Le spin-off de Black Hammer, Doctor Star & the Last Kingdom of Tomorrows s'achève avec ce quatrième numéro. Et disons-le tout de suite, Jeff Lemire et Max Fiumara terminent avec un pur chef d'oeuvre, un épisode d'une force émotionnelle exceptionnelle qui risque de vous serrer la gorge et peut-être même de vous tirer des larmes.
Le Dr. Star accompagne ses disciples extraterrestres jusqu'aux portes de la Para-Zone : le passé est derrière lui et ne peut être réécrit. L'avenir est devant et avec lui, peut-être, la possibilité de découvrir tous les secrets de l'univers.
Par le passé, après avoir été rejeté par sa femme et son fils, Jim Robinson se consacre à ses travaux scientifiques. Il abandonne sans regrets sa carrière de super-héros, rongé par les remords, et parce qu'une nouvelle génération de justiciers apparaît.
Jusqu'au jour où Abraham Slam ne lui téléphone : il a toujours veillé sur Joan Robinson en l'absence de son mari et annonce à ce dernier qu'elle vient de s'éteindre. Aux obsèques, Jim mesure le gâchis de son existence et le gouffre qui le sépare désormais de son fils, Charlie.
Aujourd'hui, ses disciples lui demande d'être leur guide dans la Para-Zone. Mais il décline cette requête pour rentrer sur Terre et veiller sur son fils, agonisant dans son lit à l'hôpital. Il lui raconte tout sur les raisons de ses absences, son échec comme père. Charlie pardonne Jim et lui dit être prêt.
Jim s'envole alors avec son fils dans les bras. Il atterrit avec lui sur la Lune où Charlie rend son dernier souffle. A la fois brisé et soulagé, Jim serre son fils dans ses bras.
Dr. Star... offre ce que Jeff Lemire peut écrire de mieux. Pas seulement parce qu'il s'agit d'une oeuvre qu'il a créée et dans laquelle il projette donc des choses plus personnelles que dans ses travaux pour DC et Marvel, mais tout simplement parce qu'il y exprime ce qui distingue le mieux sa production.
Le scénariste a un goût certain pour les personnages de losers magnifiques, les marginaux qui se lancent dans des aventures qui les dépassent mais dont ils sortent vainqueurs au prix de terribles sacrifices. Avec Black Hammer et ses déclinaisons, il a ajouté à ces qualités narratives des références bien senties aux BD de ses confrères, aboutissant à une sorte d'univers subtilement décalé et merveilleusement familier, mais toujours avec ce regard mélancolique qui fait sa marque.
Ici, c'est au Starman de James Robinson et Tony Harris qu'il adresse un hommage inspiré, mais en inversant l'argument : il ne s'agit pas de l'histoire d'un super-héros vieillissant qui passe le flambeau à son fils, mais d'un type qui a négligé sa famille pour vivre des aventures extraordinaires et qui, au soir de sa vie, en paie le prix fort en perdant sa femme et son fils.
Pour cet ultime chapitre, Jim Robinson alias Dr. Star est à la croisée des chemins : il a découvert que des extraterrestres qu'il sauva jadis d'un dragon sont devenus ses disciples et veulent qu'il devienne désormais leur guide dans une zone inconnue. La tentation d'exaucer ce voeu est grande car le héros a déjà tout perdu et il ne peut réécrire le passé - ayant placé ses ultimes espoirs dans la possibilité que ces aliens soignent le cancer de son fils et apprenant que c'était impossible.
Mais c'est justement parce qu'il se sent coupable d'avoir causé la perte des siens en ayant été trop longtemps absent (et peut-être à cause de ses pouvoirs qui les aurait rendus malades) que le Dr. Star préfère renoncer à cette dernière exploration. Il est l'heure de dire "adieu" : à son rôle de héros des étoiles, à sa femme, à son fils. Et les derniers moments entre Jim et Charlie sont un sommet d'émotion, une séquence poignante comme rarement les comics en offrent. Impossible de ne pas être bouleversé, d'autant plus que Lemire traite cela avec une sobriété impeccable et un sens poétique confinant au sublime.
Pour illustrer ça, il faut faire preuve de décence et de mesure, autant de qualités dont Max Fiumara ne manque pas. Il nous émerveille avec le spectacle enchanteur de la porte de la Para-Zone mais il nous touche plus intensément encore lorsqu'il trouve le bon angle dans des scènes aussi délicates que le coup de fil donné par Abraham Slam annonçant à Jim Robinson le décès de sa femme.
L'épilogue atteint de nouvelles cimes : l'artiste s'autorise une double planche magnifique et trois pages consécutives pour nous entraîner sur la Lune pour des adieux déchirants entre le père et le fils. Une idée toute simple mais vraiment remuante nous montre Jim porter Charlie tour à tour représenté comme un adulte entamé par le cancer et son traitement et comme l'enfant qu'il fut, si son père l'avait bercé dans ses bras. Ces plans fichent la chair de poule.
C'est du grand art. C'est ce qui prouve que les comics, les super-héros, peuvent transcender les clichés qu'on leur colle, le folklore auquel ils sont souvent abonnés. C'est triste mais putain, qu'est-ce que c'est beau.
Je viens de finir la lecture du TPB et je partage entièrement votre avis : du grand Lemire, à la fois une histoire hommage assumée et voulue comme telle à Starman de Robinson, à la fois une histoire originale, baignant dans la mélancolie.
RépondreSupprimer