vendredi 15 juin 2018

ISOLA #3, de Brenden Fletcher, Karl Kerschl et Msassyk


Depuis trois mois maintenant, ouvrir chaque nouvel exemplaire, c'est l'attente récompensée de replonger dans un comic-book féerique, une série vraiment dépaysante, peut-être la plus belle actuellement produite. Ce troisième numéro d'Isola confirme tout le bien que j'en pense et je ne saurais que trop vous recommander ce titre.


Le capitaine Rook est capturée par la bande d'archers qu'elle a trouvée là où elle avait laissée la reine Olwyn. Ils la cherchent aussi, sachant qui est la tigresse et qui est responsable de son apparence. Mais le chef des archers veut la retrouver avant la tombée de la nuit.


Cependant, la rein Olwyn suit le vieux Moro dans les marais, à pied d'abord puis à bord d'un barque. Il gagne la confiance de la tigresse en lui jurant ne lui vouloir aucun mal et en lui assurant que lui et son peuple l'accueilleront et la protégeront car Isola n'est qu'une chimère.
  

Sur la piste de la reine, Rook accepte d'aider les archers à la retrouver quand ils évoquent Moro. Elle a pour cela un livre dérobé à la bibliothèque lors de sa précédente escale qui contient des plans. Mais l'apparition d'un renard bleu distrait les archers, qui le considèrent comme l'incarnation d'un mauvais esprits, et Rook en profite pour leur fausser compagnie.


Moro et Olwyn arrivent chez le vieillard où ils sont accueillis par des prêtres. De son côté, Rook sème les archers dans les marais en suivant le renard bleu grâce auquel elle retrouve la piste de la reine. La nuit venue, elle fait un feu pour se réchauffer et sécher ses vêtements lorsqu'elle surprend des pêcheurs. Mais elle est attaquée par un ours.


Lorsqu'elle revient à elle, Rook est veillée par Moro et retrouve Olwyn qui, sortant d'un bassin, a repris forme humaine à l'exception de la tête et qui réclame vengeance...

L'épisode débute par une scène onirique qui désoriente le lecteur, pourtant désormais habitué à être surpris de la sorte. On s'interroge sur son sens : est-ce une vision du futur ? Un simple cauchemar de la reine Olwyn (dont on découvre le visage humain pour la première fois) ? Une fausse piste ?

Brenden Fletcher et Karl Kerschl continuent d'entretenir le mystère, laissant au lecteur de l'espace pour se raconter leur propre histoire au sein de celle qu'ils ont imaginée. Il faut, je le répète, accepter de manquer d'informations, de repères pour apprécier l'expérience spéciale que propose Isola : si vous n'y êtes pas disposée, vous vous exposez à un lecture frustrante ; par contre si vous vous y abandonnez, le résultat est particulièrement envoûtant.

L'intrigue fonctionne comme autant d'étapes dans le périple du capitaine Rook et de la reine Olwyn qui bravent à chaque épisode un ou plusieurs dangers pour gagner Isola. Mais cette fois-ci, elles sont séparées et le récit évolue dans deux directions parallèles et simultanées. Surtout la révélation que Rook est (comme on pouvait le supposer) est une jeune femme éclaire d'un jour nouveau la relation qu'elle entretient avec Olwyn.

Effectivement, il ne s'agit plus d'un capitaine de la garde royale veillant à la sécurité d'une reine transformée en tigresse et fuyant son royaume pour atteindre la terre promise d'Isola. A la fin de ce numéro, leurs retrouvailles s'expriment par une étreinte qui trahit les sentiments de Rook envers Olwyn : elle tient bien plus à sa reine qu'un simple soldat le ferait, il est évident qu'elle en est amoureuse et donc cette romance (à sens unique ?) est homosexuelle, donc plus troublante.

Cette féminisation impacte tout le chapitre puisque Rook, avant qu'on ne la voit pour la première fois en sous-vêtements, ce qui dévoile son genre, est captive de la bande d'archers, un groupe d'hommes dont le chef la nargue et dont les sbires la raillent (voir la scène où elle lit l'ouvrage censé les orienter vers le refuge de Moro : un texte nébuleux qui perd davantage qu'il ne guide). Ainsi encadrée, Rook est dominée, menacée, moquée, pour la première fois vraiment en situation précaire.

De son côté, Olwyn suit Moro à travers les marais : la conversation est à sens unique puisque seul le vieillard l'entretient. Mais ça ne veut pas dire que la tigresse est passive: elle fait même preuve d'une forme de malice qui rappelle aussi son rang quand, sur la barque où ils se trouvent, Moro bascule dans l'eau à cause du déséquilibre causée par le poids du fauve en mouvement. Lorsqu'elle arrive chez lui, elle considère avec méfiance les prêtres, enfants, adultes qui l'observent et dont on ne saurait dire s'ils sont effrayés par la présence d'une tigresse ou impressionnés par celle d'une reine même transformée en bête.

Karl Kerschl et Msassyk donnent à ce monde une puissance visuelle toujours impressionnante, vraiment unique. Pas seulement par rapport au contexte de l'histoire, mais dans le soin apporté à ce qui le peuple : renard bleu que des archers superstitieux prennent pour un mauvais esprit, marais inquiétants, et créatures étranges mi-hommes, mi-animaux comme cet ours qui attaque Rook ou ces lointains pêcheurs à têtes de loup. Déjà, dans le précédent épisode, la fillette qui remettait le livre au capitaine avait un bras qui ressemblait plus à une patte : dans ce monde où la magie a métamorphosé une reine en tigresse, il semble aussi que des mutants évoluent, partiellement bestiaux, potentiellement dangereux.

Le découpage adopté est simple, pas d'excentricités dans les enchaînements, sauf ici quand, justement, après que Rook ait été assommée par un coup de patte d'homme-ours, elle perd connaissance et durant une page, son esprit divague, en proie à de fugitives mais douces visions, comme en écho à la scène onirique et dramatique au début. Le rendu est superbe, traduisant parfaitement cet entre-deux entre perte de connaissance et réveil.

Tout cela est souligné par une mise en couleurs splendide, avec ici une dominante de verts, mais toujours avec cette douceur ensorcelante, ouatée. Qui vient donner aux moments les plus bizarres un contraste saisissant, comme lorsqu'on assiste aux retrouvailles de Rook et Olwyn, aux trois quarts réformée.

Spectacle vraiment magique, Isola confirme son statut à part : d'une beauté formelle extraordinaire, son récit est également captivant.   

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