricatural dans leur aspect, et Gerads ne lésine pas sur les détails pour souligner le grotesque, l'absurde de la situation (la table des discussions n'a pas de pieds, elle est soutenue par des hommes à genoux - dont l'un finira écrasé contre un mur lors d'une colère de Kalibak, entraînant de fait un déséquilibre du meuble de son côté).

Idem lors des pauses dans les discussions où Barda et Scott échangent des anecdotes sur leur enfance à Apokolips et l'éducation de Granny Godness, envisagent de trucider Kalibak si cette brute refuse un compromis raisonnable, se baignent dans une piscine enflammée... Tous les décors ont quelque chose de too much au diapason de ce qu'on y dit et fait, et le lecteur sourit de la manière détachée avec laquelle le couple de héros appréhendent cet environnement, malgré le climat tendu.

Comme d'habitude, cet épisode réserve donc sa part de surprises, avec une chute extraordinaire, et une densité narrative que le quasi-huis clos de l'action dissimule initialement. Mais on en sort encore une fois bluffé par l'adresse avec laquelle il est écrit et mis en images. Comme l'histoire du peintre et de son élève, c'est cette façon d'avancer sans forcer mais avec génie qui ne cesse d'impressionner.            

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